Présidentielle 2012: quand l’UNICEF met les pieds dans le plat

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Dès le mois de Janvier, l’UNICEF élaborait un manifeste en 10 propositions, sur la base de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et d’un diagnostic de la situation nationale, afin d’alerter les candidats à la présidentielle sur l’état d’extrême précarité de plusieurs millions d’enfants de France. Nous avons interrogé Jacques Hintzy, président de l’UNICEF France, afin d’éclairer cette élection sous un jour qui soit plus favorable à la cause des enfants.Côté Mômes : On attend en général l’UNICEF sur le terrain de la solidarité internationale, or, avec votre appel aux candidats à l’élection présidentielle, vous prenez pieds sur un terrain très franco-français. Est-ce que c’est un changement de cap ou une forme d’opportunisme lié à la conjoncture de cette élection ?Jacques Hintzy : C’est une politique déterminée, que nous avons amorcée en 1999, au moment où l’on fêtait les 10 ans de la convention des droits de l’enfant, en France. A cette occasion, il m’a semblé que c’était bien de commémorer un anniversaire, mais que cela n’avait aucune signification si on ne poursuivait pas la promotion de ces droits en France. Donc nous avons décidé de promouvoir cette convention depuis 1999, par plusieurs actions. Nous menons d’abord des actions vers les écoles, les lycées et les collèges.

Nous faisons plus d’un millier d’interventions su les droits de l’enfant par an dans des établissements scolaires et dans le cadre d’un accord avec l’Education nationale. Ensuite, nous avons pris une seconde initiative en 2002 en créant le réseau des villes amies des enfants. Nous avons actuellement 222 villes et 2 départements amis des enfants. Cela rassemble 1 français sur 5. C’est un réseau assez puissant qui a une influence significative.C.M. : Quelles contraintes cela implique-t-il ?J.H. : Nous leur demandons de veiller à l’application en proximité de la convention des droits de l’enfant. En particulier de faire que la ville soit plus accueillante pour les enfants, de faire en sorte que les enfants participent aux décisions qui peuvent les concerner et de développer un esprit de solidarité internationale. La défense de l’application de la convention des droits de l’enfant est d’ailleurs une des 5 priorités mondiales de l’UNICEF. C’est donc un mandat international, au même titre que la survie de l’enfant, la lutte contre les violences et exploitations, la scolarisation et la lutte contre le Sida des enfants. Notre action en France est donc au cœur des missions mondiales de l’UNICEF.C.M. : Comment appliquez-vous ce travail sur la Convention des droits de l’enfant ?J.H. : Nous travaillons sur le respect de l’application globale de la convention, mais aussi sur des cas précis et particuliers qui en relèvent. Au niveau de l’application globale de la convention, il existe un comité des droits de l’enfant qui siège à Genève et qui dépend des Nations Unies. Ce comité auditionne les pays tous les 5 ans sur leur application de la convention.

Le gouvernement de chaque pays fait un rapport mais un rapport identique est demandé aux ONG des contre-rapports sur l’application de la Convention. Notre dernier rapport date de 2009. Le manifeste est aussi l’occasion pour nous de clarifier différents points à l’occasion des élections présidentielles. C’est un moment où on peut attirer l’attention des candidats, et donc du futur Président de la République sur les problèmes qui peuvent se poser à l’enfance en France.C.M. : Le contenu du manifeste est-il directement appuyé sur votre contre rapport de 2009 ?J.H. : Notre rapport, complété par un travail effectué par le défenseur des enfants et poursuivi par des conclusions du comité de Genève, était très dense, très complet. Notre démarche, à l’occasion des présidentielles, s’appuie sur ces travaux mais en hiérarchisant les demandes. Nous avons également souhaité simplifier la démarche en ne faisant émerger que 10 points.C.M. : Est-ce une façon de peser sur l’élection ?J.H. : Nous sommes complètement apolitiques. Nous n’avons aucun intérêt d’être dans une position de censeur vis-à-vis du gouvernement actuel. Nous ne sommes pas là pour donner des mauvais points ou pencher d’un côté ou de l’autre. Nous sommes là pour dire au prochain candidat voilà vers où il faut aller et ce qui est essentiel pour les enfants.C.M. : Vous mettez en avant l’idée de créer un ministère des mineurs. En quoi un tel ministère permettrait une politique de l’enfance plus efficace ?J.H. : Lorsqu’il y un ministre de plein exercice sur les problèmes de l’enfance, on a plus de relais au gouvernement que lorsqu’il n’y en a pas. Les politiques de l’enfance dépendent actuellement de 6 ministères différents et de 4 échelons territoriaux. Arriver à trouver une synergie et bien coordonner cet ensemble, ce n’est pas facile.

Aujourd’hui, l’enfant est réduit soit à l’écolier, soit au délinquant, au malade, au handicapé… et si un enfant est en échec scolaire, c’est peut-être parce qu’il a des problèmes de santé, de logement ou familiaux. Analyser ainsi l’enfant par tranches, ce n’est pas une façon d’avoir une vision globale de l’enfance. C’est ce que disait d’ailleurs le comité des droits dans son rapport. Nous demandons donc un Ministère qui regrouperait toutes les fonctions qui peuvent être au service de l’enfant.

