Beaux-parents : les oubliés de la famille ?

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Le statut du beau-parent, absent des programmes des candidats à l’Élysée, semble aujourd’hui oublié. Pour autant, l’intérêt marqué des familles recomposées pour sa création demeure. Un sondage Ifop de mars dernier montre que 83 % des Français (plus de 8 sur 10) sont favorables à sa création.

Surfant sur ces interrogations, le Web multiplie depuis quelques mois les sites dédiés. Portails, espaces communautaires, sites collaboratifs de beaux-parents… Chacun conseille et informe sur les points de droit et les responsabilités, et favorise aussi l’échange entre ces familles, où vivent plus de 2 millions d’enfants. Le dernier-né de la Toile, beauxparents.fr, veut ainsi rompre l’isolement des « grands oubliés des mutations familiales » en leur dédiant un espace d’expression. Après sa rencontre avec un homme qui a trois enfants, Sabine Coulon a décidé de créer ce site en février dernier. Son objectif, « avoir une liberté de ton et d’être ouvert aux belles-mères et aux beaux-pères. Le but du site n’est pas de se plaindre de sa situation de beau-parent, mais d’avoir le droit de dire merde ! » Et les résultats sont là, 90% des internautes qui s’expriment sur le forum sont des belles-mères : « elles se disent soulager de ne pas être seules dans leur situation.

Les femmes ont souvent plus de facilités à se dévoiler, et il est souvent plus difficile d’être une belle-mère qu’un beau-père », explique Sabine. Pour les aider à s’exprimer, le site héberge un forum. « Il y a quatre grands thèmes qui ressortent. L’éducation des enfants : la culpabilité de ne pas avoir donné à ses enfants le modèle de la famille classique, papa, maman et les enfants. Il est alors difficile de trouver ses marques dans un foyer avec des enfants qui ne sont pas les siens. Les problèmes d’argent reviennent aussi fréquemment, car, à part exceptions, une séparation appauvrie les gens, et il faut intégrer dans sa vie le coût des enfants d’un autre. Et enfin la place de l’ex, qui n’est pas toujours très bien définie et parfois mal vécue. »

Le beau-parent et l’exercice de l’autorité parentale

En France, le beau-parent n’a en principe aucun droit ni aucun devoir envers l’enfant de son conjoint ou de la personne avec laquelle il vit.

 

Toutefois, deux dispositions du code civil lui permettent l’une d’exercer, totalement ou partiellement, l’autorité parentale sur cet enfant, et l’autre de partager l’exercice de l’autorité parentale avec l’un des deux parents, voire avec les deux. Ces mesures ne sont pas réservées au beau-parent et peuvent donc être mises en œuvre au bénéfice d’autres tiers. Dans tous les cas, une décision du juge aux affaires familiales, qui ne peut être saisi que par le ou les parents détenteurs de l’autorité parentale, est nécessaire.

 

– La délégation volontaire par les parents à un tiers, qui prévoit que le juge peut décider la délégation totale ou partielle de l’exercice de l’autorité parentale à un « proche digne de confiance » à la demande des père et mère, agissant ensemble ou séparément « lorsque les circonstances l’exigent ».

 

– La délégation-partage, relative à l’autorité parentale, qui déclare que le juge peut prévoir un partage de l’autorité parentale entre le ou les parents de l’enfant et le tiers délégataire « pour les besoins de l’éducation de l’enfant ». À la différence de la délégation volontaire, ce dispositif permet au beau-parent de participer à l’exercice de l’autorité parentale sans qu’aucun des deux parents ne perde ses prérogatives.

Agnès de Viaris, psychologue spécialisée dans les problématiques familiales.

Côté mômes – Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les beaux-parents, et les enfants qui vivent cette situation ?

 

Agnès de Viaris – La principale difficulté c’est d’accepter qu’une longue période soit nécessaire et incontournable pour s’apprivoiser, faire connaissance avec l’histoire de l’autre. Cette première période, que j’appelle ‘Recomposition’, précède la ‘Famille recomposée’. On n’est pas d’emblée beau-parent ou bel enfant, on le devient.

 

Il faut d’abord passer par cette phase d’intégration de la différence, de cette partie étrangère dans la nouvelle structure familiale. L’intimité d’une famille se construit sur un ensemble de points de reconnaissance, conscients ou inconscients. C’est ce qui personnifie et définit la famille.

 

 Pour le beau-parent et le parent, il faut faire le deuil du couple classique, de la famille idéalisée, celle des rêves. Pour l’enfant, c’est le deuil de la famille avec ses deux parents réunis comme unique modèle de construction de sa personnalité.

 

 La Recomposition, c’est donc cette confrontation à l’autre dans toute sa complexité. Dans mon livre j’ai justement choisi de mettre l’accent sur cette vision constructive de la nouvelle famille comme Ecole de Vie où petits et grands apprennent l’Autre dans toute sa diversité. Un exercice d’humanité dans notre monde où l’empathie, l’adaptation et l’intégration sont au cœur de tous les débats. La famille est alors un vrai lieu de mise en pratique de ces valeurs.      

