La polygamie, interdite en France depuis 1993, est pourtant encore une réalité vécue plus ou moins clandestinement par des milliers de familles. Un sujet tabou ressorti des tiroirs à l’occasion des émeutes en banlieue de 2005 et sur lequel Côté Mômes lève aujourd’hui… le voile.
Qu’est-ce que la polygamie ?
5140La polygamie est le mariage, dans le cadre des règles du mariage de la société concernée, d’un homme avec plusieurs femmes. Cette pratique, aussi ancienne que l’histoire de l’humanité, persiste dans des sociétés au contexte géographique et économique difficile. La polygamie répond à la nécessité de s’assurer une descendance alors que le taux de mortalité des femmes et des enfants est élevé.
Et puis, dans certaines sociétés, il ne paraît pas illogique qu’un homme puisse prendre sous sa protection une veuve avec des enfants qui n’a aucune possibilité de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Le plus souvent, ce sera le frère du mari décédé qui épousera sa belle-sœur. Autre « justification » de cette pratique, le fait que dans certaines ethnies, multiplier les femmes soit considéré comme un signe extérieur de richesse et renforce la position sociale.
La polygamie en France
Aujourd’hui, la polygamie est pratiquée et reconnue dans environ 50 pays au monde, dont beaucoup en Afrique. Mais les polygames de France, qui sont-ils ? Des immigrés arrivés depuis les années 70 jusque dans les années 90, issus de l’Afrique sub-saharienne, qui trouvaient en France des conditions de vie certes difficiles mais toujours plus enviable que dans leur pays d’origine où ils n’imaginaient pour l’avenir que sécheresse, calamités, guerres et pauvreté.
La politique de regroupement familial permettait alors à un jeune homme, parti seul au départ de son Mali natal – 80% des familles polygames de France sont originaires de ce pays -, ayant trouvé une activité professionnelle, de se marier dans son pays et de faire venir ensuite sa femme en France. Beaucoup resteront monogames, adoptant le mode de vie français.
D’autres perpétueront en France le mode de vie traditionnel et par là même la polygamie. Aujourd’hui, chacun s’accorde à dire qu’il est bien difficile de donner un chiffre exact quant au nombre de polygames sur le territoire : 10 000 selon l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), entre 10 et 20 000 selon le ministère de l’Intérieur pour les estimations les plus « timides ».
Les polygames hors la loi
Jusqu’en 1993, l’administration tolérait la polygamie pour les immigrés en vertu du respect traditionnel du statut personnel des étrangers dont l’arrêt Mancho de juillet 80 était la traduction.
Il autorisait en clair le regroupement familial d’une famille polygame. Des milliers de Maliennes, de Sénégalaises, de Mauritaniennes et de Gambiennes sont ainsi venues s’installer en France. La loi de 1993 interdisant la polygamie et le regroupement familial a provoqué à l’époque un tollé de la part des associations de défense des étrangers.
Des circulaires sont alors venues assouplir la législation : la première, le 8 février 1994, précise que les femmes qui ont des enfants français ou qui séjournent en France depuis plus de 15 ans ne peuvent pas être expulsées. Puis, en avril 2000 et en juin 2001, deux autres circulaires prévoient, pour les familles polygames arrivées en France avant 1993, le renouvellement des titres de séjour à condition que les ménages « décohabitent ».
Polygamie: épouses et enfants illégitimes
Seule la première épouse garde sa légitimité et ses papiers, les co-épouses étant dans l’obligation de quitter le domicile familial. Pour retrouver carte de séjour et logement, elles doivent prouver qu’elles ont divorcé et qu’elles ne vivent plus sous le même toit que le mari et la première épouse.
Mais leur sort se complique souvent parce que, n’ayant pas d’existence légale, elles ne peuvent fournir aucun papier et il leur est parfois même difficile de prouver que les enfants sont les leurs ! Ces femmes se retrouvent au milieu de nulle part, entrées dans l’illégalité et ne pouvant pas subir l’offense de rentrer au pays. Certaines d’entre elles vivent sous le nom des premières épouses, accouchent même parfois sous l’identité de celles-ci et vivent calfeutrées à la maison.
Face à cet imbroglio et aux séparations obligatoires, les maris polygames s’insurgent : pourquoi la France n’a-t-elle pas interdit la polygamie dès les années 60 alors qu’elle avait tant besoin de main d’œuvre étrangère ? Comment divorcer quand le mariage polygame n’est pas reconnu en France ? Comment « décohabiter » alors que, concrètement, on ne peut pas reloger ces femmes, pourtant prioritaires au regard du droit, faute de logements sociaux disponibles ?
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), quant à elle, s’inquiète des conditions de vie des ces femmes et de leurs enfants. Et qu’elles soient premières, secondes ou troisièmes épouses n’y change rien…
En Afrique, les femmes polygames souffrent moins
En Afrique, chaque femme d’un ménage polygame a son propre logement, ne fut-ce parfois qu’une simple case, où elle vit seule avec ses enfants. Elle est de plus entourée par sa famille, sa mère notamment, qui la guide pendant sa grossesse, son accouchement et dans l’apprentissage de la parentalité. En cas de conflit avec son mari ou avec les autres épouses, toute la structure familiale est capable de maintenir un équilibre.
Car les conflits sont le quotidien de beaucoup de ces femmes, telles cette Malienne de Clichy-sous-Bois mère de cinq enfants qui dit haut et fort « Il faut durcir la loi et retirer les cartes de résident aux hommes. Les femmes, dans leur grande majorité, ne supportent pas de vivre avec d’autres épouses. Mais elles n’ont pas le choix et se soumettent à la décision du mari ». Voilà qui ébranle les certitudes affichées des maris polygames, que beaucoup accusent d’être des chasseurs d’allocations, celles-ci augmentant évidemment au fur et à mesure des nouvelles naissances.
Ouvrier malien, un jeune mari aux deux épouses s’explique : « C’est Dieu qui nous le permet. Nous avons le droit d’avoir quatre femmes. Dans votre pays, les hommes ont des maîtresses. Nous, nous préférons les épouser ».
Conséquences de la polygamie: des enfants à la dérive
Et les enfants dans tout ça ? Faute de place à la maison, ils vivent beaucoup dehors. Pas facile dans ces conditions de faire ses devoirs, sans bure
au, sans calme et sans intimité. Ils ont souvent le choix entre la promiscuité, les guerres fratricides ou entre les épouses à la maison et une certaine liberté au dehors…
Une médiatrice à la mairie de Chanteloup-les-Vignes (78) raconte : « Parfois, la haine est tellement profonde que certaines femmes se vengent sur les enfants de la rivale ». Vêtements déchirés, fessées à outrance, voire maraboutisme, tout est bon pour se venger de son malheur…
On comprend dès lors que la rue, en l’occurrence la cité, puisse offrir un peu de répit à ces enfants souvent perdus dans ces situations inextricables. De là à en conclure que la polygamie est en partie responsable des violences en banlieues, comme l’affirmait lors des émeutes en 2005 le ministre délégué à l’emploi Gérard Larcher, il n’y a qu’un pas… Mais, quoi qu’il en soit, nous laisserons le mot de la fin sur ce délicat problème à la Commission Nationale des Droits de l’Homme : « La seule vérité est la souffrance de tous les acteurs, y compris pour beaucoup d’hommes qui avouent, en aparté, que s’ils avaient su, ils n’auraient pas choisi d’être polygames en France ».