Ecole publique ou privée : les raisons d’un choix

Quelles sont les convictions, les valeurs ou les inquiétudes qui président au choix des parents à l’heure de confier leurs enfants à l’enseignement public ou privé ? Est-ce toujours un vrai choix ? Loin des idées reçues qui dans ce domaine ont la vie dure, le point avec Alain Léger, sociologue de l’éducation.

Ecole : le privé a la côte !

L’enseignement privé enregistre chaque année des demandes plus nombreuses. A la rentrée 2008, 30 000 à 35 000 inscriptions dans ces établissements ont dû être refusées. Est-ce à dire que les Français n’ont plus confiance en leur école laïque pour préparer l’avenir de leurs enfants ?

Pas si simple. Car les études démontrent que ce que le sociologue Alain Léger appelle les « zappeurs », c’est-à-dire les enfants qui passent d’un secteur à l’autre et vice-versa sont de plus en plus nombreux. Et ils passent en général du privé au public ou du public au privé à l’occasion d’un redoublement. En cas d’échec, on essaie, on tente autre chose. Selon les statistiques de l’Education nationale, au total, près de 30 % des enfants effectuent le passage d’un système à l’autre au cours de leur scolarité.

Il semblerait qu’école publique et privée, qui appliquent les mêmes programmes et dont les professeurs ont eu la même formation, fassent désormais jeu égal. D’autant plus que quand on interroge les parents sur leur première motivation quant au choix de l’une ou l’autre option, ils répondent tous en chœur « La réussite de nos enfants ». La frontière s’amincit entre l’un et l’autre système, dangereusement aux yeux de ceux qui y voient une vraie menace pour l’école de Jules Ferry. Si les idéologies ont vécu, qui assimilent le choix du privé à un choix spirituel (95 % des écoles privées sont catholiques) et celui du public à des convictions républicaines, il reste encore bien des zones de non choix, bien des îlots de privilèges aussi.

C’est une lapalissade de le dire mais tous les parents n’ont pas les moyens du privé et il existe des carences d’établissements de l’un ou l’autre bord dans certaines régions. Et puis on n’empêchera jamais une certaine élite qui souhaite rester entre soi d’inscrire ses enfants dans des établissements – publics ou privés d’ailleurs – qui font une sélection drastique à l’entrée… Les mêmes qui montent chaque année sur le podium des meilleurs taux de réussite au bac !

Ecoles privées : les raisons d’un choix

Alain Léger est sociologue de l’éducation. Professeur à l’université de Caen, il dirige aussi une équipe du CNRS. Auteur de nombreuses études et ouvrages sur l’enseignement public et privé, il nous éclaire sur les raisons des choix des familles en la matière.
Côté Mômes : Selon vous, pourquoi les demandes d’inscription dans le privé ne cessent-elles de croître ?

Alain Léger : Le fait que les demandes d’inscription dans le privé augmentent n’est pas nouveau, il date de la loi Debré en 1975 qui a permis les contrats d’association. C’est une constante depuis plus de 30 ans. Ce qui apparaît dans les études que nous menons sur plusieurs générations, c’est que le zapping – passage entre public et privé et vice versa – est l’élément qui fait augmenter le plus les effectifs du privé. La grosse majorité des élèves qui fréquentent le privé sont des zappeurs qui viennent du public. Les élèves fidèles à l’enseignement privé sont très peu nombreux, en tout cas moins nombreux que la masse des gens qui ont utilisé les deux secteurs dans leur scolarité. Du côté du public, les fidèles sont aussi en régression. L’élément marquant est que la fidélité à un secteur unique régresse sensiblement dans le temps.  

Ecole privée : école de la réussite ?

CM : Les parents ne trouvent-ils plus satisfaction ni dans le public, ni dans le privé ? La frontière public/privé tend-elle à s’effacer à ce point ?

AL : En tout cas, les raisons idéologiques au moment de choisir entre public et privé ne représentent qu’une faible part des motivations parentales. Les valeurs laïques contre l’attachement religieux : voilà un combat qui n’est plus d’actualité du côté des parents, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Dernièrement, sur 300 familles interrogées, nous avons obtenu les résultats suivants : seuls 19 % des parents qui scolarisent tous leurs enfants dans le public citent la laïcité comme première motivation et seuls 27 % des parents qui scolarisent tous leurs enfants dans le privé citent leur attachement à la religion comme première motivation. La réussite des enfants, l’efficacité, la compétence des enseignants : voilà la motivation principale partagée par la majorité, à plus de 70 %. L’élément fondamental, c’est la réussite.

Privé ou publique ? Valeurs et traditions familiales

CM : Y a-t-il des « traditions familiales » en matière de choix du public ou du privé pour ses enfants ?

AL : Alors que les attachements idéologiques ont perdu du terrain, on constate en effet une très forte reproduction des traditions familiales concernant le choix du public et du privé. Dans notre enquête par questionnaire, menée sur 5 000 familles, nous demandions au père et à la mère s’ils avaient suivi un cursus tout public ou tout privé… ou les deux à la fois. Les résultats sont étonnants. Déjà, du point de vue de la formation des couples, le père et la mère ont en majorité une très forte ressemblance des parcours. Ensuite, en majorité toujours, leurs enfants ont les mêmes parcours qu’eux. Il y a aussi une très forte liaison entre la scolarité des parents et leur vie professionnelle : quand ils ont eu une scolarité dans le public, ils travaillent plus dans le public, et vice versa. Même chose pour les enfants. Quand les parents travaillent dans le public, leurs enfants feront majoritairement de même… Et c’est pareil pour le privé. La question est beaucoup plus large qu’un choix d’école. C’est aussi un choix de société.

