Femme enceinte: Rencontre avec René Frydman

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Le statut de l’embryon est au centre de préoccupations multiples. Du clonage thérapeutique à la vitrification des ovules, la vie et sa genèse pose aujourd’hui des questions d’éthique qui vont au-delà de la seule communauté scientifique. Le professeur René Frydman nous livre ses réflexions sur diverses questions de société autour de son métier.

Concevoir, une adéquation corps-esprit

CM : Dans « Désir d’enfant », vous affirmez être « presque persuadé que le manque d’amour bloque parfois l’ovulation ». Les couples qui n’arrivent pas à concevoir doivent-ils donc voir un psy ?

RF : « Avoir une ovulation au bon moment est une manifestation inconsciente du corps. Des barrières psychiques peuvent empêcher d’y parvenir. On sait aussi que les émotions déclenchent des réactions hormonales et que la stimulation de l’ovulation est commandée par le cerveau…Mais s’il y a un lien incontestable entre le physiologique et le psychologique, tout entretien psychologique doit être souhaité par les parents, pas imposé par le médecin, sinon ça ne peut pas marcher. Il n’y a que pour les couples qui demandent un don d’ovules que c’est obligatoire, pour qu’ils soient ensuite plus à l’aise avec eux-mêmes, plus à l’aise pour répondre à leur enfant sur ses origines ».

Accoucher simplement

CM : Etes-vous favorable au retour à la physiologie de l’accouchement ? (C’est l’idée que l’accouchement est avant tout un acte naturel, non médical, et qu’il ne requiert pas systématiquement une hospitalisation, comme c’est actuellement le cas en France, NDRL).

RF : « Tout à fait. Je travaille d’ailleurs pour cela au projet des « Maisons de naissance » inscrit dans le plan Périnatalité 2005-2007 du gouvernement. Il s’agit de développer des structures non médicalisées, sous la responsabilité des sages-femmes, pour toutes les grossesses ne présentant aucune complication. Les premières maisons devraient voir le jour l’année prochaine, implantées chaque fois à côté d’un hôpital, au cas où. Si 15% des femmes souhaitent pouvoir accoucher dans ce type de maison, on sait bien que seules 5% le feront vraiment… Mais c’est important, symboliquement, qu’elles aient le choix ».

Mère de plus en plus tard

CM : Avec l’évolution des mœurs et l’amélioration des conditions de vie, l’âge moyen des primipares (femmes attendant leur premier enfant) recule. Pourtant, vous rappelez que « les ovocytes d’une femme de 40 ans n’ont pas la même qualité que ceux d’une femme qui a 10 ans de moins ». Pourra-t-on un jour rajeunir de l’intérieur ?

RF : « Certainement, mais pas avant longtemps. Aujourd’hui, le corps des femmes reste jeune plus longtemps, leur maturité intellectuelle est plus solide vers 40 ans et leur espérance de vie s’est allongée. Du coup, l’objectif est plutôt de permettre à celles  qui souhaitent un enfant entre 38 et 42 ans d’être aussi performantes qu’à 25. Rien ne sert de les moraliser, d’autant que passé 40 ans, la survenue d’une grossesse est certes plus difficile, mais une fois établie, si elle est bien suivie, les petits problèmes restent très contrôlables. Et ces femmes plus âgées sont souvent davantage à l’écoute de conseils et plus patientes face aux contraintes ! »

Lire notre article sur les grossesses tardives

La paternité

CM : Aujourd’hui, les futurs pères sont presque mal vus s’ils ne se sentent pas d’assister à la naissance de leur enfant…

RF : « Avec la maîtrise de la reproduction et l’égalité sociale entre les sexes, la femme a atteint la plénitude : elle peut combiner vie professionnelle et maternité. L’homme souhaite aussi la plénitude… Du coup, il accepte plus sa part féminine et accompagne la maternité comme jamais il ne l’avait fait. Mais il y a excès dès qu’on veut appliquer la même règle à tout le monde. Je dis souvent au papa qu’il n’est pas pieds et poings liés dans la salle de naissance. De plus, on peut être présent de manière soft, c’est-à-dire en faisant face à sa femme pour lui sourire, l’encourager. Mettre un homme devant les parties génitales de sa femme en plein travail, ça peut être traumatisant, il faut être prudent ! Enfin, l’accouchement renvoie l’image d’une femme animale, qui fait corps avec la nature et ne maîtrise plus rien de son image. Certaines ne veulent pas s’exposer ainsi aux yeux de leur mari, sans pour autant nier leur paternité ».

L’homoparentalité

CM : Dans « Désir d’enfant », Marcel Rufo assure qu’un « bébé se développera parfaitement dans une famille homosexuelle s’il a la possibilité de s’identifier aux personnes des deux sexes ». Qu’en pensez-vous ?

