Les amis imaginaires de mon enfant

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Qui sont-ils ? A quoi servent-ils ? Autant de questions que peuvent se poser des parents un peu déboussolés le jour où leur enfant hurle : « Maman, attention, tu t’assoies sur Marco ! »… Décryptage de ce phénomène.5082

Des amis imaginaires à tous les coins de rue

Il y a quelque temps, l’hebdomadaire l’Express rapportait que « d’après une étude conjointe des universités américaines de Washington et de l’Oregon, près des deux tiers des enfants ont ou ont eu un ami imaginaire ». Mais pour Claude Levy, psychologue au Raincy (93),  il est impossible de les dénombrer. Et c’est tant mieux, car les parents ont malheureusement vite fait de raisonner en fonction des statistiques : si mon enfant a/n’a pas d’ami imaginaire, ce n’est pas normal…

Comme les autres psychologues qui s’intéressent à la question, Claude Levy estime que les enfants qui s’inventent des amis imaginaires ont souvent entre 3 et 5 ans, sans pour autant qu’il y ait de norme d’âge : « cela peut aussi bien commencer plus tard, après la période de latence (7-11 ans). Il s’agit souvent d’enfants assez solitaires, habitués à jouer seuls, mais pas forcément d’enfants uniques. « L’aîné ou le petit dernier ayant un assez grand écart avec les autres membres de la fratrie sont les plus concernés », a-t-il pu constater.

Une signe de précocité intellectuelle ?

L’Express mettait aussi en avant une étude conduite au Sri Lanka, selon laquelle les enfants concernés seraient souvent des élèves au-dessus de la moyenne, mais avec davantage de problèmes de comportement que les autres. Une autre enquête, britannique et publiée en novembre 2007 dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry indique que les enfants de 4 à 8 ans ayant des amis imaginaires seraient plus sujets aux illusions auditives. « Quand on leur fait entendre des sons proches de la voix mais sans signification particulière, ils y reconnaissent des mots »… Pour autant, pour tous les psys, il s’agit d’un phénomène tout à fait banal. Les enfants qui y sont sujets ne sont absolument pas différents des autres, et notamment pas plus créatifs.

Un copain comme ils en rêvent

La pédiatre Simone Gerber écrit, dans Amours et amitiés enfantines, que l’enfant peut décrire « avec force détails l’aspect et les comportements de ce(te) ami(e), ses états d’âme, ses traits de caractère, son sexe, lui donner un nom, un prénom ». Des récits qui semblent très crédibles…

Le compagnon imaginaire est soit invisible, soit incarné, souvent dans une peluche, parfois dans les mains même de l’enfant. Il est aussi plus souvent humain qu’animal, et plus souvent de genre masculin, même si c’est une petite fille qui l’invente. « Le phénomène existe dans toutes les cultures, mais avec des variations cocasses. Ainsi, dans les pays où on croit à la réincarnation, certains enfants se souviennent de vies antérieures », rapporte l’Express. Parfois, c’est une famille imaginaire entière qui est inventée par un enfant, ou une fratrie qui se partage le même ami imaginaire… Quoi qu’il en soit, les enfants « fabriquent » leur copain intime selon son caractère et son imagination.

Fabulations compensatoires

Selon Claude Levy, l’enfant solitaire crée un ami imaginaire pour parler et jouer avec lui quand sa solitude lui pèse trop, qu’elle devient difficile à vivre. L’ami imaginaire peut aussi subvenir à l’occasion d’un événement traumatisant, comme le divorce des parents ou le décès d’un proche : « quand la séparation est trop dure, l’ami imaginaire sert à faire survivre la personne dans l’esprit de l’enfant ». D’autres situations difficiles, comme un déménagement, une entrée à l’école, la mort d’un animal de compagnie ou la naissance d’un cadet peuvent également être des points de départ.

