Ils sont un peu plus nombreux à chaque rentrée : des enfants apparemment comme les autres, avec leurs joies et leurs peines. Mais pour eux, parce qu’ils ont une peine ou une différence supplémentaire, s’intégrer à l’école est une bataille plus vive que pour les autres. De guerre lasse, ils rendent parfois les armes et passent de difficultés en échec scolaire. Pourquoi tant d’enfants, identifiés ou pas comme angoissés, dyslexiques, hyperactifs ou encore précoces n’arrivent-ils pas à rentrer dans le jeu social de l’école ?
Jules, 8 ans, est hyperactif. Incapable de se poser, il réussit la prouesse de s’agiter toute la journée dans la classe tout en écoutant sa maîtresse. Lui n’est pas perturbé dans ses apprentissages mais ses camarades et son enseignante s’épuisent. Il devient le cas. Jérôme, 10 ans, est dyslexique. A force de ne pas trouver ses mots, d’accumuler les zéro en dictée, il s’étiole dans son coin, perd confiance en lui et développe petit à petit une vraie phobie scolaire. Marie, 11 ans, rêve toute la journée et ne semble pas comprendre ce qu’on lui demande. Incapable de répondre à une question, elle fond en larmes dès qu’elle est sollicitée. Romane, 6 ans, si heureuse à l’idée d’apprendre des choses à l’école, s’y ennuie ferme finalement et refuse de se soumettre aux méthodes qu’on lui propose pour arriver à des résultats qu’elle connaît déjà. Diagnostic : c’est une enfant précoce. Kévin, quant à lui, ne sait même pas ce qu’il fait là. A la maison, on ne parle pas français, il s’occupe de ses petits frères quand il rentre, son papa est au chômage et il voit peu sa maman qui part très tôt le matin pour faire des ménages.
Dis maman, pourquoi l’école ne m’aime pas ? Telle pourrait être la complainte de ces enfants normaux qui se retrouvent « en difficulté scolaire » parce qu’ils sont souvent en difficulté tout court ou qu’ils sont juste un peu différents, pas assez stéréotypés pour passer inaperçus dans une classe et pourtant pas « assez handicapés » pour être légitimement accueillis dans des structures spécialisées. Des enfants « boarder line », avec des fêlures diverses et variées, chacun des cas particuliers que l’institution scolaire n’a pas le temps, la volonté ou la vocation, ou tout cela à la fois, de prendre en compte.
« L’enfant aime bien les endroits où il pense qu’on l’aime bien » confirme Richard Redondo, Président de l’Association Française des Psychologues de l’Education nationale (AFPEN). Alors, l’école manquerait-elle de ce supplément d’âme qui ferait que chacun s’y sentirait bien et y trouverait sa place ? « Là n’est pas vraiment le problème, rétorque Richard Redondo. Le problème est qu’il y a trop souvent inadéquation entre ce que l’école demande et l’image que les parents en donnent à leur enfant. Quand il n’y a pas de confiance entre l’enseignant, l’institution d’un côté et les parents de l’autre, ça ne marche pas. On le sait maintenant, un enfant qui est bien à l’école, c’est un enfant qui « réussit » à peu près normalement et qui y vient volontiers, même s’il n’a pas des résultats extraordinaires. Et pour cela, il faut avoir compris une chose très simple : à l’école, je dois faire ce qu’on me demande de faire au moment où on me le demande. Doués ou pas doués, en difficulté ou pas sur le plan de l’apprentissage, les enfants qui arrivent à « coller » à cela s’en sortent, les autres sont rejetés par l’institution. C’est le grand apprentissage de la maternelle, une majorité d’élèves de primaire y arrivent très bien et ça devient souvent une catastrophe au collège parce que les enfants deviennent ados, qu’ils se rendent compte qu’on veut les faire rentrer dans un moule et qu’ils y résistent».
Coller à la norme : voilà tout le problème de ceux qui s’en éloignent un peu plus que les autres. André Agard-Maréchal, psychologue scolaire et auteur de Il aurait pu être bon à l’école, l’école et la norme (Albin Michel, 2005), n’y va pas par quatre chemins pour décrire les directives ministérielles concernant les élèves dits « en difficulté » : « Si j’ai bien compris, donc, l’école serait une grande, bonne et grosse machine dont l’objectif serait de produire des élèves « normés », c’est-à-dire selon une norme : raisonnement et pensées normales, comportements sociaux normaux, rapport à l’autorité normal, mais aussi imaginaire normal… Et j’en oublie. Tout ça pour en venir à la conclusion : devenir élève, c’est pour un enfant devenir normal ».
