La France compte 1,7 millions d’enfants vivant en familles recomposées. Autour d’eux, de nouveaux personnages quasi passés sous silence. Pourtant, ces beaux-parents qui ont souvent bien du mal à trouver leur place dans une nouvelle histoire d’amour qui se nourrit aussi du passé de l’autre sont des tiers de première importance. Quelle mission, quels doutes, quels projets pour ces hommes et ces femmes de l’ombre qui, chacun à leur manière, façonnent aussi la personnalité et l’avenir de nos enfants ?Il y a encore quelques décennies, on devenait beau-père ou belle-mère des enfants de sa compagne ou de son compagnon parce que la mère ou le père biologiques étaient décédés ou avaient abandonné leur famille.
Aujourd’hui, être beau-parent, c’est dans la plupart des cas entrer de plain pied dans une nouvelle vie familiale que l’on dit recomposée, qui prend des formes bien différentes, où il s’agit de trouver une place vivable et si possible épanouissante… Et ce sans schémas préétablis, dans le respect des enfants de l’autre mais aussi de ses liens, si forts, avec le parent absent au quotidien mais bel et bien là dans la vie de l’enfant. Une mission, selon les cas, constructive ou impossible.
Certains voudraient que les ressentis aillent aussi vite que les mœurs. Ceux-là laissent à penser que puisque le divorce et les séparations sont de plus en plus fréquents, quasi passés au chapitre de la banalité, ils ne constituent plus des drames, à peine des remises en questions. Il n’empêche que du point de vue individuel, pour chacun des acteurs d’une nouvelle vie, de nouveaux équilibres sont à trouver, jamais faciles parce qu’ils touchent d’abord le cœur et qu’il s’agit d’y adjoindre une raison de tous les instants. Il n’existe pas de modèle type de famille recomposée. Ce qui est sûr, c’est que chacune d’entre elles garde des traces et des blessures de sa vie d’avant. Beaucoup de beaux-pères et de belles-mères sont avant tout des pères et des mères qui se retrouvent à vivre, de façon permanente ou régulière, avec des enfants qui ne les ont pas choisis, qu’ils n’ont pas choisis non plus.
Or, parfois, les leurs, justement, leur manquent cruellement. Culpabilité de la séparation, culpabilité de ne pas toujours aimer les enfants de l’autre, d’avoir du mal à éprouver pour eux la même chose que pour ses propres enfants et obligation de « faire avec » tout ce qui vient se greffer, au quotidien, sur une histoire d’amour que l’on voudrait mettre à l’abri de tous les écueils qu’a pu connaître la précédente : oui, la famille recomposée est un sacré challenge à relever avec une volonté de réussite farouche et beaucoup d’amour.
C’est à ce prix qu’elle se construit sur de bonnes bases, lorsque l’on a compris qu’à défaut d’amour qui ne naît pas toujours, on peut vivre des liens enrichissants et avoir un rôle éducatif avec les enfants de l’autre sur la base d’un vrai respect mutuel. Cette civilité-là, le couple doit s’efforcer de la mettre en place afin que chacun connaisse bien les limites de son rôle, qui n’est en aucun cas de remplacer ou de contrer le parent biologique et l’éducation que celui-ci donne à ses enfants. La famille recomposée, pour être heureuse, devrait sans doute être l’addition de compétences et de limites mutuellement acceptées par le nouveau couple et clairement expliquées aux enfants… Qui soient pour eux, en quelque sorte, le résultat de l’équation : plus + plus = plus.
Loin des témoignages assez consensuels que l’on obtient en général sur la vie de beau-parent ou de bel enfant (le sujet de l’agacement mutuel semble curieusement tabou dans un monde où l’on n’ose plus dire ce qui ne va pas), les belles-mères s’organisent et ne se mouchent pas du doigt pour dire leur façon de penser.
Le ras le bol d’un gamin dont on n’est pas la mère mais que l’on doit gérer (pas trop quand même, « t’es pas ma mère »), celui de pères copains qui n’ont pas envie de sévir avec leurs enfants qu’ils voient peu, les détails insupportables qui deviennent l’essentiel et font monter la haine de l’enfant de l’autre.
Elles se disent tout le 2ème samedi de chaque mois, à Paris, sous forme de groupes d’échanges où elles peuvent se laisser aller à toutes leurs humeurs ou sous forme de groupes de paroles animés par un psychologue pour celles qui sont vraiment au bord de la crise de nerfs. Le Club des Marâtres a au moins le mérite de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. A notre connaissance, pas d’équivalent au masculin, pas de beaux-pères officiellement exacerbés par l’enfant de l’autre alors que la majorité des hommes divorcés qui vivent en famille recomposée vivent quasiment à plein temps avec des enfants qui ne sont pas les leurs.
Deux hypothèses : soit ils ne gèrent pas du tout ces enfants (ils rentrent trop tard ou sont là sans être là), soit ils se montrent plus philosophes alors qu’ils ont en plus à souffrir de l’absence au quotidien de leurs propres enfants. A creuser !
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