A l’école de la récréation

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La récré n’est pas un simple terrain de jeu, un défouloir pour petites têtes trop pleines, une vaste effusion de cris, de bagarres et de rires. C’est bien au contraire une société très organisée où chacun apprend au plus jeune âge les règles de la vie et se mesure aux autres. Julie Delalande, ethnologue et maître de conférences à l’Université de Caen lève le voile sur ce monde inconnu et pourtant plein d’enseignements dans un ouvrage paru en septembre 2003 aux éditions Audibert et qui reste d’une belle actualité quand on veut comprendre l’école de l’intérieur.Quand nous retrouvons nos enfants le soir, quand nous leur demandons si leur journée s’est bien passée, il est bien rare que nous pensions précisément à la récréation. Et les enfants, de leur côté, nous racontent rarement en détails ce moment particulier, sinon pour se plaindre d’untel qui les a chahutés ou d’unetelle qui ne leur parle plus.

Pourtant, la récréation à l’école primaire, loin d’être anodine, est, sans qu’ils le sachent eux-mêmes, un lieu essentiel à leur développement affectif et à leur intégration sociale. Julie Delalande en sait quelque chose, qui a posé ses affaires dans les cours de récré pendant 5 ans pour, en ethnologue des temps modernes, observer, noter, questionner. Son but ? « Je souhaiterais amener les parents et les professionnels de l’enfance à poser un nouveau regard sur nos enfants et contribuer, peut-être, à faire évoluer nos comportements envers eux ».

La récréation à l’école primaire: histoires de pouvoir et de savoir

Et à travers sa lorgnette, que voit-on ? Tout d’abord, que jouer ensemble, c’est distribuer les rôles. Ce qui suppose, pour que le jeu fonctionne, que chacun soit à son poste. Et cela crée une relation de dépendance entre les enfants, les leaders qui se sentent des talents d’organisateurs et les « suiveurs » qui se prêtent bon gré mal gré à la volonté des autres ou agissent par imitation. Evidemment, on n’est pas toujours d’accord et c’est ainsi, dans ce rapport de force, que l’enfant doit trouver en lui des réponses à des situations parfois conflictuelles afin de ne pas se sentir brimé et de s’engager dans un échange plaisant.

La cour de récréation est aussi le lieu où se transmet le savoir du jeu. Julie Delalande s’étonne de voir à quel point les jeux d’autrefois sont encore d’actualité, juste adaptés à l’époque : les billes deviennent des pogs, les cordes à sauter deviennent fluo, les poupées d’autrefois sont des Diddle – petites souris en peluche que l’on accroche partout – tel ou tel jeu porte le même nom mais son contenu est différent.

Cela fait partie de ce que l’on appelle la culture enfantine, c’est-à-dire « un ensemble de pratiques, de connaissances, de compétences et de comportements qu’un enfant doit connaître pour s’intégrer parmi les siens »… Et celui qui s’en sort le mieux est celui qui, ayant acquis cette base, sera capable de la transcender, de la faire évoluer en apportant, par son aura, l’adhésion des autres. Quant au pourquoi du comment les modes se font et se défont, le mystère reste encore aujourd’hui à élucider.

Le phénomène de bande

A l’école, même s’ils sont un peu agaçants avec leur charme et leur autorité naturelle, les chefs capables de constituer une équipe soudée autour d’eux sont aussi là pour mettre de l’ordre en cas d’attaque de caïds indésirables ! Les autres ont tout intérêt à se mettre sous sa protection mais attention, pour rester dans le clan, il faut répondre à un certain nombre de critères éthiques : très tôt chez l’enfant, nous explique Julie Delalande, apparaissent les principes de respect des règles, d’entraide et de générosité.

Gare aux traîtres ! Et, au même titre qu’il y a des leaders, il y a aussi des boucs émissaires. Et si le don (de friandises par exemple, de cartes ou autres grigris à la mode) est un bon moyen de se faire accepter, là encore l’enfant devra doser sa générosité pour ne pas être dépossédé de son territoire intérieur !

Et l’amour dans tout ça ?

La cour de récré, c’est aussi, outre l’apprentissage du respect de l’autre et des lois sociales, le lieu où s’expriment les premiers émois amoureux, où la distinction des sexes se fait dès le plus jeune âge. On se regroupe – recherche de points communs et besoin d’identification obligent – entre filles ou entre garçons et on ne franchit cette ligne que rarement, du moins jusqu’au CE2. Le plus souvent, chez les garçons, c’est pour faire passer un mot d’amour par l’intermédiaire d’un copain ou pour embêter les filles, en clair, pour les séduire. Ces dernières sont quant à elles capables de se révéler fans d’un foot qu’elles déclarent détester quand il s’agit de se rapprocher de leur Apollon. Oui, la récré, c’est bel et bien l’école de la vie.

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