Infirmière scolaire: les bobos c'est mon métier

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Comment les enfants vivent-ils leurs petits bobos et autres tracas de santé au sein de l’école ? En quoi l’école elle-même influe-t-elle sur leur moral ? Est-elle parfois un rempart contre une vie familiale pas toujours simple ? Quelques éléments de réponse avec l’infirmière scolaire d’un grand établissement en région parisienne.

Infirmières scolaires en sous-effectif

Côté Mômes : Vous êtes infirmière scolaire et vous vous occupez seule à la fois de la maternelle, du primaire et du collège. Cela représente combien d’élèves ?

A peu près 1 500. Moi qui ai deux enfants et qui en voulais plus, je suis comblée ! J’en soigne en moyenne 50 par jour, sans compter ceux qui passent me voir mais auxquels je n’administre ni soins ni médicaments. Un jour d’hiver, j’en ai soigné 104 dans la même journée. C’est énorme et à la fois, je me rends compte que l’on pourrait occuper 12 infirmières parce que finalement, plus on en fait, plus les enfants sont demandeurs. J’ai des échos d’écoles où il n’y a pas d’infirmière et dans ces cas là, les enfants se débrouillent. C’est vraiment l’offre qui crée la demande !

CM : Depuis combien de temps exercez-vous ce métier d’infirmière scolaire ? Etait-ce un choix ?

Ca fait dix ans. Avant d’être infirmière scolaire, je travaillais en réanimation dans un service très lourd. J’ai arrêté après la naissance de mon second fils parce que c’était ingérable avec des enfants petits. Je cherchais à faire autre chose, même pas forcément le même métier. Le directeur du collège cherchait un surveillant et il se trouve qu’il me connaissait puisque j’ai fait toute ma scolarité au Parchamp. Je suis donc revenue comme surveillante puis j’ai pris un poste en maternelle comme assistante. Et puis l’infirmière qui avait le poste a voulu un troisième enfant et s’est trouvée enceinte. Elle a pris un congé parental puis démissionné pour s’en occuper. J’ai donc retrouvé ici mon métier d’infirmière.

La santé à l’école: des bobos physiques et psychologiques

CM : Pouvez-vous mesurez la proportion d’enfants qui viennent vous voir avec un réel souci de santé ou juste parce qu’ils sont angoissés ?

La proportion, c’est difficile à dire. On sent très bien chez certains en revanche un processus de fuite dû à une vraie « allergie » au travail avec des difficultés scolaires ; pour d’autres, c’est plutôt un moyen de se sortir de la collectivité, de venir se faire traiter de manière individuelle. Mais c’est vrai qu’il y a aussi des « habitués ». Par exemple, chaque jour de retour de vacances scolaires, si vous me demandez le matin qui je vais voir la première journée, il y a des chances pour que je vous donne une liste qui soit à peu près juste. Il y a des enfants pour lesquels chaque retour de vacances, même petites, est un redémarrage. Il y en a d’autres qui viennent tous les jours au moment où ça sonne et qu’il est l’heure de retourner en classe, quel que soit l’âge, du plus petit au plus grand. D’ailleurs, il y a un phénomène nouveau : il y a 10 ans, cette fuite concernait les collégiens. Maintenant, ça concerne les enfants de plus en plus jeunes.

CM : Avez-vous l’impression que les enfants vous confient des choses qu’ils ne confient pas à leurs parents, d’être un peu une deuxième maman ?

Oui, pour certains c’est le cas. Ca vient peut-être aussi de ma personnalité parce que j’aime bien ce côté-là de mon métier. Et puis, plus ça va, plus on palie une absence de parents qui travaillent beaucoup et ne sont pas beaucoup à la maison. A tel point que le jeudi matin, par exemple, une partie des enfants que je vois se sont fait mal le mercredi après-midi et auraient pu être soignés avant.

Infirmière scolaire: des soins pour chaque tranche d’âges

CM : Dans les enfants que vous recevez, quelles différences fondamentales y a-t-il entre la maternelle, le primaire et le collège ?

En maternelle, il y a beaucoup d’enfants qui sont déposés le matin malades mais auxquels on a donné des médicaments pour faire baisser la fièvre. En milieu de matinée, elle remonte, ils sont grognons, ils sont tout rouges et la maîtresse me les amène. Pour tout ce qui est plaies, bosses, ils sont moins sensibles. Ils sont moins lourds et sont moins hauts que les plus grands alors les chutes font des bobos plus bénins. En primaire, il y a beaucoup de « bobologie », surtout au printemps avec les culottes courtes et les chemisettes, ce sont des genoux et des coudes écorchés sans arrêt. Au collège, ça continue pas mal et puis on voit arriver quelques accidents de sport, entorses, fractures… de vrais accidents de sport.CM : Est-ce que les élèves sont très inquiets quand ils viennent vous voir, comment expriment-ils leurs angoisses de santé ?

Il y a des enfants très anxieux mais ce n’est pas la majorité. Beaucoup d’enfants d’aujourd’hui sont livrés à eux-mêmes avec une surinformation, Internet, la télé, et ne savent pas faire le tri. Ils engrangent tout un tas d’informations auxquelles ils ne comprennent finalement pas grand-chose et ça, c’est source de stress. Et puis on est dans une époque où l’on est passé d’un extrême à l’autre. A l’époque de nos grand-mères, on ne disait rien de rien aux enfants… Aujourd’hui on a tendance à en dire trop. Et les enfants en sont perturbés. Ca, je le ressens vraiment beaucoup.

