Si le « bonnet d’âne » a définitivement disparu, la note-sanction, elle, est toujours d’actualité. Et de nombreux experts de l’éducation n’hésitent pas aujourd’hui à la rendre responsable de l’échec scolaire. Pourquoi ? Comment ? Enquête.
Liberté, égalité, fraternité : la réalité de l’école française semble aujourd’hui, hélas, bien éloignée de nos nobles idéaux républicains, si l’on en croit les résultats de l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), dévoilés le 7 décembre dernier, qui évalue chaque année, et ce depuis 2000, les compétences des jeunes de 15 ans dans les domaines de la lecture, des mathématiques et des sciences. L’étude couvre une soixantaine de pays dont une trentaine de membres de l’OCDE.
Premier constat : la France stagne à un niveau moyen dans ces trois disciplines. Et, plus inquiétant, la proportion d’élèves très faibles est passée en neuf ans de 15 à 20%, ces derniers étant principalement issus des milieux défavorisés et immigrés. Ainsi, l’école française accentuerait les inégalités sociales et ethniques…
Second constat négatif : le climat scolaire s’est dégradé. 64% des jeunes Français ont du mal à se mettre au travail, contre 73% des élèves de l’OCDE. Des statistiques confirmées par un sondage réalisé en 2009 par l’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville), mouvement d’étudiants bénévoles qui aident quelques 10 000 enfants scolarisés en zone d’éducation prioritaire : les deux tiers des élèves de primaire et de collège des quartiers populaires n’aiment pas trop l’école, plus d’un tiers déclarant même avoir mal au ventre le matin avant d’y aller…
Et de fait, toutes les enquêtes internationales tendent à montrer que les enfants français sont dans l’ensemble plus anxieux et intimidés en classe que leurs « pairs » étrangers. « L’éducation en France a toujours insisté sur le développement de la raison – donc la mise sous le boisseau de la subjectivité – en visant une sorte d’idéal unique de culture, analyse Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’Education. L’école continue d’imposer sa norme. Le professeur a du mal à faire de sa classe un espace hors-menaces où l’on peut se tromper sans risque. » La faute (entre autres) à notre système de notation, qui récompense davantage le conformisme, le respect des consignes, la culture du résultat que l’expérimentation, l’initiative, la curiosité. « A l’origine des notes, il n’y pas l’école de Jules Ferry, mais le collège des Jésuites au 16ème siècle, confirme Daniel Calin, ancien professeur à l’IUFM de Paris et formateur d’enseignants spécialisés. Son ambition ? Scolariser un maximum d’enfants de la bourgeoisie montante pour résister aux réformateurs et aux humanistes. Le privilège de la naissance ne suffit plus à sélectionner les élites, ni les châtiments corporels à stimuler l’étude. Ce qui caractérise leur pédagogie, c’est la discipline, la répétition et la concurrence perpétuelle entre les élèves. »
Aujourd’hui encore, la tradition scolaire française a du mal à se défaire de cette culture du classement, de l’émulation. Et, pourtant, « si ce modèle répondait aux exigences d’un système élitiste avant la massification scolaire, il apparaît aujourd’hui en total décalage avec l’objectif d’élévation globale du niveau d’étude », jugent les signataires de la pétition nationale de l’Afev réclamant le 18 novembre dernier la suppression des notes à l’école élémentaire, parmi lesquels on compte le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le sociologue François Dubet, le généticien Axel Kahn, l’écrivain Daniel Pennac, l’ex-Premier ministre Michel Rocard. Leur modèle ? La Finlande. Dans ce pays en tête des classements internationaux en matière d’éducation, les élèves sont évalués pour la première fois à 9 ans de façon non chiffrée et commencent à être notés seulement à partir de 11 ans. « L’école primaire n’a pas pour objectif de créer une élite, mais d’apprendre à lire, à écrire, à s’exprimer correctement, souligne Eric Morin, économiste, sociologue, directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et l’un des signataires de cet appel. Notre système de notation actuel n’incite pas au dépassement de soi-même mais des autres. C’est une pratique totalement contre-productive : elle stigmatise les « mauvais » et les enferment dans l’échec scolaire, et encourage les « très bons » à gérer leur capital de précocité sans vraiment progresser. »
« Le système français de notation est une véritable plaie qui exerce des effets nuisibles sur le moral, la confiance en soi et les performances des élèves », confirme Peter Gumbel, ancien journaliste britannique devenu professeur à Sciences Po Paris, père de deux filles scolarisées en France et auteur de « On achève bien les écoliers » (Grasset). Or on sait aujourd’hui combien le plaisir, la motivation sont les conditions d’un apprentissage réussi. « Sans compter, ajoute Daniel Calin, que les enfants gagnent en estime d’eux-mêmes et sont ensuite mieux préparés psychologiquement pour affronter la compétition scolaire inévitable dans le secondaire puisque notre société a besoin tôt ou tard de dégager des élites. »
