Il y a quelques années, la réponse à l’absentéisme était la punition : pas d’enfant en classe, pas d’allocations familiales. Aujourd’hui, le gouvernement expérimente la récompense : si tu vas à l’école, tu auras des sous… ou des places de foot ! Arme fatale ou dérive marchande ?
En 2008, 438 000 élèves français étaient aux abonnés absents, pour la majorité des jeunes venus de quartiers défavorisés en lycées professionnels. 40 % des jeunes en fin de troisième suivent ces filières où l’on compte des taux record d’absentéisme scolaire (15 à 20 %) et d’échec scolaire.
Xavier Darcos, ancien ministre de l’Education nationale, le disait tout net il y a quelques mois : « L’absentéisme mène au décrochage, qui conduit à l’échec scolaire, lequel mine l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. L’absentéisme est un fléau ».
A ce fléau, Xavier Darcos avait alors trouvé un nouveau remède : la création de 5 000 agents appelés « médiateurs de réussite scolaire » et chargés de faire l’interface entre l’école et les parents quand les sms et les appels téléphoniques de la direction des établissements aux parents des brebis égarées ne suffisent plus les remettre dans le droit chemin de l’école.
La création des médiateurs de réussite scolaire a soulevé en début d’année bien des polémiques, les syndicats d’enseignants s’élevant d’une même voix pour dénoncer une usurpation de compétence.
Le SGEN-CFDT (Syndicat Général de l’Education nationale et de la Recherche Publique) résumait ainsi la pensée générale : « Si le ministre voulait vraiment lutter contre l’absentéisme, l’échec scolaire et particulièrement celui qui frappe les enfants issus de quartiers défavorisés, il devrait commencer par reconnaître les professionnalisme des personnels en s’appuyant sur les métiers existants et donc recruter des conseillers principaux d’éducation (CPE), des conseillers d’orientation et des assistants de service social ».
Quoi qu’il en soit, ces médiateurs sont opérationnels depuis mars dernier et, grandes vacances scolaires et rentrée récente oblige, il est bien difficile pour l’heure d’obtenir des données quant à l’efficacité – ou pas – de leur intervention.
Depuis 2004, les chefs d’établissements doivent alerter les parents le jour même de l’absence injustifiée de leur enfant (l’école est obligatoire de 6 à 16 ans). Mais dans les lycées professionnels, beaucoup d’élèves ont plus de 18 ans.
Depuis 2006, le président du Conseil général peut suspendre les allocations familiales. Dans les faits, cette mesure ressentie comme très injuste, n’est jamais appliquée. Il n’est pas dans notre culture de mettre en doute la compétence des parents à faire « obéir » sa marmaille et puis, pourquoi punir toute une famille parce que l’un de ses enfants ne rentre pas dans le rang ?
Restée lettre morte aussi, la possibilité de citer en justice les parents d’un absentéiste récidiviste !
Parmi 165 expérimentations menées par le haut-commissariat à la jeunesse de Martin Hirsch, une mesure suscite depuis quelques jours une polémique grandissante : la prime à l’assiduité. De quoi s’agit-il ? D’une prime de départ de 2 000 euros par classe, qui peut fructifier jusqu’à 10 000 euros par classe et par an si l’absentéisme diminue.
Prime présentée par le haut Commissaire comme une mesure collective qui permettra à certaines classes, si l’expérience fonctionne, de financer par exemple un voyage linguistique ou un projet culturel. « On n’est pas en train de donner de l’argent de poche aux gamins. Ce qu’on finance, c’est une cagnotte collective à la classe. C’est un projet magnifique, très responsabilisant » commente Martin Hirsch.
Lancée dans trois établissements de l’académie de Créteil, cette initiative est prévue à l’expérimentation dans 30 collèges pour un coût total estimé à 600 000 euros. D’autres initiatives, plus locales, tentent de ramener les élèves à l’école : le lycée professionnel Frédéric Mistral de Marseille récompense les élèves en nature : chaque mois, la classe qui a le taux le plus fort de « présentéisme » remporte des places pour aller voir jouer l’OM. « Nous essayons de lutter contre l’absentéisme par tous les moyens. C’est sûr que c’est une chance en France d’avoir une école gratuite et obligatoire, mais si les élèves ne viennent pas, c’est un échec » explique Pierre-Alain Glutron, le proviseur de l’établissement.
Récompenser financièrement les élèves pour assister aux cours : l’expérimentation de Martin Hirsch en choque plus d’un. Beaucoup voient dans cette mesure un intolérable renversement des valeurs. A commencer par Vincent Peillon, animateur du mouvement L’espoir à gauche et porteur d’un grand projet pour l’école.
Sentiment partagé par la plupart des dirigeants des syndicats enseignants, dont Gérard Aschieri qui voit dans cette initiative « un gadget dangereux ». A droite non plus, cette expérience est loin de faire l’unanimité. Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et donc censée être solidaire des actions du gouvernement, se pose des questions : « L’assiduité est le premier devoir d’un élève. Est-ce qu’il faut monnayer l’assiduité ? Est-ce qu’il faut payer un jeune pour faire ce qu’il doit faire ? » L’argent à l’école, voilà qui semble aller contre les principes de la république. Et puis certains évoquent « la prime aux mauvais élèves ».
Il suffirait donc de s’être mal comporté et de se repentir pour être récompensé alors que les élèves normalement assidus n’en tireraient aucun bénéfice ? Il est bien sûr trop tôt pour dire si l’expérimentation ramènera les déserteurs au lycée… Si c’était le cas, ce ne serait pas pour autant rassurant, bien au contraire, quand à l’avenir d’une école qui ne saurait plus convaincre qu’en achetant.
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