 Enfin, entre 3 et 5 ans, on impose à l’enfant de plus en plus de règles de bonne conduite (propreté, ordre, hygiène, politesse…). Grâce à l’ami imaginaire, « l’enfant peut à loisir remplacer les moments de frustration par des situations agréables, lui faire expérimenter des étapes d’apprentissage encore difficiles à réaliser elle-même, le punir, le dorloter, etc. C’est à travers ce personnage inventé, ce miroir en quelque sorte, que vont s’exprimer ses identifications, ses attentes, ses peurs », écrit Valérie Huchet-Dufretelle, psychologue clinicienne à Paris.

A chaque âge son interprétation

Entre 3 et 5 ans, l’enfant n’a pas encore de limite bien établie entre le réel et l’imaginaire, entre le vrai et le faux. Les récits qu’il fait de son ami imaginaire « sont à situer dans l’ère transitionnelle telle que la décrit Winnicott avant que l’enfant quitte progressivement son univers intérieur pour accéder à celui des autres, adultes comme enfants », écrit Simone Gerber. Si l’ami apparaît entre 6 et 11 ans, soit à la période dite de latence de l’enfant, il peut être là pour combler des moments d’incertitudes, pour attirer l’attention de ses parents (notamment s’il est timide et un peu délaissé dans sa famille) ou au contraire pour se détacher de parents trop collants qui se préoccupent de manière excessive de tout ce qui arrive à l’enfant, de ses fréquentations… Les amis imaginaires servent alors de jardin secret.

Un miroir révélateur de la personnalité et de l’affect de l’enfant

Dans tous les cas, il est toujours utile pour les parents de s’y intéresser. Les psychologues affirment qu’ils peuvent en apprendre davantage sur la vie intérieure de leur enfant par le biais de son ami imaginaire plutôt que par celui de son comportement quotidien. « Il s’agit d’un jeu, mais quand l’enfant parle à son ami imaginaire, il lui confie ses véritables attentes, ses préoccupations. Il y a un réel échange, très instructif. D’ailleurs, c’est souvent à travers des jeux que les psys en apprennent le plus sur un enfant », assure Claude Levy.

Etre attentif sans être intrusif

Les parents peuvent donc poser des questions à leur enfant, essayer de comprendre ce qu’il recherche, « en évitant d’être inquisiteur ou attaquant. Sinon l’enfant va se refermer ou dire « c’est pour de faux », pour être tranquille », rappelle le psychologue. Ne montrez pas de peur ou d’animosité, ne niez pas non plus l’ami imaginaire. « Restez naturel dans vos questions, mais sans rentrez dans le jeu de l’enfant, au risque de brouiller ses repères et de conforter l’enfant dans le rêve. Pour l’aider à faire la part des choses, vous pouvez lui dire « c’est ton ami, mais il n’est qu’à toi, moi je ne le vois pas &raqu
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 ».

Et si l’ami imaginaire prend trop de place…

Souvent, ce qui inquiète le plus les parents, ce sont les commentaires désagréables sur les inventions de leur enfant. Certaines personnes « bien pensantes » évoquent ainsi l’autisme, le mensonge ou le délire et préconisent une consultation auprès d’un psychiatre ! Pourtant, on le répète, il pas de raison d’avoir peur du copain imaginaire de bibou. En fait, même si ses récits sont hyper développés, ils restent du domaine du jeu. « Par contre, si l’ami imaginaire devient omniprésent, envahissant, si ça pose problème au niveau de la vie quotidienne familiale, si votre enfant fait des crises d’angoisse s’il n’est « pas là », il faut alors envisager de consulter un spécialiste », indique Claude Levy. Mais surtout pas de précipitation. Tant que cela reste dans la sphère du jeu, c’est tout à fait sain et normal, et cela pourra perdurer un certain temps. L’enfant n’abandonnera son ami imaginaire que petit à petit, tandis que ses vrais amis de maternelle prendront de plus en plus d’importance. L’apprentissage de la maternelle, c’est justement la sociabilité, le fait de jouer ensemble…

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