Le rejet de la notation traditionnelle ne date pas d’hier. En 1969, une circulaire ministérielle signée Edgar Faure, alors ministre de l’Education nationale, encourage le corps enseignant à l’abandonner sans regret, et à lui substituer une appréciation globale accompagnée d’annotations plus détaillées concernant, par exemple, l’orthographe, l’ordre, le vocabulaire, la syntaxe, la précision, les facultés de raisonnement, l’invention, le sens artistique… La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 marque une nouvelle étape avec la création d’un livret personnel de connaissances et de compétences, évaluant au moyen de repères acronymiques (ECA, A, NA pour en cours d’acquisition, acquis, non acquis, voire autre sigles) des dizaines de compétences et d’aptitudes aussi précises que diverses : « lire seul et comprendre un énoncé », « identifier les grandes périodes de l’histoire » ou encore « reconnaître les symboles de l’Union européenne ». Une avancée permettant officiellement d’échapper à la note « globalisante ». Problème : toutes les compétences sont mises sur le même plan. Quant au vocabulaire utilisé, il n’est pas toujours compréhensible pour un non professionnel de l’éducation. Mais il y a plus ennuyeux pour Daniel Calin. « On a renforcé durant ces dernières années les évaluations nationales qui ne servent qu’à produire des statistiques utiles aux gestionnaires de l’Education nationale. Or la vraie évaluation repose non pas sur un examen ponctuel mais sur une observation fine, attentive et quotidienne de l’enfant, permettant au professeur de repérer ses difficultés, d’en évaluer les causes et d’adapter sa pédagogie en conséquence. Ce travail est plus coûteux en temps qu’une évaluation rapide et globale mais oh combien plus riche sur le plan pédagogique puisqu’il permet à l’enseignant d’en tirer des leçons pour son propre travail. »
En 2007, un rapport de l’Inspection Générale de l’Education nationale donne à la notation-classement un dernier coup de bambou, estimant qu’elle ne prend pas assez en compte la démarche intellectuelle et les progrès des élèves et qu’elle efface les qualités d’analyse des enseignants…
La note n’est donc plus obligatoire à l’école primaire. Elle continue pourtant d’y sévir, à la demande des familles qui lui attribuent le mérite de communiquer un message clair et simple sur le « niveau » de l’enfant, loin du jargon pédagogique. Autrement dit, sur fond de crise économique, la note permet aux parents angoissés par l’avenir professionnel de leur enfant de « redresser la barre » en cas de fléchissement. « La réussite scolaire est une composante fondamentale des enjeux sociaux », observe Bertrand Gimmonet, professeur des écoles, maître formateur en IUFM et auteur de « Les notes à l’école » (L’Harmattan). « Les parents ont l’impression que s’il n’y a pas de note, leurs enfants ne travaillent pas, ajoute Eric Morin. Cette réaction traduit un symptôme : le manque de communication entre l’école et les familles. »
On sait pourtant que le mythe de la note précise et juste est quotidiennement mis à mal par la réalité du terrain et qu’elle ne constitue pas une mesure fiable des compétences des élèves. C’est ce que démontre, études à l’appui, le sociologue Pierre Merle, dans son ouvrage « Les notes. Secrets de fabrication » (PUF). « L’enseignant est influencé par les caractéristiques socio-scolaires de ses élèves : origine sociale, âge, redoublement, sexe, comportement en classe… Les enfants de cadres, les élèves non redoublants ou « sages » en classe étant généralement mieux notés que les autres, à niveau identique aux tests de compétences. L’écrasante majorité des professeurs étant attentive à la question de l’équité et de la justice scolaire, cette part d’influences est inconsciente. »
Le chercheur André Antibi, qui dénonce depuis 2003, le poids excessif de la note dans notre système d’évaluation scolaire, va même plus loin en parlant de « constante macabre », un très grave phénomène de société dont les enseignants ne sont pas responsables. « Pour qu’une évaluation des élèves soit crédible, rapporte sur son blog * l’auteur de « Les notes : la fin du cauchemar » (Editions Math’Adore), il faut qu’il y ait toujours un certain pourcentage d’échecs. Ainsi, de très nombreux enfants, malgré leur travail et leurs acquis, sont en échec uniquement parce qu’ils font partie des élèves les moins bien classés. »
La fiabilité des notes est en effet un problème capital, selon la psychopédagogue Brigitte Prot, auteur de « J’suis pas motivé, je fais pas exprès ! » (Albin Michel). « La note peut constituer un vrai repère si elle a du sens. Or je suis effarée, lorsque je pratique un bilan de motivation auprès d’un enfant, de constater à quel point ce dernier ne comprend rien à la note qui est attribuée à sa copie. L’enseignant ne communique pour ainsi dire jamais en début d’année ses critères d’évaluation, ni à ses élèves ni à leurs parents : en clair, où il place ses points. Cette absence de transparence conduit souvent les enfants à penser que leur professeur note « à la tête du client », selon son humeur… Il n’en tire aucune conclusion pour son travail. Pire, il confond « savoir » et « valoir » : « ma copie est nulle » signifie « je suis nul ». Les parents qui viennent me voir sont les premiers à faire cette confusion. La première étape de mon travail consiste à faire comprendre à l’enfant que, lorsqu’on évalue son travail, on ne mesure pas la valeur de sa personne, mais le devoir daté du 24 octobre… »
