La violence chez les tout petits

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Après la naissance, l’enfant demeure un humain en gestation. Il reste encore beaucoup à accomplir pour que jaillisse des premiers apprentissages l’esquisse d’une conscience. La violence, l’agressivité, sont alors les rites d’un passage chaotique  de la barbarie à la civilisation. Passage obligé, baptême du feu d’une maîtrise de soi en devenir, la violence est un mal nécessaire qu’il s’agit d’apprivoiser. Leçon de chose pour éviter d’en faire un drame inutilement.

Les « colères » du nourrisson

Dès la naissance, un bébé peut être sujet à des colères (pleurs très soutenus) qui traduisent un fort sentiment de mal-être, sentiment lié à la faim, l’insécurité, la douleur ou l’impuissance.

Certaines mamans fragiles peuvent ressentir ces pleurs comme une agression. Parfois même, la disproportion est énorme : quand l’enfant geint, elles l’entendent hurler. « Cette attitude est presque toujours une conséquence de leur propre histoire, et nécessite un suivi, une thérapie, car la première réponse non élaborée à la violence, c’est la violence » explique Marie Garrigue Abgrall, éducatrice de jeunes enfants et formatrice. Le risque de secouer le bébé n’est pas loin… « En ce sens, celle qui « fuit » son enfant (le confie ou le laisse), paradoxalement le protège » affirme l’éducatrice.

Mais en dehors de ces cas particuliers, avant de savoir attraper les objets puis de marcher, l’enfant est limité. Limitées sont donc également les occasions de se montrer violent vis-à-vis des autres avant un an…

1-2 ans, l’agressivité apparaît

Autour d’un an, l’enfant acquiert la marche et part à la découverte du monde. Du coup, que ce soit à la maison, chez la nounou et particulièrement à la crèche, les interactions avec les autres se multiplient. « Ce qui motive le plus souvent un conflit entre enfants, c’est l’intérêt pour le même jeu. Arracher des mains le jeu d’un copain, c’est souvent exprimer, très maladroitement, l’envie de participer », rapporte M.G. Abgrall.

Dans « Paroles de tout-petits », Graciela Crespin, psychologue en crèche depuis vingt ans, explique que vers 12-15 mois, les conflits de territoire se traduisent souvent par la morsure : « pour un enfant, c’est l’argument imparable qui permet de l’emporter dans la lutte contre un adversaire de même taille. Les puéricultrices l’acceptent comme un passage obligé pour qu’une limite soit fixée à l’enfant dans son agressivité vis-à-vis de l’autre et l’objet de son désir ».

Quant au canadien Richard Tremblay, qui mène des recherches sur le développement physique, cognitif, émotionnel et social depuis la conception jusqu’à l’âge adulte, il estime que l’agressivité physique d’un homme atteint son plus haut niveau… entre la fin de sa première et de sa deuxième année. Colères de bébé, disputes autour des jouets, cheveux tirés, coups de pied et cris font alors partie du développement sain d’un enfant.

Entre deux et trois ans, c’est non!

Plus l’enfant acquiert d’autonomie et de capacités moteur, moins il accepte d’attendre pour satisfaire ses envies. La gestion de la frustration est le « gros morceau » de cette époque. Larmes et crises de colère (au moins une fois par semaine vers deux ans) sont un cap à passer, le plus difficile pour les parents et ceux qui s’occupent de l’enfant restant de ne pas céder eux-mêmes à la violence et de taper l’enfant.

En restant cohérent dans le temps et entre eux, en gérant les problèmes sur le moment et personnellement (et non pas « tu vas voir ton père ce soir, ça va barder »), la phase d’opposition ne devrait pas durer plus de quelques mois.

La tension redescend avec la maîtrise du langage

Plus l’enfant parle, moins il tape. A la crèche, « après avoir mordu et avoir été mordu un certain nombre de fois, peu à peu les violents corps à corps sont remplacés par des « pas beau » et autres « pas toi ! », premiers balbutiements de la diplomatie humaine », rapporte G. Crespin. On constate d’ailleurs souvent la diminution plus rapide de l’agressivité physique chez les filles, due à leur aisance verbale supérieure à cette époque.

Pour R.Tremblay, apprendre à être patient pour obtenir ce qu’on désire et apprendre à utiliser le langage pour convaincre les autres afin de satisfaire ses besoins sont peut-être les deux facteurs les plus importants à retenir lorsqu’il s’agit de contrer l’agressivité physique chronique.

Comment réagir face à un comportement violent

Ici, le rôle de l’adulte est fondamental : il doit accompagner la rencontre entre les bambins et leur montrer un autre rapport à l’autre. « Avant trois ans la punition n’est pas adaptée, assure M. G. Abgrall, car l’enfant construit ses repères. Le mieux, c’est de lui parler en étant ferme dans son attitude et ses mots, voire de le mettre à distance. L’enfant est très sensible à la réaction de l’adulte ».

De son côté, la pédiatre Edwige Antier met en garde contre le fait de mordre ou de taper en retour un enfant qui a mordu ou frappé, pour lui faire « comprendre » que ça fait mal : « c’est envoyer un message paradoxal. Tout ce que l’enfant comprend, c’est que cela se fait ».

« A cet âge, on se construit avant tout dans l’imitation », continue M.G. Abgrall. Pour G. Crespin, « la réponse, patiente et répétée, consiste à dire à l’enfant qu’il peut être fâché ou pas d’accord, mais qu’il peut obtenir satisfaction autrement, et à séparer les enfants sans chercher à comprendre qui a tort ou raison ». « Cela dit, il ne faut pas intervenir trop tôt non plus : les enfants qui se font « piquer » leur jouet sont parfois passionnés de voir comment l’autre s’en sert » commente M.G. Abgrall.

