Qu’on les appelle précoces, surdoués, à haut potentiel, ces enfants-là ont en commun un QI élevé, mesure incontestable d’une intelligence « supérieure ». Une supériorité qui entraîne parfois dans le contexte scolaire, comme bien des différences, des parcours chaotiques faits de déni, d’incompréhension, de repli sur soi pour, dans certains cas, mener à l’échec. Décryptage d’un atout potentiellement dangereux.Qu’est-ce qu’un enfant surdoué ? Un enfant qui présente un QI – quotient intellectuel – supérieur à la moyenne, à partir de 125, la moyenne française étant de 100. Les diagnostiquer est chose aisée : les tests, scientifiques, incontestés, ne mentent pas et personne aujourd’hui ne les remet en question. Ce QI restera une constante pour toute la vie. Intelligent donc, plus que les autres, ce qui a priori ne devrait être qu’un avantage. Sauf que cette intelligence-là est aussi et surtout différente. Elle n’est pas juste du « plus ». Elle implique une autre façon de raisonner, de comprendre une consigne, d’appréhender un problème. Et c’est là que, dans un contexte scolaire, les difficultés commencent.
« L’enfant précoce va dans toutes les déductions possibles à partir d’une première pensée, c’est foisonnant. Il peut se poser à l’école plusieurs cas de figure : l’appréhension d’un problème est rapide et intuitive, se passant volontiers du cheminement que l’école attend de ses élèves. Tout va très vite. Ce raisonnement, l’enfant précoce l’a peut-être eu mais il l’a déjà oublié quand il tient la solution et il n’a pas envie d’en rendre compte, il a envie de passer à autre chose. Et puis, les enfants précoces sont souvent très attachés au sens des mots. Parfois, l’enseignant veut poser une question mais la tourne de manière impropre. L’enfant précoce part alors dans une mauvaise direction. Un exemple : dans un cours de chimie, si l’on demande de « relater » une expérience, cet enfant va la « raconter » avec des phrases puisque c’est strictement ce que veut dire « relater ». Or, ce sont des formules que le professeur attendait » explique Clotilde Beylouneh, longtemps psychologue de l’éducation en classes spécialisées et auteur du récent ouvrage Mon enfant est précoce, comment l’accompagner aux éditions Marabout.
Autre exemple cette fois donné par Jeanne Siaud-Facchin, spécialiste reconnue des surdoués et notamment auteur de L’enfant surdoué, livre de référence en la matière : celui d’un enfant de 9 ans à qui elle demanda un jour en quoi il était fort à l’école et qui lui répondit naturellement par cette interrogation : Fort à l’école ? En classe ou à la récré ? ».
Enfant surdoué : y a-t-il quelqu’un pour me comprendre?
On l’aura compris, un enfant précoce est un enfant exigeant, qui attend beaucoup de ses professeurs. Mais sa forme de pensée singulière le fait souvent passer à côté de ce que l’institution scolaire, normative, attend. Lui-même ne comprend pas alors les causes de ses difficultés et vit les reproches qu’on peut lui faire comme autant d’attaques injustifiées qui blessent l’image qu’il a de lui-même et entame la confiance qu’il met dans les adultes. Dès lors, se sentant incompris, il peut préférer s’isoler, s’inhiber, avoir la tentation du mépris, voir du déni puisque la nature même de l’enseignement ne lui donne pas la possibilité d’exercer ses compétences. Et cela rejaillit tout naturellement sur ses relations avec ses petits camarades dont il se sent différent sans pouvoir se l’expliquer et dont il attend pourtant beaucoup affectivement. Il n’est pas rare qu’il tombe alors dans un ennui profond, s’enferme dans ses pensées et développe des troubles du comportement. On compte en effet une forte proportion d’enfants hyperactifs par exemple chez les surdoués. Or, il n’existe à aujourd’hui aucun enseignement spécifique au sein de l’Education nationale mais des « aménagements » dans certains établissements, laissé à l’appréciation du chef d’établissement et du Conseil des maîtres.
En pratique, pour l’instant, ces enfants, dans le meilleur des cas, sautent des classes… ou redoublent parce qu’ils ont baissé les bras, renoncé à être compris. Leurs parents peuvent juste espérer en la chance de tomber, en une heureuse année scolaire, sur le professeur qui fera la différence. « L’enfant précoce a une facilité à ne pas respecter les adultes parce qu’il arrive souvent qu’il s’aperçoive qu’ils sont moins intelligents que lui ! Donc, il va spontanément aller dans le mépris. Or, le prof est celui qu’il ne faut surtout pas mépriser ! Il leur faudrait des profs intelligents, qui les aiment, qui les comprennent, et que eux respectent, aiment et admirent. Le prof idéal en fait ! » précise encore Clotilde Beylouneh. Ce qui supposerait qu’outre leur bonne volonté, les professeurs soient formés à ce particularisme aussi. Faute de quoi, les rapports sont souvent conflictuels. Et la spécialiste de préciser : « Certains enseignants ne peuvent concevoir que le surdouement – appelé aussi douance au Canada, ndlr – existe, et encore moins que ce soit à eux de le détecter, car cela reviendrait à coopérer avec l’inégalité. Pourtant, on dit que le génie, c’est quelqu’un a qui a apporté quelque chose à l’humanité. L’enfant précoce, par analogie, c’est un peu la même chose. Il est là pour nous apporter des choses, pour nous montrer par exemple les insuffisances du système scolaire ».