Comment va la santé de nos enfants?

CM : Quelles sont les  différences de comportement  entre les filles et les garçons ?

Les garçons, ça remue beaucoup, ça se bagarre aussi, alors ce sont beaucoup de plaies et  de bosses. Ou alors ils viennent ici pour fuir les cours de façon presque affichée. Parfois, je me fâche et ils remontent en classe. Les filles sont beaucoup plus subtiles pour essayer de faire croire qu’elles sont vraiment malades, elles utilisent des stratagèmes incroyables !

CM : En dix ans, avez-vous vu évoluer globalement l’état de santé des enfants ?

Oui, les enfants sont beaucoup plus fatigués. Ils se couchent de plus en plus tard, beaucoup se lèvent très tôt parce que les parents doivent partir travailler. Ca leur fait des sacrées journées. Ici, beaucoup de mamans rentrent tard alors on dîne tard et on dort tard. Et puis beaucoup d’enfants ont un téléviseur ou un ordinateur dans leur propre chambre… C’est incontrôlable. Dans la salle d’attente, j’écoute ce qui se dit. Il y a des enfants qui sont sur msn jusqu’à 1h, 2h du matin, même en 6ème. Ajoutez à ce phénomène
une suractivité – certains ont jusqu ‘à 5 ou 6 activités par semaine en plus de l’école – et vous avez des enfants épuisés à force de trajets et d’organisations compliquées.

Infirmières scolaires : un réel complément de santé

CM : Vous arrive-t-il de trouver des pathologies que les parents n’avaient pas vues et comment le prennent-ils ?

A l’occasion de soins, je découvre des choses bêtes, par exemple des poux, des caries quand ils viennent pour des petites plaies de la bouche ou des enfants qui ont de l’impétigo. Les parents réagissent bien en général. Ils aiment moins quand je leur fait remarquer que dans certains cas l’éviction scolaire est obligatoire. C’est-à-dire qu’il faut garder un enfant contagieux à la maison. Ca leur pose un problème de garde. Il y a pourtant une liste officielle très précise. Le souci, c’est que ce texte de loi est ancien et que les pédiatres et médecins considèrent que ça n’est pas toujours justifié.CM : Dans votre établissement, y a-t-il des enfants souffrant de maladies chroniques et comment les gérez-vous ?

De plus en plus d’enfants ont des allergies alimentaires. Ils sont une cinquantaine, l’équivalent d’une classe à peu près. La plupart se gèrent tout seuls, ils savent ce qu’ils ne doivent pas manger. Les CP et les CE1, en revanche sont encore un peu petits, et les maternelles sont très surveillés. Nous en avons plusieurs qui ont des allergies graves au point d’avoir une seringue à l’école en cas de complication. Nous avons aussi régulièrement quelques enfants atteints de maladies graves, hémophilie, diabète insulinodépendant myopathie, etc. Paradoxalement, ce sont les moins consommateurs d’infirmerie.

Infirmière scolaire: les cas d’urgence

CM : Comment gérez-vous les accidents qui nécessitent par exemple une hospitalisation ?

Je préviens dans l’ordre les services de secours, les parents et l’un des directeurs. C’est toujours bien qu’il y ait un autre adulte que moi qui soit au courant de ce qui se passe dans l’établissement mais il ne faut pas semer la panique. Hélas, quand les enfants sont témoins d’accidents, ils sont parfois très perturbés. Mais je me sens un peu seule face à tout ça. Il y a aujourd’hui des professionnels formés pour ce genre de choses. Je me demande s’il ne faudrait pas faire venir quelqu’un dans ces cas-là même si les parents peuvent prendre cela en charge au coup par coup.CM : L’évolution des schémas familiaux (séparations plus fréquentes, familles recomposées) a-t-elle une influence sur la santé des enfants ?

Toutes ces situations familiales commencent à poser des problèmes ici et notamment les résidences alternées. C’est sans doute une bonne solution pour les parents mais on a des enfants qui sont perdus à vivre une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. L’école devient leur point fixe, leur lieu de vie, là où ils passent le plus de temps. Ca marche si les deux parents sont dans le même quartier et que par exemple que les enfants peuvent récupérer leurs affaires facilement en cas d’oubli. Au collège, c’est une source de stress, ils ont toujours oublié quelque chose et ils sont sanctionnés pour cela, c’est source de beaucoup de complications. Et moi l’infirmière, je suis aussi victime de cela : quand il y a un bobo, on fait traîner jusqu’à ce que ce soit l’autre parent qui s’en occupe… L’enfant finit par venir me voir, il sait que je suis là. De plus en plus d’enfants vivent seuls avec un seul parent et pas mal de mamans ou papas se déchargent de leurs soucis, font part de tout à leur enfant comme si c’était un conjoint, leur font porter inconsciemment des choses qu’ils ne devraient pas porter et ça aussi, c’est très déstabilisant pour leur bien-être.

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