Tout commence par là : le regard porté sur l’élève. « Lorsque j’étais institutrice, j’expliquais toujours à ma classe qu’être premier ne voulait rien dire, explique Sylvie Condesse, auteur de « Aider nos enfants à réussir » (Editions J.Lyon), qui suit désormais des enfants ayant des troubles de l’apprentissage. Il suffit de changer d’école pour que cela ne soit peut-être plus vrai ! J’insistais en revanche toujours sur la marge de progression de l’enfant, son potentiel de réussite : « Oui, c’est difficile pour toi, mais regarde comment tu progresses. » Je m’arrangeais toujours pour accompagner la note (indispensable aux parents) d’un commentaire bienveillant et constructif, très loin du jugement ou de la sanction. Car ce qui compte, c’est ce que l’enfant maîtrise. »
Cette culture de « l’individu » a beaucoup de mal à s’imposer dans notre pays de tradition catholique et latine. « Notre école apparaît bien souvent comme une espèce de Star Academy du savoir, où la compétition met en jeu quelques premières places, les seules qui comptent », conclut Bertrand Gimmonet. Mais, dans le siècle qui s’avance, pour devenir une Femme ou un Homme accompli, ne serait-il pas plus sage d’apprendre à dépasser les illusions qu’engendre la note scolaire : illusion du savoir clos, illusion de la position sociale, illusion de l’image de soi : c’est à dire tout ce qui ressemble à l’existence… mais ne l’est pas ? Il faut dire et répéter aux jeunes que les notes, ce n’est pas la vie. » Le débat est ouvert. On constate qu’il n’est pas seulement pédagogique mais culturel, social, et philosophique. A nous, parents, de commencer à progresser sur cette question…
* www.mclcm.fr
André Antibi, chercheur
« Je préconise l’évaluation par contrat de confiance. Il s’agit de dire aux élèves que les 4/5e du contrôle porteront sur une douzaine de sujets qu’ils auront déjà faits et étudiés en classe. Ce qui fait que l’enfant sait d’emblée que s’il travaille ces exercices, il aura une bonne note et ne se sentira pas « piégés » par le professeur. 30 000 enseignants ont déjà mis en pratique cette évaluation. »
Brigitte Prot, psychopédagogue
« Une note par « niveaux » (de 5 en 5, par exemple) clairement identifiés (5 points pour l’expression, 5 points pour la créativité, 5 points pour la question de cours…) permettrait de mieux évaluer les compétences déployées par l’élève pour résoudre un exercice et de définir des objectifs lisibles.»
Daniel Calin, ancien professeur à l’IUFM de Paris et formateur d’enseignants spécialisés
« Imaginons un entretien individuel tous les quinze jours avec l’élève autour de ses avancées et de ses difficultés, formulées positivement (points à améliorer). »
« Si on enlevait les notes sur les bulletins, cela obligerait le professeur à être plus précis dans son appréciation. J’avoue, des remarques comme « bon travail » et « peux mieux faire » ne m’aident pas beaucoup à faire travailler mon fils sur ses points faibles. », Valérie, mère de Paul, CM2
« Enlever les notes ? On n’a qu’à essayer. Mais je ne crois pas que les enfants apprendraient leurs leçons ou feraient leurs devoirs juste pour le plaisir du travail accompli. Un carnet sans notes, pour moi, c’est comme un travail sans salaire.» Olivier, père de Célio, CM1
« Moi j’adore les notes, surtout quand elles sont bonnes, mais j’ai souvent de bonnes notes. Car je travaille. Pour avoir de bonnes notes il suffit de travailler. Après, on est récompensé.», Coline, CM1
« Les enfants ne parlent que des notes entre eux, ils sont obsédés par ça, je trouve cela déplorable. Ils sont cruels entre eux. Aucune pitié, aucune solidarité pour ceux qui n’ont pas la chance d’être aidés par leurs parents. », Alba, mère de Romane, CE2
« L’instit de ma fille a voulu remplacer les notes en début d’année par des émôticônes. Au bout de trois mois, elle y a renoncé car les parents et les enfants passaient leur temps à essayer de les convertir en chiffres ou en lettres. », Claire, mère de Ugo, CE1.
« Moi, je ne comprenais rien aux lettres. Quand j’étais en CM2, j’étais content d’avoir un A mais je ne comprenais pas spécialement qu’avoir un C signifiait qu’il fallait que je travaille plus. En sixième, cela a été un choc. Le premier mois, je n’ai eu que des notes en -dessous de la moyenne. », Antoine, en sixième
« Nous, on a deux profs différents en CM2 car je suis dans une école d’application. Ils ne notent pas pareil. L’un est super sévère, je l’aime pas, l’autre ça va. Du coup mon carnet est coupé en deux, avec que des A dans certaines matières et des C et des D dans d’autres. Maman m’a inscrite dans une école privée qui a demandé mes bulletins. J’espère qu’ils vont se rendre compte que c’est pas ma faute. », Louise, CM2.
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