Or, quoi de plus difficile à définir que la normalité ? Et cette normalité scolaire obligatoire est-elle un gage de réussite ? Prépare-t-elle, surtout, à un avenir professionnel qui sera sur bien des aspects « anormal » ? Et puis, quel élève passera tout au long de son parcours scolaire au travers des gouttes et des tonnerres de la vie, entre difficultés familiales, déboires sentimentaux et rencontre avec le « mauvais prof », celui avec lequel il n’aura pas d’affinité, qui l’éloignera temporairement ou à jamais des maths ou du français ? Partant de ce principe, tous les élèves sont anormaux. Reste à définir la limite du scolairement acceptable, variable selon le niveau d’exigence et de résistance des professeurs et des établissements. Toujours est-il que les enfants étiquetés « en difficulté » sont menacés à moyen terme de déscolarisation parce qu’il n’y a pas de place pour eux. Ils entrent mal dans un cadre normatif, ils n’entrent pas non plus dans les lois du handicap. De là à nier purement et simplement leur existence, il n’y a qu’un pas… Un comble quand on sait qu’un peu plus d’un élève par classe est aujourd’hui signalé comme « en difficulté ».André Agard-Maréchal est psychologue de l’Education nationale et notamment auteur de « il aurait pu être bon élève, l’école et la norme ». Il décrypte pour nous le malaise des enfants qui semblent embarrasser l’éc André Agard-Maréchal est psychologue de l’Education nationale et notamment auteur de « il aurait pu être bon élève, l’école et la norme ». Il décrypte pour nous le malaise des enfants qui semblent embarrasser l’école.
Côté Mômes : Dans votre ouvrage, vous dites clairement que votre rôle se résume souvent à aider plus les enseignants que les enfants, ce que vous déplorez. Vous vous insurgez contre le systématisme du signalement d’un enfant dès qu’il n’est pas dans la norme. L’école est-elle incapable d’intégrer les différences ?
André Agard-Maréchal : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’école ne s’occupe pas des individus mais d’objets, de nombres, de quantités. Elle a absolument besoin que les choses soient rangées en ordre et dans les cases prévues. Ce qui pose problème, c’est la petitesse de ces cases et leur nombre réduit par rapport à la complexité, la richesse de la vie et les difficultés que les enseignants rencontrent. Face aux difficultés d’un enfant, on a très peu de réponses à lui fournir. Soit il relève de l’enseignement ordinaire, soit il est handicapé, point final ! Et les enseignants sont finalement aussi aliénés que les enfants par une machine institutionnelle extrêmement lourde qui leur impose des conditions de travail pas toujours faciles. Dès lors, certains enseignants ont la tentation de signaler de plus en plus d’élèves… Mais on a l’impression que c’est d’abord leur malaise professionnel qu’ils signalent.
CM : Que se passe-t-il concrètement pour un enfant signalé par un enseignant ?
AAM : Quand un enfant est signalé par un enseignant, c’est d’abord pour que l’on nomme, que l’on mette un mot savant sur le problème qu’il rencontre. Il est alors dyslexique, dysphasique, dyspraxique, dysorthographique, enfin tout ce que vous voulez. Et cela pose déjà la question du handicap. Le gros problème, c’est justement la définition du handicap et notamment du handicap mental. Un handicap physique ou sensoriel se mesure. Pour le handicap mental, on rentre dans des notions très floues, très dangereuses aussi. Par exemple, il n’y a pas de définition du trouble de la conduite mais un établissement spécialisé est nécessaire dans ce cas selon la loi ! Un enfant qui a des troubles de la conduite, s’il est identifié comme handicapé, aura une réponse à son problème car la loi sur le handicap est assez bien suivie dorénavant… Sinon ? Il n’en aura pas. On ne va pas se poser la question de savoir pourquoi l’enfant s’est réfugié dans un symptôme. On va juste se poser la question de nommer ce symptôme en fonction des catégories, des critères et des classements prévus. Si c’est un peu plus compliqué que ça, on le fait rentrer de force, avec un chausse-pied, dans une catégorie. Nous les psychologues, on se demande pourquoi l’enfant a « choisi » de développer ce symptôme en fonction du contexte dans lequel il est. Mais ça, ça n’intéresse pas l’institution.
CM : Mais alors, que deviennent ces enfants que l’école ordinaire a du mal à prendre en charge, en difficulté mais pas handicapés ?
