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Portrait : Yak Rivais, pédagogue impertinent

Admirateur de Beauvoir, ami de Topor, instit iconoclaste, auteur « différent » pour adultes, enfants et enseignants, critique d’art et rigolard… Yak Rivais est un sacré personnage, avec qui on apprend autrement.CM : Peintre, dessinateur, écrivain, enseignant… : vous n’arriviez pas à choisir ?
YR : A 5 ans, je voulais être : « instituteur ou cow-boy », voyez, c’était au poil… A l’époque, dans les milieux modestes, seuls les premiers de chaque classe étaient envoyés à l’Ecole Normale. L’Etat nous payait nos études, moyennant quoi on devait être instit ou prof. Certaines années, j’ai eu le prix d’excellence supprimé pour cause de chahut, sans doute parce qu’avec certains profs, je m’emmerdais ! Instit à mon tour, j’ai été ce qu’on appelle un des « hussards de la République ».
J’étais là pour faire pièce à l’obscurantisme, je n’ai pas changé. J’avais appris la peinture, la musique et les rudiments du théâtre à l’Ecole Normale et sur le tas, j’allais m’en servir. J’étais aussi passionné de littérature, j’admirais énormément Simone de Beauvoir, j’ai correspondu avec elle jusqu’à sa mort. Elle me paraissait vraiment incarner la grandeur de l’esprit libertaire, plus que les partis politiques qui baissaient tous la culotte ! A 25 ans, je lui ai envoyé mon premier manuscrit, et elle l’a posé sur le bureau de Queneau… qui l’a publié.CM : Qu’est-ce qui vous a amené à sortir des sentiers battus de l’enseignement ?
YR : Je suis parti d’une idée qui ne m’a jamais quitté : on me paye pour amener la culture aux enfants, c’est une espèce de sponsoring, donc je vais la chercher pour leur apporter. Influencé par Frénet*, j’ai commencé mes premiers ateliers de français, arts et musique en 1959-60. A l’époque, on me prenait pour un fou ! Personne ne venait travailler en dehors de la journée de classe… Ensuite, j’ai eu le pressentiment que monter un orchestre avec les enfants allait aider le travail de la langue. J’ai essayé de l’expliquer à mon inspecteur, il a considéré que je planais. Avant 68, les gens étaient plus que bouchés, complètement rétrogrades, c’était quelque chose ! Après 68, j’ai dit : « bah maintenant je les emmerde, je fais ce que je veux ». Le même inspecteur est revenu me voir, et m’a dit : « c’est génial, c’est extra, il faut faire ça pour tout le département ! » Ce revirement, c’est aussi grâce aux parents. Quand vous voulez faire quelque chose, s’ils vous comprennent, vous avez un réel appui. Ca pèse très lourd auprès de l’Education nationale. Et ce qui vous est interdit devient possible…Ma devise, je l’ai empruntée à Brecht une fois pour toutes : « toute chose appartient à celui qui la rend meilleure ». C’est ce que j’ai toujours fait et c’est ce qui me vaut toujours des ennuis, d’ailleurs !

CM : Il y a 20 ans, vos livres pour enfants se sont répandus comme une traînée de poudre…
YR : Les bouquins sur les jeux d’écriture, au départ je les ai écrits pour ma classe, sous le manteau. En 81, quand je suis arrivé à Paris, un copain m’a dit « j’ai lu une de tes nouvelles, je pense qu’elle conviendrait bien pour des ados, est-ce que je peux la proposer à l’Ecole des Loisirs ? » Quelques temps plus tard, M. Fabre, de la maison d’édition, a voulu voir ce que j’avais fait d’autre pour mes élèves… et mes premiers livres jeunesse sont sortis. Ensuite, les enfants les ont portés sur le bureau des profs qu’ils aimaient le mieux, en qui ils avaient confiance.
Les profs étaient blasés, des livres ils en avaient plein, mais là, surprise ! Ils ont découvert que je m’intéressais à la littérature. En 1988, Les sorcières sont NRV, qui portait sur le mot, et Les contes du miroir, sur les constructions dans les phrases, ont déclenché une vague d’ateliers d’écriture dans tous les collèges de France, puis dans le primaire. Les éditions Retz m’ont alors contacté pour avoir des synthèses… Et j’ai commencé à écrire pour les enseignants, à tenir des conférences pédagogiques.
La vraie surprise, c’est qu’avec ces ateliers d’écriture, les profs et les instits ont retrouvé l’envie de faire avec les enfants ! Un jour, une dame m’a dit : « je prends ma retraite dans trois mois, et je viens de découvrir comment j’aurais du faire »…