Après la difficulté des premiers temps, cela se calme. Grands et petits ont fait connaissance, la part inconnue s’est dissipée, chacun peut s’appuyer sur des repères et prendre sa place dans la nouvelle dimension familiale. Celle-ci se construit alors en fonction de la personnalité de ses membres avec ses zones de fragilité ou d’imperfection comme dans toute famille classique. Mais tout cela prend du temps et ne se fait pas en un jour. 

 

CM – Quelles différences observez-vous entre les beaux-pères et les belles-mères ?

 

ADV – La situation de séparation met le père et beau-père dans une position très contradictoire et inconfortable, car il s’éloigne souvent de ses enfants, au moins physiquement. Il sait qu’il doit maintenir le lien dans l’intérêt des enfants et ses enfants lui manquent très vite. Tout cela n’est pas si simple dans la tête d’un père à nouveau amoureux. Un pied dans son ancienne vie par les enfants. Un pied dans la nouvelle. Un grand écart qu’il n’a pas nécessairement anticipé. La proximité maternelle de sa conjointe et de ses beaux-enfants lui semble autoriser cette position en retrait, qui bien souvent lui va bien. Différents cas de figures sont alors possibles :

 

Le beau-père qui continue à remplir son rôle de responsable de famille et qui s’implique dans l’éducation de ses beaux-enfants. La mère « Merci d’être venu à la réunion des professeurs. Le père de Sarah ne pouvait pas. C’est important pour lui que l’on se montre à deux face aux enseignants. Cela marque notre implication dans son éducation et ses études.» Cela peut être aussi « Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas que tu cries sur mes enfants comme tu le fais. Ce n’est pas à toi de le faire !… » Il n’est pas facile pour le beau-père de trouver facilement la bonne distance dans sa fonction autoritaire et dans les limites à poser. Sa situation est celle d’un meneur qui ne peut décider puisqu’il y a un père qui existe. Ses beaux-enfants, d’ailleurs, ne manquent pas de le lui rappeler. Cela peut le renvoyer à un sentiment d’impuissance et le conduire à des comportements d’évitement ou de fuite, parfois même de renoncement. « Tu n’as qu’à demander la permission à ta mère, chaque fois que je m’en mêle elle n’est pas d’accord avec moi… »

 

La belle-mère est souvent celle qui s’occupe de la maison et sa façon de voir se heurte inévitablement avec les habitudes des enfants et aussi du père. Dès le début de la recomposition, elle est rapidement confrontée aux règles précédentes que lui renvoient souvent les enfants et qui ne sont pas les siennes. Les enfants s’accrochent à leurs habitudes. Sa manière de faire est remise en question. Elle peut alors ressentir un sentiment d’impasse, et se sent seule. Comment peut-elle s’y prendre ? Elle ne peut sait pas faire autrement et agit comme elle sait et comme elle est, dans l’organisation de son nouveau foyer.

 

Ce qui s’observe c’est que le parent est celui qui présente le beau-parent à ses enfants. L’enfant peut se sentir en danger dans cette nouvelle vie qui se dessine, confronté à la séparation, la peur de perdre ceux qui lui sont les plus chers : ses parents. Cette peur peut entraîner des réactions de rejet, d’agressivité ou toute autre démonstration de refus. Il a besoin d’être rassuré sur la pérennité des sentiments et de l’attention que ses parents ont sur lui. Il est sous la responsabilité des grands et c’est auprès d’eux qu’il peut les exprimer, apprendre à les comprendre et mieux encore, les dépasser.

 

L’adulte qu’il soit beau parent ou parent doit l’y aider. Dans cette aventure, les conflits doivent être dépassés ensemble, les émotions devenant moyens de communication et non moyen de pression.

Comme tout adulte qui partage le quotidien d’un enfant au sein d’un même foyer, le beau-parent, qu’il soit beau-père ou belle-mère a une responsabilité éducative. Il est le soutien du parent dans cette mission sans jamais se substituer à lui.

 

CM – Faut-il, selon vous, accorder des droits aux beaux-parents ?

 

ADV – Oui, cela ne ferait que concrétiser ce qui existe déjà dans beaucoup de familles. Ce statut permettrait au beau-parent d’être tout simplement reconnu dans ce qu’il est et ce qu’il fait auprès des enfants de son conjoint. Un éducateur est bien reconnu comme éducateur, un grand parent comme grand parent, un parent comme parent alors pourquoi la loi ne reconnaîtrait pas un beau-parent comme beau-parent tout aussi simplement. Il ne s’agit pas de prendre la place du parent puisque ce n’est pas une reconnaissance de statut de parent mais de beau-parent !

 

La difficulté tient davantage aux adultes qui ne doivent pas se placer sur un mode de rivalités mais d’intérêt de l’enfant. Le statut réveille la peur de perdre sa place de parent. En fait, il peut au contraire aider à clarifier les situations en laissant chaque adulte à sa place et dans sa fonction. Tout adulte a une responsabilité face à un enfant en devenir et c’est cela que la loi doit mettre en avant. A chacun de prendre la sienne dans ces nouvelles familles et la loi peut donc en fixer les limites.

