Etre heureux à l’école ? C’est possible !

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Il n’y a pas que l’école de Jules Ferry qui fasse référence dans le monde éducatif. Les pédagogies alternatives, Antonella Verdiani en a fait son cheval de bataille. Docteur en sciences de l’éducation, elle a longtemps travaillé à l’Unesco en tant que spécialiste de programmes dans le secteur de l’éducation. Dans Ces écoles qui rendent nos enfants heureux (Actes Sud, 2012), elle défend une pédagogie hors des sentiers battus : l’éducation à la joie. Rencontre.

Votre parcours est dédié notamment à la promotion de méthodes pédagogiques alternatives. Comment avez-vous découvert ces méthodes ? Qu’est ce qui vous a convaincu à les défendre ?

J’ai beaucoup voyagé, lors de ma carrière à l’Unesco, mais aussi pour mes recherches d’étude. Par exemple en Inde, à Auroville, j’ai découvert des écoles un « peu spéciales » qui ne délivrent pas de diplômes reconnus par l’état, mais où l’enseignement est de très haut niveau et où les jeunes sont très heureux ! Ces sont des écoles, comme par ailleurs celles d’autres pays cités dans mon livre, où les étudiants choisissent leur parcours scolaire, préparent leur programme selon leurs centres d’intérêt et, s’ils le désirent, sont même aidés pour accéder à l’université.

Ce qui m’a convaincue à les défendre, mais surtout à les faire connaître, c’est le fait que ces pédagogies qui nous paraissent si lointaines ou exotiques, n’ont rien, mais elles sont « humanistes ». En fait elles replacent  l’humain, – l’enfant, l’adolescent, le jeune – au centre du parcours éducatif. Et elles peuvent s’adapter à nos contextes socioculturels, sans aucun problème.  Je dirais même qu’elles sont idéales pour éduquer les enfants des classes multiculturelles et multireligieuses de nos écoles aujourd’hui.    

« Alternatives ». Ce qualificatif vous agace ?

Si par l’adjectif « alternatif » on doit désigner la possibilité du libre choix des individus face au « mainstream », au courant du système public institutionnel, j’accepte volontiers ce terme. Cependant il est quand même assez étrange que des pédagogies comme Montessori, Steiner, Freinet (pour ne nommer que les plus connues chez nous) soient encore considérées comme « alternatives »… Il faut signaler au passage qu’elles ont en moyenne 100 ans d’existence et qu’elles ont éduqué des générations d’enfants épanouis, des adultes qui ont « réussi » selon les paramètres de la société moderne.

Quels sont les fondements de « L’éducation à la joie » dont vous parlez dans votre livre ?

J’ai fondé mon approche sur une évidence : quand on est en contact avec ce qu’on aime étudier, lire, pratiquer, ou tout simplement faire, on est contents, n’est-ce pas ? Regardez un enfant jouer, construire un objet, découvrir une fleur, être en contact avec des animaux, la nature… Il y a dans chacun de nous, une prédisposition naturelle à la joie de vivre lorsque on s’adonne à des activités qui nous épanouissent. Alors, pourquoi ne pas commencer par développer nos intérêts et les approfondir davantage ? Concrètement, si un enfant est naturellement doué pour le dessin, on ne le forcera pas à étudier les mathématiques pour s’uniformiser avec le reste de la classe qui suit le programme. Au contraire, on cherchera à valoriser son don, son « trésor », en le développant davantage, car c’est par la prise de conscience et la connaissance de sa propre richesse qu’il pourra ensuite aller vers d’autres disciplines. C’est tout simple, même trop simple pour certains, car c’est facile et direct et cela ne demande pas aux enseignants de s’acharner sur l’élève en l’obligeant à apprendre ce qui ne l’intéresse pas.  Cela demande un changement de posture radical aussi de la part de l’enseignant qui va être là seulement pour l’accompagner dans ce chemin de découverte, dans lequel la joie d’apprendre a le rôle de « émotion-guide ».

Considérez-vous que les parents ne sont pas suffisamment informés sur les méthodes d’enseignement différent ?

Disons que, encore aujourd’hui, beaucoup de parents ne se posent pas trop de questions par rapport à l’école de leur enfant : il l’inscrivent à l’école du quartier, car ils savent que l’école est obligatoire (alors que c’est l’instruction qui l’est), qu’elle sert à avoir un diplôme, « réussir » dans la vie, un point c’est tout. Peu importe comment on y arrive ! Cela dit, de plus en plus de familles et de parents, commencent à chercher (et à trouver !) des solutions alternatives, comme celles décrites dans mon livre.

Pour vous, qu’est ce qui cloche dans l’école « classique » ?

