Enfance et psy : l’interview de Jacques Salomé

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Psychosociologue, écrivain et père de cinq enfants, Jacques Salomé a beaucoup écrit sur l’art de communiquer. Il publie aujourd’hui chez Albin Michel « Je viens de toutes mes enfances ». L’occasion pour Côté Mômes de revisiter avec lui les trésors de l’enfance.

Il y a toujours un enfant en nous

Côté Mômes : Votre livre révèle la vie intérieure très riche que vous aviez, enfant. Pensez-vous que les adultes oublient qui ils ont été, qu’il soit difficile pour eux d’écouter, d’entendre ce que les enfants ont à leur dire ?

Jacques Salomé : Je crois que chacun d’entre nous peut oublier, se souvenir ou revisiter chacun de ses enfants en fonction d’événements qui surgissent au cours de sa vie d’adulte et ainsi se réconcilier avec l’une ou l’autre de ses enfances. Certaines situations de l’enfance laissent des traces profondes, bonnes ou mauvaises. Le fait d’avoir des enfants réveille chez les adultes des émotions, des souvenirs ou encore réactive des blessures enfouies ou cachées. Au fond, être à l’écoute d’un enfant, c’est être capable d’avoir à la fois une écoute centrée sur ce que nous dit notre enfant et une écoute qui tente d’accéder à l’expression de son ressenti, des perceptions qui se sont inscrites en lui. Mais pour cela, il ne faut pas avoir peur de « réactiver » l’enfant qui est en nous.

CM : Vous racontez comment vous preniez sur vous le chagrin de votre maman. Pensez-vous que les enfants soient finalement des protecteurs de leurs parents ?

JS : Certains enfants, pas tous, peuvent en effet se « parentifier », c’est-à-dire prendre en charge la réparation des blessures d’enfance de leurs parents. Comme s’ils voulaient les soulager (par exemple prendre un peu de la tristesse d’une mère qui a perdu un enfant ou prendre les soucis d’un père qui a été licencié…). L’intensité de leur ressenti va dépendre du moment où ils vont inscrire en eux ce que j’appelle des fidélités ou des loyautés invisibles.

CM : Comment interprétez-vous aujourd’hui la maladie qui vous a « cloué » pendant quatre ans sur un lit d’hôpital ?

 

JS : J’ai vécu ma maladie, au moment où elle a surgi dans ma vie, à 9 ans, comme une injustice. Ce n’est que plus tard que j’ai pu en comprendre le sens. Cette maladie a changé entièrement le cours de ma vie. Le fait de séjourner durant 4 ans en sanatorium, couché, plâtré des chevilles jusqu’au cou, partageant à plein temps la vie de camarades malades comme moi m’a ouvert sur la lecture, les études, à décuplé les ressources de mon imaginaire, m’a fait découvrir l’importance de la relation, la nécessité d’avoir des échanges en réciprocité, stimulants, vivifiants et surtout de trouver une cohérence à mon existence, dans le fait de transmettre plus tard ce que j’avais appris sur les relations humaines.

 

CM : Finalement, vouloir faire le bonheur de son enfant à tout prix n’est-il pas un leurre ?

 

JS : Vous avez tout à fait raison : il ne s’agit de vouloir à tout prix rendre nos enfants heureux car, dans ce cas, on dépose trop de nos angoisses, de nos peurs, de nos désirs ou de nos rêves avortés. Il ne s’agit pas non plus de « réparer » nos propres difficultés scolaires en voulant qu’ils réussissent en classe. Il s’agit de les accompagner : la fonction d’accompagnement est une fonction fondamentale qui consiste à être présent, attentif, soutenant, valorisant et surtout stimulant pour nos enfants.

 

Enfance et psy: leur apprendre à communiquer

 

CM : Je voudrais revenir avec vous sur votre combat pour que l’art de communiquer soit enseigné à l’école.

Oui, je me bats depuis 40 ans pour qu’on enseigne la communication relationnelle à l’école, qu’on apprenne aux enfants quelques règles d’hygiène relationnelle qui seraient le socle commun qui permettrait à chacun de demander, de donner, de recevoir ou de refuser. Pour l’instant, je ne vois pas une sensibilisation suffisante des structures éducatives. Quelques enseignants ont décidé de transmettre quelques bases, quelques balises, quelques outils pour échanger et mettre en commun, ce qui est le vrai sens du mot communication. Les autorités semblent encore frileuses, pas suffisamment à l’école des besoins relationnels des enseignants, des parents et des élèves.


CM : L’école dit vouloir la réussite pour tous… Ne faudrait-il pas vouloir plutôt la réussite pour chacun ?

JS : L’école d’aujourd’hui me semble être dans une impasse, qui va s’aggravant, qui se traduit par beaucoup de tensions et de violences directes ou indirectes. Il ne s’agit pas de viser la réussite de tous, mais de permettre à chacun enfant d’accéder non seulement à des savoirs et à des savoirs faire mais de favoriser chez chacun du savoir être, du savoir devenir et du savoir créer. Et cela passe par un apprentissage de la communication. Leur apprendre à communiquer, à échanger, à partager pour leur éviter d’avoir à mettre des maux (sur les autres et sur eux mêmes) parce qu’ils n’auront pas de mots pour le dire.

 

CM : Si les enfants apprenaient à communiquer à l’école, en quoi leur vie, selon vous, en serait-elle transformée ?

 

JS : Si on apprenait la communication à l’école comme une matière à part entière, toute la vie de nos enfants serait transformée parce qu’ils apprendraient à communiquer non dans l’affrontement mais dans la confrontation (poser son point de vue devant celui de l’autre et non sur celui de l’autre), à exprimer leurs ressentis, ce qui éviterait les « passages à l’acte » sous forme de violences verbales ou physiques, à agrandir leur réceptivité, leur disponibilité et leurs ressources, plutôt que de rester sur des positions défensives ou agressives. Je ne désespère qu’un jour, nous comprenions mieux que nous sommes des êtres de relations, que nous avons besoin d’une communication respectueuse des besoins relationnels de chacun (être entendu, valorisé, respecté), pour construire un monde où la paix pourra agrandir les possibles immenses de la vie.

 

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