Ecoles privées et écoles publiques : une frontière de moins en moins étanche

CM : La part des « zappeurs » est importante… Qui sont-ils ?

AL : Si on prend les élèves en individus isolés, ils sont 38 % à passer d’un secteur à l’autre et si on prend les fratries, on monte à 44 %. Parmi les zappeurs, on a plusieurs catégories de parents. Le comportement majoritaire est ce que j’appelle le zapping de « remédiation » : quand on fait l’analyse chronologique des parcours des élèves, on s’aperçoit que les parents les changent de secteur lors de leur premier redoublement. C’est en fait une tentative de rattrapage, une sorte de sauve qui peut. Il y a aussi le zapping d’obligation. Dans certaines régions, on n’a pas toujours à proximité soit un établissement public, soit un établissement privé. On va au plus près… Ou au « moins cher » quand on n’a pas les moyens, ce qui est le cas de la plupart des ouvriers. Il ne s’agit plus de choix. Et puis il y a une troisième forme de zapping : c’est le zapping de distinction : c’est un comportement que l’on trouve dans les catégories socioprofessionnelles supérieures. Il s’agit de trouver l’établissement haut de gamme, de rester entre gens qui appartiennent à une certaine élite, toujours en pensant que c’est une bonne stratégie pour la réussite des enfants. Là, c’est assez curieux. En général, c’est le privé qui l’emporte, sauf dans les régions de l’Ouest parce que là, il y a une forte implantation du privé. Quand le privé scolarise 50 % des élèves, c’est un privé moins haut de gamme, plus populaire et sans doute trop populaire aux yeux de certains parents qui du coup lui préfèrent le public. Dans ces régions-là, les cadres fréquentent plus le public que les ouvriers, ce qui est tout à fait l’inverse partout ailleurs en France.

Ecoles privées : de bons résultats… sélectifs !

CM : L’idée très répandue d’un meilleur niveau du privé est-elle démontrée ?

AL : Quand on analyse les parcours de réussite en éliminant la part des zappeurs qui brouillerait les pistes, on ne peut pas dire qu’un secteur est meilleur que l’autre globalement. On peut juste dire qu’il est moins bien que l’autre pour telle catégorie. Il s’avère que le privé fait mieux réussir les enfants d’ouvriers et les enfants d’employés, ces derniers obtenant 15 % de plus de taux de réussite au bac quand ils sont dans le privé depuis la 6ème. Ce résultat ne plait pas beaucoup aux laïques car l’école laïque est censée être l’école de la réussite pour tous. A l’entrée, c’est vrai : il y a beaucoup plus d’enfants de cadres et de catégories supérieures qui fréquentent le privé et le public accueille plus d’enfants d’ouvriers. Mais à la sortie, le privé démocratise mieux en termes de résultats scolaires pour la minorité des classes populaires qui le fréquentent. Le public en revanche fait mieux réussir les enfants d’agriculteurs alors qu’ils sont plus nombreux que les enfants d’ouvriers dans l’enseignement privé. Et puis pour tous ces enfants qui sont passés du public au privé et vice versa jusqu’au bac… A qui va-t-on attribuer leur réussite ? Ce qu’on pourrait dire au fond, c’est que les deux secteurs peuvent mieux faire puisque chacun des deux pourrait prendre exemple sur l’autre pour faire mieux réussir la catégorie qui réussit le mieux de l’autre côté.

CM : Au fond, la réussite des enfants issus d’un milieu favorisé scolarisés dans le privé est-elle d’avantage due aux chances que leur offre leur milieu social qu’à l’école qu’ils fréquentent ?

AL : C’est justement un aspect que l’on a analysé dans notre premier ouvrage. Nous avions travaillé sur le suivi scolaire d’une génération sur un panel de 37 000 élèves. Nous avions tous les  événements : le redoublement, les taux de passage, l’élimination, les orientations et le taux de réussite au bac. Nous avions tous les moyens de faire une étude sérieuse de la question. Je dis sérieuse parce que je trouve non sérieuses les études du type palmarès des établissements que publie régulièrement la presse, même si je peux comprendre que ce soit vendeur. Mais si on n’analyse pas les origines sociales des élèves, si on ne sait pas les professions des parents, on ne peut qu’émettre des contre vérités. Juste un exemple : les classes de seconde du Lycée louis le Grand à Paris accueillent 80 % d’enfants de parents cadres, lesquels ont plus les moyens de suivre de près le parcours de leurs enfants… Ce serait quand même étonnant dans ces conditions que cet établissement n’ait pas de bons résultats au bac. Il faut regarder à catégorie sociale identique. Et puis si un établissement a fait une sélection drastique à l’entrée et un dégraissage en cours de route, il arrive forcément en bonne position !

 
CM : Autre idée reçue sur l’école : certains pensent que là aussi, le fait de payer est un gage de qualité…

AL : L’idée court en effet. Personnellement, je n’ai rien contre la concurrence entre les deux secteurs mais je constate que c’est une concurrence pour capter un certain type de public et notamment les catégories supérieures. On sent qu’il n’y a pas forcément un très fort désir dans le système ni chez les enseignants de faire des efforts pour les autres catégories. C’est vrai qu’il est plus facile d’enseigner à des élèves qui d’une certaine façon réussissent tout seuls. Moi, je pense qu’il est beaucoup plus honorable d’enseigner dans un établissement avec un faible taux de réussite, à des élèves qui n’ont pas un gros capital culturel de la part de leurs familles. C’est ce que l’école pourrait faire de mieux.

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