Toute l’école traditionnelle est basée sur la compétition plutôt que la coopération, sur le système de notation, les contrôles, les bulletins, les examens, etc. Tout est organisé pour formater des individus à ce que la société demande : on développe le cerveau, le mental, des notions intellectuelles, on forme de plus en plus des êtres hyper spécialisés, des techniciens, des managers… On oublie que ces mêmes êtres ont des émotions, qu’il faut apprendre à reconnaître et à gérer depuis tous petits. On oublie qu’ils ont aussi un corps, « le grand oublié de l’école », car depuis l’école primaire on oblige les enfants à rester assis dans le même banc des heures et des heures… Bref, on oublie qu’on est libres !    

Il y a relativement peu d’écoles alternatives en France actuellement, alors même que ce sont des pédagogies qui ne datent pas d’hier. A quoi attribuez-vous ce manque ?

L’école de Jules Ferry proposait un modèle éducatif qui, malgré les reformes successives, est resté dans sa vision le même, imperméable au vent de renouveau que ces pédagogies visionnaires proposaient déjà il y a plus de cent ans. Aujourd’hui la question est bien plus complexe que à l’époque. Tout en ne remettant pas en cause les avancées sociales de l’école républicaine, comme la laïcité ou la gratuité, il me semble que nous aurions l’intérêt, même avant d’intégrer des nouvelles méthodes, de nous poser une question fondamentale. De quoi rêvons – nous pour nos enfants ? Voulons-nous les rendre, ou les aider à demeurer, des êtres curieux, des esprits libres, des individus créatifs ? Ou bien, voulons-nous qu’ils soient formatés tous à la même école, pour adhérer à un vieux modèle de réussite, de succès et d’argent, dans une société qui, en plus, est en actuellement en faillite ?

Créer une école de ce type n’est pas impossible aujourd’hui. Outre que les écoles Montessori ou Freinet que nous connaissons bien, on commence à importer des principes et des outils pédagogiques venant parfois d’autres horizons, comme le courant de la Slow School, l’éducation lente, ou l’école à la maison. Et, si on écoute par exemple les directrices de nouvelles écoles françaises, comme celle du Colibri aux Amanins ou Living School à Paris, créer son école n’est pas si difficile. Il y a des pistes d’action que j’indique à la fin de mon livre, pour se former et s’informer, mais surtout partager avec d’autres qui ont déjà tenté l’aventure. Aussi, il faut se relier avec d’autres acteurs du changement en éducation : il y en a beaucoup, y compris à l’Education nationale, qui cherchent à innover et à changer l’institution du dedans ! C’est la raison pour laquelle j’ai voulu, avec d’autres partenaires engagés dans ce sens, créer une alliance pour le renouveau éducatif qui s’appelle « Printemps de l’éducation » (www.printemps-education.org) dont l’objectif est de faire rencontrer tous ceux qui cherchent des solutions créatives, nouvelles, originales pour l’école aujourd’hui.

Comment imaginez-vous l’école dans dix ans ? Vous pensez qu’il y aura plus de choix pour les parents ?

Si j’écoute mes rêves, chose que je fais régulièrement, je vois une école ouverte au monde, une école qui suit les rythmes de chaque enfant (et non le contraire), une école où on peut bouger d’une classe à l’autre, où les parents participent activement, où les enseignants sont respectés. Pendant que je vous parle, je m’aperçois que des écoles de ce type existent déjà… Il faut donc agir aujourd’hui pour que dans dix ans elles deviennent plus nombreuses, qu’elles sortent finalement de « l’alternatif » pour devenir reconnues et même encouragées par notre système.

En ce qui concerne les parents, je veux terminer par un témoignage. Dans toutes les formations que je donne, lorsque j’expose des exemples d’écoles qui rendent les enfants heureux, des parents arrive ponctuellement la même question : « éduquer à la joie à Auroville, à Brockwood, dans des lieux si différents, privilégiés, c’est facile… mais comment moi, parent en France aujourd’hui, je peux faire face au malaise de mon enfant, avec des profs qui ne nous écoutent pas, une institution si fermée ? »

Je n’ai pas de réponses toutes faites. Cependant, une des réponses possibles est reliée à la question du choix des parents, non pas en termes d’établissements à choisir pour son enfant, mais en tant que choix de vie, face auquel il est urgent de se positionner aujourd’hui. Ce qui nous est demandé est de « choisir de changer » d’abord en tant que individus-parents, d’abandonner définitivement nos postures de victimes ou d’opposants agressifs d’un système à combattre à tous prix, « l’ennemi numéro un » demeurant l’enseignant pour le parent, le parent pour l’enseignant, et ainsi de suite… Je crois que la seule condition nécessaire au changement est notre réelle disponibilité à changer. 

Un stage pour en savoir plus

Antonella Verdiani organise des stages à destination des enseignants, parents et élèves. Leur objectif : montrer à tous qu’une éducation par la joie est possible. Au programme : théorie avec des exemples de pédagogies venant d’ailleurs et exercices pratiques à réutiliser à l’école, à la maison, avec les jeunes et dans toute autre situation.

Contact : [email protected]

Inscriptions et calendrier des formations : www.educationalajoie.com

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