RF : « Je ne suis pas très à l’aise sur la questionTout ce que je peux dire, c’est que je préfère l’adoption à une « création » médicale pour un couple homoparental. La médecine est là pour soigner, elle ne doit pas venir remplacer un problème de société ».

L’utérus artificiel

CM : Sachant qu’un fœtus peut passer les 6 premiers jours de sa vie en laboratoire et être mis sous couveuse dès la 23e semaine, l’utérus artificiel ne semble pas si irréalisable. Est-ce la solution pour des femmes victimes de fausses couches à répétition ou de grossesses extra-utérines ?

RF : « Pour l’instant, la technique placentaire des 23 premières semaines de vie est impossible à reproduire. Et pour moi, l’utérus artificiel pourrait s’apparenter, sur le plan du vécu comme sur le plan physique, à une adoption. Alors pourquoi investir dans des recherches très compliquées et très coûteuses ? Ce serait survaloriser le génétique et les liens du sang (il faut absolument que l’enfant soit de moi), alors que le lien parents-enfant ne se crée qu’en élevant l’enfant ».

Faire un enfant pour en soigner un autre

CM : Vous dites qu’un « enfant naît toujours porteur d’un projet parental », et que « le projet d’un don de cellules pour soigner un frère ou une sœur n’est pas plus impliquant qu’un autre »…

RF : « Un enfant arrive à un instant donné, s’inscrit dans un passé, et cela peut coïncider avec un besoin de cellules. Si cet enfant-là aide son aîné, tant mieux, mais peut-être ne le pourra-t-il pas. Les parents savent très bien qu’il n’y a rien de garanti, ils ne lui enlèveront pas leur amour pour autant … C’est pour cela que je rejette l’expression « bébé médicament » employée par les médias. Elle chosifie l’enfant alors que les parents désirent un deuxième enfant avant tout pour lui-même ».

Le clonage thérapeutique

CM : Comment avez-vous réagi au scandale autour de l’authenticité des travaux du Dr Hwang sur les cellules souches ?*

RF : « Je considère que la médecine doit avant tout se tourner vers la vie. En ce sens, je suis tout à fait favorable au clonage scientifique à visée thérapeutique**. Pour moi, la loi de bioéthique du 6 août 2004 est préjudiciable aux malades. J’attends avec impatience le déblocage des décrets autorisant la création de cellules souches à l’automne prochain…Quant à l’affaire Hwang, quelque part, tout cela est rassurant. Cela montre qu’on ne peut pas mentir longtemps en science. Si on ne peut pas répéter ce qu’on a réalisé, c’est qu’il y a eu une erreur ou un trucage à un moment donné ».

Combattre la transmission des maladies génétiques

CM : Est-ce possible aujourd’hui ?

RF : « La loi actuelle n’est pas suffisante pour briser la chaîne de transmission des maladies génétiques. Si, à l’occasion d’un diagnostic pré-implantatoire, elle permet d’éliminer les embryons malades, elle n’accepte pas le tri entre embryons indemnes mais porteurs et embryons indemnes non porteurs. C’est une chose qui peut sembler difficile à comprendre pour des parents. Mais dans la réalité des choses, la question du tri ne se pose pas. Les embryons sains et compétitifs sont toujours très peu nombreux, porteurs ou non. Et n’oublions pas que l’objectif des parents est avant tout d’avoir un enfant ».

A l’avenir

CM : Quels sont vos projets ?

RF : « Un nouveau livre va paraître ce mois-ci chez Odile Jacob, « La chimie féminine », co-écrit avec Philippe Bouchard. Nous analysons les différents stades hormono-thérapés de la vie d’une femme (traités aux hormones), de sa première pilule à son traitement pour la ménopause. Quels sont les bienfaits et les risques pour le corps ? C’est le moment de faire un bilan ».

*Le clonage scientifique à visée thérapeutique ne vise pas à faire naître des bébés, mais à produire des embryons de 5 à 7 jours comptant une centaine de cellules afin d’engendrer des lignées de cellules susceptibles de soigner ou d’aider à comprendre la genèse d’une maladie. A partir de ces lignées, l’objectif serait, à terme, de fabriquer des quantités quasi illimitées de tissus ou de cellules, permettant par exemple des greffes réparatrices, sans problème de rejet puisque ces tissus auraient, grâce au clonage, le même ADN que le patient greffé… En France, les recherches de ce genre sont actuellement interdites par la loi.
** En décembre dernier, l’authenticité des travaux du Dr Hwang a été remise en cause. Le généticien sud-coréen avait annoncé dans la revue Science, en mai 2005, la production après clonage de onze lignées de cellules souches, contenant chacune le patrimoine génétique de onze donneurs souffrant de diverses maladies génétiques à étudier. Or une enquête officielle a montré que rien n’était prouvé et Hwang a été discrédité.

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