AAM : Théoriquement, ces enfants devraient être pris en charge par les réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED), réseaux mis en place en 1990 et qui sont actuellement menacés de disparition. Dans certains départements, ils sont déjà supprimés. Les maîtres des RASED avaient une particularité : ils n’avaient pas de classe, ils intervenaient dans des classes ordinaires où ils pouvaient prendre en charge des petits groupes ou individuellement des enfants en difficulté, voire, ce qui était encore mieux, intervenir avec le maître ordinaire dans la classe au niveau de certains enfants.
Aujourd’hui, les enfants qui développent des symptômes scolaires (dyslexie, phobie, inhibition intellectuelle, etc.) se retrouvent à gérer tout seuls leurs symptômes qui ne vont pas céder parce qu’un symptôme, ça sert à quelque chose. L’enfant ne peut plus faire autrement, il est coincé dans une aliénation dont il ne peut plus se sortir. En outre, à partir du moment où un symptôme est reconnu, admis et identifié, l’enfant y « colle » alors qu’il y a probablement à l’origine de son problème des raisons pour lesquelles, par exemple, il n’a pas appris à lire, et notamment la façon dont la famille a abordé la question de la lecture. Quand on dit « il est dyslexique », eh bien voilà, c’est réglé. Les dyslexiques doivent être maintenus en classe ordinaire, on doit leur donner un temps supplémentaire, favoriser l’oral. Mais ce n’est pas encore appliqué ! Pour des enfants qui souffrent de troubles du comportement, c’est géré au cas par cas et comme on peut… Et ça se passe très mal en général.
Quant aux hyperactifs, c’est une belle supercherie. Un enfant que l’on nomme hyperactif, c’est simplement celui que l’on appelait dans le temps un caractériel ou un emmerdeur. Un enfant qui n’a pas trouvé tout petit des limites à son désir de toute-puissance. Et il y en a deux sortes : ceux qui apprennent quand même et ceux qu’apprennent pas. Pour eux, il y a problème ave l’institution alors qu’il suffirait sans doute de redresser la barre en lui imposant une autorité qui le « remette à sa place ». Mais l’hyperactivité, inventée il y a 25 ans par des pédiatres en Californie pour écouler la molécule d’un laboratoire pharmaceutique qui ne servait à rien, a été pour certains une manne financière.
CM : Comment pouvez-vous aider ces enfants à votre niveau ? Comment les enseignants peuvent-ils agir au leur ?
AAM : L’autre jour, j’ai été confronté à un inspecteur de l’Education nationale qui voulait absolument me faire dire d’un enfant qu’il était débile sous prétexte qu’il n’avait pas envie d’apprendre. J’ai fini par craquer en lui disant que, simplement, il n’avait pas le désir d’apprendre parce qu’il n’avait pas rencontré quelque chose qui le motive. L’inspecteur me dit ironique : « j’aimerais bien savoir comment on peut créer un désir d’apprendre ». Je lui ai répondu qu’il il faudrait peut-être que cela rencontre un désir d’enseigner. Si l’enseignant est bien à la place où il a envie d’être, tout se passe bien. S’il ne fait que remplir le vide du temps en attendant les vacances, ça ne marchera pas.
Je fais partie de l’ancienne école normale, celle de Jules Ferry, celle où l’on entrait en fin de troisième parce qu’on était enfant d’ouvrier. Et moi, on m’a appris la pédagogie pendant un an. Si je voulais enseigner l’addition, on m’apprenait comment j’allais m’y prendre. Les IUFM posent problème. On fait de la théorie, on fait de la psychologie mais on ne fait pas de pédagogie. Tous les jeunes qui sortent des IUFM le disent : quand ils sont confrontés au terrain, ils se rendent compte que leur formation ne leur a servi à rien. Et puis il y a aussi un probl&e
grave;me de formation des psychologues scolaires : on le devient aujourd’hui avec 3 ans d’enseignement et un an seulement de psychologie derrière soi ! Alors que la formation de psychologue, ce sont 5 ans d’études poussées en psychologie. L’Education nationale est hors la loi française et européenne. Une formation sérieuse demande beaucoup de réflexion sur, notamment, ce qu’est le rôle d’un psy dans une institution On fabrique ce que j’appelle des Jivaro, des réducteurs de têtes. On est revenu au début des années 50 où le psy était celui qui mesurait le QI et puis point. Et hélas les psys qui ont un petit pouvoir ne lâchent pas leur valise à tests comme ça ! Il faudrait revoir complètement la fonction… Et puis, nous ne sommes pas assez nombreux. D’année en année, avec les départs à la retraite non remplacés, il y en a de moins en moins.
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