Refuser ce statut peut aussi être une manière de nier la réalité et de conduire l’enfant à rester campé sur des positions qui l’empêchent de reprendre le cours de son enfance. Il risque de rester bloqué dans des schémas conflictuels.

Statut ou pas, l’enfant fait parfaitement la distinction entre le parent et le beau-parent. Il n’y a donc pas de risques d’amalgames. L’enfant ne s’y trompe pas.

C’est davantage la rivalité des adultes qui est en jeu. La loi doit donc tenir compte de cette complexité qu’ont les adultes (parents, beaux-parents, ex) à gérer cette situation de Recomposition. Ce statut ne doit pas être une occasion de conflit supplémentaire mais d’éclaircissement des places de chacun de membres de cette famille recomposée sans possibilité d’opacité ou de non-dits.

C’est aussi une façon implicite de recadrer la place et le rôle du parent. Et pour ceux qui voient moins souvent leurs enfants, c’est l’occasion de rappeler l’importance du lien qu’ils doivent à tout prix maintenir avec leur enfant. Ce dernier se construira d’autant mieux qu’il est entouré d’adultes qui le soutiennent et le guident. Discuter ensemble de l’éducation et de ce qui est bon pour lui est dans son intérêt. Il a tout à y gagner. Il peut être rassuré de voir les adultes en bonne intelligence veiller sur lui, chacun dans leurs rôles respectifs. C’est aussi une façon de transmettre à l’enfant l’importance de se mettre à la place de l’autre, cette qualité qu’est l’empathie pour mieux communiquer et donc mieux se préparer au monde qui l’attend demain quand à son tour il sera adulte et devra faire des choix.

L’ensemble des membres a besoin d’être soutenu dans sa démarche. On peut imaginer qu’avec la réflexion sur ce statut, un accompagnement par des professionnels de la famille pourrait être envisagé. Il aurait pour mission d’aider à franchir les difficiles étapes de construction vers une Famille Recomposée. La loi pourrait aussi statuer pour reconnaître le terme bel-enfant qui par contraposée est la marque de l’acceptation par le beau-parent de cet enfant dans une vraie place.

Ce statut peut donc faciliter les relations familiales. Néanmoins, il n’est pas une nécessité encore moins une obligation.

CM – Les beaux-parents que vous rencontrez en consultation souffrent-t-ils de cette non reconnaissance juridique ?

 

ADV – Oui et non.

 

Quand les relations avec les enfants du conjoint sont bonnes, le beau-parent n’exprime pas le besoin de ce statut même s’il serait content d’être reconnu en tant que tel.

En général, si les beaux parents souffrent de ce manque de reconnaissance, c’est que se dessine derrière une autre difficulté que la Recomposition a réveillé. Des rivalités d’enfance qui resurgissent ou d’autres problèmes révélés dans cette mise à l’épreuve.

C’est un choix de démarrer une relation amoureuse avec une personne, cela en est un autre de devenir beau-parent. C’est une autre responsabilité dont il faut être conscient au départ. Il va falloir soutenir le parent dans sa fonction éducative et cela, le nouveau conjoint n’est pas toujours prêt. La loi l’amène à prendre cette responsabilité et peut l’aider à mieux mesurer les conséquences de cet engagement. L’implication est nécessaire qu’elle qu’en soit la forme. Si l’adulte ne souhaite pas rentrer dans ce schéma, libre à lui de ne pas habiter dans le même foyer. Mais s’il participe à la vie de l’enfant de l’autre, il a une responsabilité d’adulte bienveillant à assumer. Une famille recomposée n’est pas facile à constituer, cela s’apprend et nécessite de s’y pencher. On ne peut impunément se choisir un conjoint sans tenir compte de cette responsabilité.

 

CM – Quels changements cela apporterait-il pour les enfants ?

 

ADV – Une clarification de la situation pour les aider à avancer plus vite après cette étape douloureuse de subir l’éloignement de leurs deux parents. Les aider à entendre qu’ils n’ont pas nécessairement tout à y perdre. Peut-être même vont-ils y gagner. Surtout s’ils sont entourés d’adultes qui s’engagent envers eux. Cette reconnaissance de la société légitime leur situation qui peut ainsi leur paraître moins bancale. Ils peuvent en effet se sentir rassuré de voir leur réalité familiale ainsi mieux décrite dans les textes de lois et moins opaques. Et on peut imaginer que la société aurait franchi un grand pas en plaçant la famille recomposée comme un univers que l’on doit soutenir et accompagner dans sa construction et non critiquer dans sa conception.

Agnès de Viaris, Famille recomposée, guide des premiers secours pour une vie harmonieuse, Les carnets de l’info, 13,90 euros.

plus d’infos : http://www.famille-recomposee.com

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