CM : Votre pédagogie repose sur le jeu. N’y a-t-il pas risque pour les enfants de confusion entre le jeu et le travail ? YR : Pas si vous annoncez les choses clairement. Le jeu est une activité qui permet de relier entre eux des éléments qu’on a pas l’habitude de relier. C’est là où le mot « jeu » fonctionne, dans le sens « il y a du jeu entre les rouages », et le jeu dans les rouages, c’est la langue orale ! Le décalage immense entre l’oral et l’écrit, qui est au cœur de mon travail, est source de nombreuses difficultés dans l’apprentissage de la lecture, et plus largement dans l’apprentissage des codes de l’écrit. Avec le jeu, on amène la possibilité de comprendre ce décalage, on stimule l’intelligence et une démarche réflexive sur la langue.
De temps en temps, des confusions peuvent se glisser parce que l’enfant n’a pas compris le jeu de mots, mais ce sont de petits cas d’erreur par rapport aux grands cas de réussite. Avec cette approche ludique, l’instit doit accepter d’abandonner son pouvoir, pour le reconquérir autrement. En faisant du théâtre avec ses élèves, il doit accepter le ridicule, parce qu’il y en a au départ, du ridicule ! Imaginez : jouer une vilaine sorcière, pour un maître qui était un peu sacré… Mais dès l’instant où l’instit prend ce risque, il se retrouve devant la possibilité d’une vraie prise de pouvoir. Et le vrai pouvoir, c’est quand on a la possibilité d’échanger. Quand vous l’avez avec une classe, vous faites ce que vous voulez !Tous les étés je passe un mois à Londres pour prendre un peu de modernité. Quand je rentre à Paris, j’ai l’impression d’être en Province, et je ne suis pas le seul à le dire ! CM : Et aujourd’hui que vous êtes à la retraite ?
YR : J’ai des distances avec l’école, mais les jeux d’écriture m’intéressent toujours. Je me remets au dessin. J’ai été peintre pendant longtemps, chez moi on trouve des tableaux d’Alechinsky, de Zemer, de Louis Pons, un Picasso, un vrai ! Ca m’arrive d’acheter des trucs à des amis, dernièrement c’était un Jeff Koons. L’art m’a toujours intéressé, j’écris pour défendre les gens qui me plaisent. En ce moment j’organise une expo Humour Noir à Bruxelles. Le prix de l’Humour noir a été fondé en 1954 par Tristan Maya, et son premier président était Queneau. Je suis président depuis sept ans, et j’en ai marre ! Bah oui, c’est pas toujours drôle d’avoir onze jurés qui sont tous eux-mêmes des écrivains, ça tire un peu de to
us les côtés, on a envie de se cacher sous la table…

*Célestin Freinet (1896 – 1966) est un pédagogue français. Il est considéré comme le père des activités d’art et d’éveil à l’école. Freinet inventa une pédagogie rigoureuse fondée sur des techniques (plan de travail, production de textes libres, imprimerie, individualisation du travail, enquêtes et conférences, ateliers d’expression-création, correspondance scolaire, éducation corporelle, réunion de coopérative). Il expérimenta sa conception de l’enseignement en fondant une école à Vence (publique depuis 1991). Source WIKIPEDIA

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