Qui veut la peau des maternelles?

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Au moins Julien Dazay, inspecteur d’académie et auteur chez Michalon, sous un pseudonyme, d’un essai aux accents pamphlétaires : Il faut fermer les écoles maternelles. Derrière un titre pour le moins provocateur, une analyse sans concessions qui fustige une école maternelle devenue selon lui totalement obsolète.

Le constat : l’école maternelle materne au lieu d’éduquer, coûterait cher et plus personne ne s’y retrouverait. Lucile Barberis, présidente nationale de l’AGEEM (Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques), lui donne la réplique dans Côté Mômes, avec le franc parler qui la caractérise.

Il faut fermer les écoles maternelles : premières impressions

Côté Mômes : Quelle a été votre réaction à la lecture du livre de Julien Dazay ?

Lucile Barberis : C’est une belle provocation, et cela doit bien rendre service à quelqu’un. C’est une accumulation tellement exagérée que ça n’est pas crédible. Et puis le collier de nouilles sur la couverture, c’est l’école de Bretécher en 1970 ! L’école maternelle fait bien son travail et c’est une des forces de ce pays. Ce qui nous semble difficile à admettre, c’est que ce brûlot arrive à point nommé pour justifier des suppressions ou des transformations qui sembleraient inéluctables. L’Etat a évidemment tout intérêt à déplacer la charge financière de l’école vers un service de jardin d’enfant dévolu à des éducateurs et donc financé par la commune. Mais cette école doit être défendue !

Une école maternelle totalement inutile ?

CM : Julien Dazay affirme que sur 6 heures de présence à l’école, les enfants en maternelle ne reçoivent que 65 minutes d’apprentissage, entre les multiples pauses pipi, habillage, déshabillage, temps de repos, etc.

LB : Tout son livre est basé sur des contrevérités. Je ne dis pas que l’école maternelle n’a pas un certain nombre de choses à revoir mais on ne peut pas faire des généralités en focalisant sur des cas particuliers. Sur l’ensemble du dispositif français, ce qu’il raconte n’est pas vrai. Condamner tout le système sur quelques dysfonctionnements est plus facile que de se mettre à travailler, à chercher et à faire évoluer les choses. D’ailleurs en tant qu’inspecteur, on se demande ce qu’il fiche !

Maternelles : vers l’aplanissement des cycles?

CM : Comment doit, selon vous, évoluer l’école maternelle ?

LB : Ce que nous souhaitons, et nous l’avons dit clairement, c’est que la Grande Section soit l’aboutissement d’un cycle de maternelle complet et qu’elle ne soit plus « à cheval » sur le cycle 1 et le cycle 2. Reste à construire une vraie passerelle entre la maternelle et l’élémentaire et dans ce domaine, il reste beaucoup à faire.

Un intérêt pédagogique incertain

CM : Cela va à l’encontre de la loi de 1989 qui instaurait justement une continuité Grande Section, CP et CE1 pour laisser à chaque élève le temps d’apprendre à son rythme. Or, le système n’a visiblement pas fonctionné faute de relais et de suivi d’une année sur l’autre entre les professeurs. Dans ces conditions, ne serait-il pas plus intelligent d’intégrer la grande section à l’école élémentaire – et de rendre l’école obligatoire à 5 ans – comme le suggère Julien Dazay ?

LB : L’une des originalités des cycles instaurés par la loi d’orientation, c’était de mettre la Grande Section dans un effet de tuilage – c’était le terme employé à l’époque – pour faire en sorte qu’elle soit à la fois dans le cycle 1 et dans le cycle 2. Je fais observer que cela ne s’est pas produit entre le cycle 2 et le cycle 3. Pourquoi ? Cela a été clairement dit : les auteurs de ce projet souhaitaient que le fonctionnement de l’école maternelle, c’est-à-dire l’approche ludique, les manipulations, l’expérience sensible, puisse contaminer un peu l’école élémentaire. L’idée, c’était que les méthodes et les moyens d’apprendre de l’école maternelle aient une certaine vie à l’école élémentaire, que la continuité pédagogique soit réelle. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. On a assisté assez vite à une forme de « primarisation », d’utilisation à l’école maternelle des moyens et des méthodes de l’école élémentaire avec beaucoup de papiers, des photocopies en grande quantité, la mise à l’écart de tout de qui fait la spécificité de l’apprentissage d’un petit enfant.

Quand Julien Dazay s’en prend aux instituteurs

CM : Julien Dazay dit que les programmes sont flous, que les profs ne s’y retrouvent plus, que l’on parle volontiers de « domaine » plutôt que de « discipline », d’ « épanouissement de l’enfant » plutôt que de «  réussite scolaire »…

LB : Si vous lisez dans les programmes de 2002 ce qui doit être acquis à la fin de la grande section en termes de lecture, pour ne citer que cet exemple, vous trouvez : « Pouvoir dire où sont les mots successifs d’une phrase écrite après lecture par l’adulte »… Cela n’est-il pas précis ? « Connaître le nom des lettres de l’alphabet »…

Il me semble que l’on ne peut pas faire plus clair… « Proposer une écriture alphabétique pour un mot simple en empruntant des fragments de mots au répertoire des mots affichés dans la classe »… Si ça, ça n’est pas clair ! Reprenons objectivement une lecture calme des programmes tels qu’ils sont : nous, en tant que professionnels, nous sommes très contents de ces programmes-là. Nous savons ce que nous avons à faire.

Le problème des profs que je côtoie tous les jours, c’est plutôt la pression qui pèse sur eux, qu’elle soit institutionnelle ou parentale.  On ne laisse plus à l’apprentissage le temps de se faire. Or, des stagnations, des retours en arrière, des pauses, des régressions, en font partie. Alors, faisons confiance aux enseignants, donnons à l’école de la République les moyens de fonctionner, et réfléchissons sérieusement à la formation des professeurs.

Écoles maternelles : la formation des instits

CM : Julien Dazay remet justement en question le fait que l’on embauche des enseignants de niveau Bac + 5 pour s’occuper d’enfants de maternelle…

LB : Le problème de la formation ne réside pas dans le niveau d’études et donc dans le coût des enseignants de maternelle. Le problème, c’est que la formation actuelle ne prépare pas à la réalité de la classe. Il faut une formation qui ne soit pas que didactique. Il faut que l’on s’intéresse au développement de l’enfant, à la manière dont il fonctionne. Ce n’est pas le tout d’avoir une liste de choses à leur apprendre. La question est : comment un enfant apprend-il ?

Savoir faire la part des choses

CM : Pensez-vous que le livre de Julien Dazay puisse faire du tort à l’école maternelle ?

LB : Je suis sereine dans le sens où je pense que le bon sens ne peut qu’émerger. Si l’école maternelle était vraiment si minable, si les enfants passaient leur temps à faire pipi, à faire le petit train et tout ça,  vous croyez vraiment que les parents les plus aisés, qui ont les moyens d’être exigeants,  y mettraient leurs gamins ? Ils trouveraient dare-dare d’autres solutions sans doute très performantes !

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