Au sortir de l’Ecole Polytechnique, Jean-Marie Petitclerc choisit d’exercer le métier d’éducateur spécialisé, dans la lignée pédagogique de Jean Bosco, prêtre italien qui a voué sa vie à l’éducation des jeunes enfants de milieux défavorisés. Il travaille d’abord comme éducateur de rue à Chanteloup les Vignes, puis dirige durant dix années, dans la banlieue de Caen, un foyer d’action éducative recevant des adolescents confiés par la justice.
Rappelé en banlieue parisienne au moment de la vague d’émeutes du début des années 90, il dirige désormais l’association Le Valdocco, fondée en 1995 sur la Dalle d’Argenteuil, et qui a ouvert en 2005 une antenne dans l’agglomération lyonnaise. La vocation de l’association : développer des actions de prévention globale en rejoignant les enfants et les adolescents des quartiers difficiles dans le champ de la rue, de l’école et de la famille. Jean-Marie Petitclerc est l’auteur de « Lettre ouverte à ceux qui veulent changer l’école » paru en septembre dernier chez Bayard.CM : Quelles conditions faudrait-il réunir pour qu’une vraie réforme de l’école soit enfin possible ?
Jean-Marie Petitclerc : Cessons de rêver à la grande réforme, avec un grand « R », qui serait « pondue » par je ne sais quel ministre de l’Education nationale, et remettrait l’école sur rail d’un coup de baguette magique !
Tant de ministres ont voulu donner leur nom à des réformes qui n’ont jamais remis en cause les principes erronés. Je crois que l’enjeu consiste plutôt aujourd’hui à donner plus d’autonomie aux établissements scolaires, de manière à rendre possible les innovations.
Tant d’enseignants, avant d’être minés par le système, fourmillent d’idées. Il s’agira dans un deuxième temps de commencer à modéliser les expérimentations qui donnent de bons résultats. En tout cas, il est urgent d’agir, car l’efficience de notre système, si l’on s’en réfère aux critères de l’OCDE, s’avère de plus en plus catastrophique.
CM : Dans votre ouvrage, vous parlez fort bien du manque d’espoir des jeunes en l’avenir, du manque de repères partout, à commencer par la famille qui n’est plus suffisamment « socialisante ». Une école « idéale » pourrait-elle à elle seule redonner de l’espoir à ces jeunes ?
Jean-Marie Petitclerc : Non, l’école ne peut rien toute seule. Car un facteur important de réussite scolaire dépend de la cohérence entre le milieu familial et le milieu scolaire. Voilà pourquoi il me paraît urgent d’impliquer les parents comme premiers partenaires de l’éducation de l’enfant. Ce n’est pas en jetant le discrédit sur eux, mais au contraire en promouvant les conditions d’une véritable alliance, que l’on pourra contribuer à la transmission de ces repères qui, aujourd’hui, font sérieusement défaut. L’amélioration du dialogue famille/école doit constituer aujourd’hui une vraie priorité.
CM : Que pensez-vous des orientations prises par le nouveau gouvernement (samedi matin consacré au soutien aux plus « faibles », heures supplémentaires de français en primaire…). Selon vous, vont-elles dans le bon sens ?
Jean-Marie Petitclerc : Sans doute de telles initiatives pourront-elles apporter ici ou là une amélioration, mais, dans les quartiers sensibles, tels ceux où je travaille, elles ne résoudront en rien le problème fondamental qui est, comme je l’ai déjà souligné, celui de l’enfermement des enfants dans l’entre-jeunes des cités. Je crois beaucoup plus aux mesures innovantes contenues dans le plan « espoir banlieue » : créer des pôles d’excellence dans les établissements scolaires des quartiers, de manière à attirer des jeunes des centres-villes ; organiser la répartition des grands du primaire dans les autres écoles de la ville, de manière à leur permettre d’effectuer d’autres rencontres que celles des enfants du quartier. Dans ce monde moderne, marqué par la rapidité des mutations, l’éducation à la mobilité doit devenir la priorité du système éducatif.
CM : Dans Lettre ouverte à ceux qui veulent changer l’école, vous vous prononcez comme beaucoup sur l’inefficacité des ZEP, confirmez les effets désastreux de la carte scolaire et vous parlez d’apartheid urbain. Comment faire pour sortir l’école des ghettos où elle semble s’enliser ?
Jean-Marie Petitclerc : La carte scolaire, qui était une excellente mesure lorsqu’il y avait de la mixité sociale sur le territoire, lorsque l’enfant de l’ouvrier et de l’employé pouvaient être scolarisés avec le fils du médecin et la fille du notaire, est devenue une terrible mesure dans les quartiers où n’existe plus cette mixité sociale. Car les enfants et les adolescents sont contraints à rester entre eux, marqués par la culture de la cité, où le premier de la classe est considéré comme le « bouffon ». Cela n’aide pas à investir sa scolarité. Plutôt que de continuer à engloutir des financements dans les collèges de la cité, mieux vaudrait, grâce à un système de bus – c’est ainsi que l’on a procédé quand on a scolarisé les enfants des campagnes -, répartir les enfants dans les collèges de l’agglomération. Il s’agit de refonder la politique de la ville sur le principe de la mobilité et de la mixité sociale.
CM : Le système de notation, les résultats au bac, tout est truqué : comment se fait-il que le public, les parents, ne soient pas plus informés même si, chaque année au moment du bac, le sujet est effleuré ?
Jean-Marie Petitclerc : Je crois que l’erreur principale de notre système éducatif a consisté à penser que sauver l’égalité des chances devait signifier enseigner la même chose de la même manière partout. On a seulement oublié que les enfants étaient différents ! Et pour sauver l’idéologie, on a commencé à truquer le système évaluatif. On découvre aujourd’hui que viser l’égalité des chances doit conduire à mettre en œuvre des pédagogies différenciées. Il est grand temps dans notre pays de développer les formations en alternance, plutôt que se satisfaire d’un système qui se prétend égalitaire et qui n’a jamais sécrété autant d’inégalités.
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