Ensuite, nous demandons la rédaction d’un code de l’enfance qui regrouperait toutes les dispositions concernant l’enfant, et pas seulement un code de l’enfant délinquant. Enfin, nous souhaiterions que soit créé un observatoire de la situation des enfants. Il n’y a pas actuellement en France un centre statistique qui couvre toutes les données qui concernent le monde de l’enfance. Cela existe mais ne concerne que l’enfance en danger, soit 300.000 enfants sur 12 millions.C.M. : Deux millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France, aujourd’hui. De quels biens ou soins de première nécessité sont-ils privés ?J.H. : A partir du moment où leur famille vit sous le seuil de pauvreté, ce sont des enfants qui connaissent des problèmes de logement, de santé par défaut de soins, dont les parents ne peuvent pas payer la cantine, qui rentrent souvent seuls le soir, qui sont parfois livrés à eux-mêmes dans la rue, qui n’ont pas accès aux loisirs, qui ne partent pas en vacances… Ces difficultés de la vie handicapent donc leur développement.C.M. : Votre manifeste met l’accent sur l’équité scolaire. La suppression de la carte scolaire était censée permettre une plus grande mixité et donc de remettre en marche l’ascenseur social… quel est votre constat ?J.H. : L’équité nous parait menacée au regard de ses résultats. La France consacre un budget conséquent à son école. C’est un investissement important en comparaison d’autres pays de l’OCDE et cependant, la France a des résultats pour le moins médiocres en matière d’Education. 1/5ème des enfants sortent du cycle scolaire sans diplôme. Nous ne sommes pas des spécialistes de l’éducation mais nous sommes là pour défendre les enfants et nous pensons qu’un système qu’un enfant sur 5 quitte sans diplôme est un système inique socialement.C.M. : Vous revenez sur la justice des mineurs dans le manifeste. Depuis le projet de révision de l’ordonnance de 45, en 2007, vous avez régulièrement alertez les autorités sur un risque de dérive. Quelles sont vos craintes ?J.H. : L’ordonnance de 1945 est assez claire sur deux points. Elle dit qu’il faut toujours privilégier l’éducatif sur le répressif, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de répression. Elle dit également qu’il ne faut pas juger un mineur comme un adulte. Or, un mineur c’est un moins de 18 ans.

Depuis la loi Perben, de 2007, à chaque fait divers regrettable qui s’est répété mettant en cause un mineur, un discours sur la délinquance des jeunes s’est installé, tendant à présenter chaque jeune comme un délinquant en puissance. En parallèle, une série de lois a tenté de raboter l’âge de 18 ans et de l’abaisser tandis qu’on essayait de renvoyer la justice des mineurs à la justice des adultes. Pourtant, il n’y a pas d’explosion du nombre des délits et la justice des mineurs fonctionne mieux en matière de taux d’affaires traitées. Il n’y a donc pas de raison objective qui fasse revenir sur les ordonnances de 45.C.M. : quels sont les points de la convention des droits de l’enfant dont l’application laisse à désirer en France ?J.H. : On est le pays qui a la plus forte natalité en Europe. Cette jeunesse doit être mise en perspective et cela ne se fera pas sans le ministère dont nous parlions auparavant. Il faut que cesse le saucissonnage des politiques de l’enfance. C’est un manque d’intérêt pour l’avenir de l’enfance. Evidemment, en période électorale, ces 13 millions de mineurs ne votent pas. Il n’y a plus de ministère de la famille, il n’y a plus de défenseur des enfants indépendant, il n’y a pas de délégation parlementaire aux droits de l’enfant, il n’y a pas d’examen annuel à l’assemblée nationale des politiques de l’enfance.

Il n’y a que des politiques sectorielles qui sont parfois bonnes, de gros progrès ont été faits sur le handicap, mais rien qui donne une cohérence et un souci d’ensemble. D’autre part, nous recommandons que soit prises des mesures d’urgences pour ces deux millions d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous demandons que soit créé un droit de compensation à la pauvreté pour les enfants. Il y a d’autres situations qui demeurent alarmantes. Celle des mineurs étrangers isolés, celle des enfants handicapés qui n’ont pas d’aide scolaire… mais ce sont des considérations sectorielles et c’est une approche d’ensemble vers laquelle nous entendons amener les candidats.C.M. : Vous demandez un moratoire sur l’adoption d’enfants étrangers, notamment dans les cas de catastrophes naturelles, pourtant, on pourrait penser que, dans des cas comme Haïti, l’urgence est au contraire de permettre l’accueil d’enfants ?J.H. : La réaction commune, compassionnelle, serait de penser ça. Que se passe-t-il dans une situation de catastrophe ? Des enfants sont séparés de leurs parents. Ils sont traumatisés par la catastrophe et par ses conséquences familiales. On voudrait les traumatiser encore plus en les déracinant de leur pays. Ils peuvent être recueillis par des membres de leur famille, et parfois leurs parents peuvent réapparaitre, même un an après. Nous savons, de par l’expérience de l’UNICEF, qu’un délai de deux ans est nécessaire avant d’être certain que des enfants ne retrouveront aucun parent.C.M. : La crise atteint violemment les enfants et plus seulement dans les pays du Sud. La mondialisation n’a-t-elle pas entrainé une globalisation des problèmes de l’enfance. Est-ce la raison ?J.H. : Rien de ce qui concerne les enfants, dans chaque pays, n’est étranger à l’UNICEF. C’est notre mission d’être leurs avocats. Nous ne devons donc pas traiter chaque pays en fonction de son niveau global en partant du principe que plus le pays serait pauvre, plus il y aurait une urgence ou une priorité pour l’enfance à son endroit au regard d’autres pays. Nous devons faire une analyse très détaillée de chaque pays, ville par ville, canton par canton, et être présent dans tous les endroits où les enfants sont défavorisés. Il faut aller chercher les groupes les plus défavorisés où qu’ils soient.

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