Méchant, un adjectif à éviter !

Avant toute chose, il est primordial de ne pas enfermer un enfant dans une étiquette. « Un enfant de 18 mois qui mord n’est pas « méchant » », rappelle E. Antier. Elle estime d’autre part qu’on doit apprendre à anticiper, « car à bien le regarder, on peut très bien repérer quand l’enfant va mordre ou taper ». Quand l’enfant se tape lui-même, c’est qu’il voudrait frapper l’autre, mais il a compris qu’il ne devait pas le faire. « Dans ces cas-là, essayez de faire diversion, de sortir de la situation » explique E. Antier.

Le pédopsychiatre Patrice Huerre insiste sur le jeu comme moyen de canaliser la violence, d’exorciser ses peurs, d’exprimer ses émotions. Dans son livre « Place au jeu », il raconte que des peurs archaïques de morcellement, de disparition, des peurs du noir, d’enlèvement et de meurtre habitent le monde interne du tout petit. Le jeu est une manière de jouer avec ces peurs, en les figurant dans un dessin, dans de la pâte à modeler… « A un premier niveau, le jeu canalise les angoisses, à un deuxième, il les transforme en source énergétique », assure-t-il.

De la violence normale à la violence pathologique

On l’aura compris, une certaine violence est l’expression d’une saine évolution. Mais où se situe la limite ? « La limite se pose en fonction de la tolérance des adultes. Quand l’enfant semble constamment débordé par ses émotions et que rien ne semble « marcher » pour le détourner de sa violence, il faut s’interroger, chercher quelle souffrance psychique il exprime ainsi » insiste M. G. Abgrall.
Pour elle, la violence « hors normes » des tout-petits est toujours l’expression d’une souffrance, un appel à l’adulte, et il ne faut pas passer à côté.

Les germes de sa violence

L’enfant peut transposer sur ses copains sa jalousie vis-à-vis d’une nouveau petit frère, son désir de « venger » sa maman d’un bébé qui lui a « fait du mal » (fausse-couche), sa peur des autres transmise par papa… En fait, tout ce qui va chambouler de façon importante les repères de sécurité d’un enfant peut l’amener à avoir un comportement violent.

Pour G. Crespin, quand les enfants s’installent dans des « carrières » de mordeurs, il ne s’agit plus d’un marquage de territoire : « cette attitude traduit forcément un mal-être qu’il est important d’entendre pour l’enfant lui-même. Commence alors un long travail d’investigation : que savon- nous de lui, de ce qui se passe avec ses parents, de ce qui se joue dans sa famille ? Que se passe-t-il dans la journée ? Quand cela a-t-il commencé ? Est-ce constant ou cela varie-t-il avec le temps ? ».

Bébé agressif : un certain mimétisme

Il se peut également que la violence du tout-petit soit le reflet de son quotidien. « Quand un enfant est entouré d’adultes et d’enfants qui affichent de l’agressivité physique les uns envers les autres, il comprendra vraisemblablement qu’une telle attitude fait partie des relations sociales de tous les jours. Si, au contraire, l’enfant vit dans un environnement qui ne tolère pas l’agressivité physique et récompense plutôt un comportement « social », il y a de bonnes chances qu’il utilise d’autres moyens pour obtenir ce qu’il veut ou pour exprimer sa frustration », expose R. Tremblay.

« Il est donc important à ce stade de faire le tri entre les enfants qui vont relever d’une prise en charge psychologique individuelle (le pourcentage est faible) et ceux pour lesquels il peut exister des solutions dans la sphère éducative », écrit G. Crespin. « Il faut aussi dire aux parents « fiers » de leur petit dur qu’il va être rejeté par les autres », ajoute MG Abgrall.

Enfant violent : faites-vous épauler!

Pour rompre une spirale violente, il faut souvent accorder plus de temps et d’attention à son enfant… et s’observer soi, puisqu’il nous imite. Et quoi qu’il arrive, ne pas avoir honte de demander de l’aide. A cette fin, il existe des lieux d’accueil parents / enfants (moins de six ans), gratuits et ouverts à tous, type les Maisons Vertes de Françoise Dolto. Beaucoup sont dirigés par les Conseils généraux*. Ils offrent un espace de médiation où les professionnelles commencent avant tout par établir un lien de confiance en valorisant ce que l’enfant sait faire. Ecoute, conseils et éventuellement thérapies sont ensuite mis en place pour les aider à (re)trouver une relation harmonieuse.

MG Abgrall a travaillé dans un de ces centres pendant dix ans. Et de conclure : « C‘est souvent par le travail sur la relation à leur enfant que des parents ont pu résoudre leurs propres problèmes, parfois reproduits sur trois générations. Il n’est jamais trop tard pour faire quelque chose. Quand on entend toutes ces mamans soulagées nous dire « si on avait su, on serait venu bien plus tôt », on a envie que tout le monde sache que nous existons ! »

Pourquoi réagir à un comportement violent

Richard Tremblay a démontré que les enfants qui, durant les années préscolaires, n’apprennent pas à trouver des solutions pour éviter de recourir à l’agression physique risquent fort d’avoir énormément de problèmes à long terme, puis avec leurs propres enfants. En ce sens, soutenir la parentalité et prévenir l’agressivité des enfants est un pas vers la sécurisation des populations.

*Liste des lieux d’accueils parents / enfants sur http://www.francoise-dolto.com

A lire 

– « Violences en petite enfance, pour une prévention opportune », de Marie Garrigue Abgrall, Erès, coll. 1001 bébés, 10€

-« Petite terreur ou souffre-douleur – La violence dans la vie de l’enfant », de Stéphane Bourcet , Albin Michel.

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