Finis les tableaux noirs et les devoirs à rendre « écrits à la main » : la révolution internet bouleverse déjà le quotidien des écoles. Avant de les remplacer ?
A la rentrée 2009, le spectre de la grippe H1N1 donne à l’Education nationale des idées futuristes : mettre en place des cours par visioconférence pour tous les élèves. Peu développé et surtout pas du tout testé, l’ultime recours ne sera finalement pas nécessaire. Un simple retard, cette fois-ci peu préjudiciable, mais jusqu’à quand ?
Après avoir bouleversé le quotidien des élèves, le web devrait modifier de façon radicale le cœur des programmes et changer le rapport élève-professeur, au grand damne des plus rétrogrades. Des innovations étudiées à l’étranger, où l’on s’apprête déjà à entrer dans l’école 2.0…
Après s’être fourvoyé avec le minitel, la France a pris avec enthousiasme le virage internet et est aujourd’hui un des pays européens les plus équipés en matériel informatique. Les écoles, longtemps habitués aux rétro projecteurs grinçants et aux magnétophones antiques diffusant de l’anglais incompréhensibles s’y sont mises aussi.
L’Education nationale prend très au sérieux ces TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement). Aujourd’hui, la plupart des collèges sont équipés en salle internet en accès libre. Pour la rentrée 2010, l’ensemble des manuels scolaires seront disponibles en ligne, pour les enseignants et les élèves.
Plus moderne, le projet ENT (Espace Numérique de Travail) a pour but d’aider élèves, professeurs et administration à mieux vivre l’école, en proposant un accès simple et sécurisé à internet. Au programme, salon de chat, boite mail et ressources en ligne disponible gratuitement. Des cours et des devoirs mais aussi du contenu multimédia : dès la rentrée, l’opération CinéLycée mettra à disposition des élèves des grands classiques du septième art.
La nouvelle technologie, omniprésente, est encore principalement vu comme un soutien pour les professeurs et une façon de mieux s’organiser. Une erreur pour certains : internet n’est pas là pour aider les professeurs à faire leur travail, mais pour le changer radicalement.
Pour les supporters de « l’école 2.0 », l’arrivée d’internet implique de repenser la façon d’apprendre, mais également ce qu’il y’a à apprendre, et de revoir en particulier la notion de savoir. A quoi bon retenir la date de la mort de Louis XIV, puisque Wikipedia nous la donne en moins d’une seconde ? A rien d’après les élèves, historiquement réfractaires à l’apprentissage par cœur, et désormais certains enseignants, comme Mathieu Claoue, professeur d’Histoire au lycée Denis Diderot (91): « Les ressources internet rassemblent l’ensemble des connaissances de tous les dictionnaires du monde. Aujourd’hui, ils sont consultables sur un téléphone. Et il n’y a aucune raison que, dans les années à venir, l’humanité n’est plus accès au téléphone portable ».
Une théorie confirmée par Sandra Enlart, co-auteur avec Olivier Charbonnier de l’essai « Faut-il encore apprendre » aux éditions Dunod : « Le paysage a complètement changé et les pouvoirs publics ne le prennent pas assez en compte. Aujourd’hui, les élèves vivent une espèce de schizophrénie : ils utilisent internet, chez eux, pour faire leurs devoirs, et continuent à faire comme si de rien n’était en classe, où le professeur est le seul à tout savoir. La conception qui veut que pour être intelligent, il faut connaître le plus de chose possible, n’est plus crédible ».
Du côté des inquiets, on craint que la fin du « par cœur » entraine une perte de mémoire, usée à force de ne pas être utilisée. Une théorie encore impossible à démontrer.
Ne pas connaître les dates de la Révolution Française ne signifie pas pour autant ne plus travailler du tout. Pour Sandra Enlart, le domaine d’apprentissage est différent : « Il y a un savoir de base, qui permet aux gens d’être intelligent avec internet : apprendre à catégoriser, à développer un esprit critique, à trier le vrai du faux. Connaître les dates de début et de fin de la Renaissance, ce n’est pas très important. Mais savoir comment cette période est arrivée, sa place dans l’Histoire, c’est ça qu’il faut apprendre. Internet est un outil, il faut apprendre à s’en servir. ».
Si les « sciences » à apprendre changent, la façon de les enseignent doit également changer. Le couple prof’ élève doit-il disparaitre ? C’est ce que pense David William Shaffer, un des initiateurs de School 2.0, un site américain incitant à changer de modèle éducatif : « Au sein de l’école 2.0, les rôles sont interchangeables. Les étudiants cessent d’être des miroirs et deviennent amplificateurs de savoir. Leur travail ne consiste plus à mémoriser ce qu’ils reçoivent mais à y ajouter de la valeur. Les nouveaux enseignants doivent accepter que la connaissance passe ailleurs que par l’état, la classe, le professeur. Il faut accepter la collaboration et la cocréation des connaissances. »
Une théorie qui ne fait pas l’unanimité. André Benstein, professeur d’Histoire au lycée Rabelais (92), regrette lui la création d’élèves assistés et finalement dépendants du net : «Savoir les dates n’est peut être pas important, mais cela leur inculque la valeur de l’effort. Personne n’est mort en apprenant une poésie. Renoncez à apprendre, c’est une solution de facilité qui n’apporte aucun bénéfice. C’est comme penser que l’utilisation de la calculette peut créer de meilleurs mathématicien ».
Sandra Enlart elle, fait la distinction entre les connaissances de base et leur utilisation : « On peut encore considérer que l’information à disposition ne rendra jamais intelligent. Le principe est de constituer une base de connaissance unifiée, indispensable, permettant ensuite de comprendre le reste. »
En 2008, Nicholas Carr, éditorialiste américain, s’interrogeait : « Google rend-il stupide ? ». Plus que la facilité enfantine à trouver une information sur le web, c’est aujourd’hui le mode de consommation du contenu qui fait débat. Selon certaines études, internet aurait créé une nouvelle façon de lire, plus rapide mais aussi plus brouillonne : le zapping permanent entre pages web, images, vidéos, entrainerait un manque de concentration et une incapacité à rentrer en profondeur dans un texte, rendant inaccessibles les ouvrages trop imposants (comprendre plus de 200 pages…).
L’optimisme des années 2000 semble également retomber chez les professeurs du lycée Diderot : « Internet permet sans doute d’être plus ouvert sur le monde, de s’enrichir en discutant avec des correspondants étrangers, témoigne M. Claoue. Mais ce qu’on constate principalement sur les historiques, c’est que les élèves chattent entre eux, font des blogs et piratent des films. L’orthographe est assez surréaliste ».
Pour Sandra Enlart, la question du bien fondé d’internet ne se pose de toute façon pas : « Le web est là, c’est absurde de vouloir s’y opposer, mais il ne faut pas non plus s’y soumettre. C’est un outil comme un autre, mais les pouvoirs publics se montrent très frileux.»
De fait, l’école française se montre peu courageuse, comparé aux pays du nord de l’Europe par exemple. Au Danemark, certains élèves ont passé leur bac avec l’aide d’internet. Une idée qui sera généralisée dès l’année prochaine, et qui n’est même pas étudié par l’Education nationale.
A quoi ressemblera l’école de demain ? Réaliste, le site School 2.0 décrit assez bien le défi à relever : « Nous préparons actuellement des étudiants pour des métiers et des technologies qui n’existent pas encore, afin qu’ils puissent résoudre des problèmes dont nous n’avons aucune notion ». Autant dire que la réponse est, elle aussi, encore loin d’être trouvée.
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