Parents toxiques ou parents sévères ? Est-ce qu’on éduque nos enfants ou est-ce qu’on les dresse ? N’en fait-on pas trop ? A quel moment bascule t-on dans la maltraitance ? Où se situe la frontière et comment ne pas la dépasser ?
« C’est tout de même fou que je puisse encore avoir autant peur de lui alors qu’il n’a jamais levé la main sur moi », chuchote Sylvie en lançant un regard furtif par dessus son épaule. Sylvie a 34 ans, deux enfants, un mari aimant et tendre. Pourtant elle continue à craindre ce père, aujourd’hui grabataire et atteint de démence sénile. Elle esquisse une ébauche de sourire comme pour s’excuser d’occuper l’espace et le temps et évoque timidement sa vie, qu’elle a l’impression d’avoir « un petit peu » raté parce qu’elle n’a jamais été « bonne à rien ».
Sylvie est venue grossir le rang des personnes qui ont eu le courage de manifester un mal-être récurent et de consulter. C’est parce que des langues se sont déliées que les spécialistes de l’âme se sont penchés sur ce phénomène. Pourquoi certains individus qui au demeurant, avaient bénéficié de la présence de leurs deux parents, de nourriture, d’un toit et de soins, avaient-elles une personnalité en déconstruction ? Est-ce qu’il n’y avait pas eu un bug quelque part? Qu’est-ce qui a bien pu manquer à ces adultes pour qu’ils soient si perdus dans leur vie comme s’ils portaient des vêtements trop grands ou étriqués, en tout cas trop inadaptés? Susan Forward* fait partie des pionniers qui dès les années 90, ont pointé du doigt l’origine de ce mal de vivre : des parents toxiques.
La génération de nos arrières grands-parents et celles d’avant, vous auraient dit que faute de vrais problèmes, nous nous en créons et que les parents toxiques existent dans notre imagination. Que ça n’a jamais tué un enfant de le tancer vertement, mieux : cela l’aidera à connaître sa place. Soit. Si ce n’est qu’on sait aujourd’hui grâce à Françoise Dolto et à toute une génération de professionnels iconoclastes, qu’un enfant est, ni plus ni moins, un être humain et que sa place n’est pas dans un panier, avec le chien. Un enfant est un adulte en devenir et afin qu’il puisse bâtir sa personnalité et contribuer à la mise en place d’une société harmonieuse, il doit avoir une enfance exempte de souffrance.
Bien sûr, la maltraitance n’a rien d’inédit. Ce serait même un procédé éducationnel connu, archaïque et totalement inefficace. Facile à déceler quand elle s’affiche ouvertement, on a plus de mal à la qualifier quand elle est insidieuse et qu’elle s’infiltre sournoisement dans la vie de ces petits êtres. C’est toujours plus facile de reconnaître des parents maltraitants chez les toxicomanes ou les alcooliques. C’est rassurant de désigner des parents incestueux ou incestuels. On repère bien les hématomes dessinés sous la peau des enfants battus de façon récurrente. On sait traduire leur geste de défense lorsqu’ils dressent leurs bras comme pour anticiper les coups qu’ils ont déjà tellement reçus. Personne n’a oublié Marina, qui a trouvé la mort à huit ans, en 2009, après un ultime déchainement de violence de la part de son père et de sa mère.
Alors forcément, en comparaison de ces actes de barbarie, hausser le ton sur vos enfants ne fera pas de vous un parent toxique. Pas si le schéma relationnel au sein de votre famille est apaisé. Pas si vous n’abusez pas de votre situation de référent de votre enfant et qu’occasionnellement vous remettez « pacifiquement » quelques pendules à l’heure et imposez des limites. Les blessures morales tatouées à l’intérieur de la tête des enfants ne se voient pas tout de suite et sont comme autant de bombes à libération prolongée qu’il faudra désamorcer dans la douleur plus tard. Alors pourquoi ne pas commencer tout de suite en fabriquant un terreau doux et rassurant pour accompagner délicatement votre enfant ?
Eduquer… Elever… Ces deux mots puisent leur source dans le latin. Eduquer est formé à partir des mots conduire et dehors. Quant à élever, il signifie soulever, porter à un niveau plus haut que le sien. Traduction : mettre son enfant sur les rails de la vie et lui fabriquer, du mieux possible, les bagages qui lui serviront pour voler de ses propres ailes.
Nadine en sait quelque chose … Fille unique, une enfance tranquille, tous ses rêves devenaient réalité avant même d’avoir eu le temps d’être verbalisés. Oui mais voilà, Nadine a eu une mère étouffante et un père qui a brillé par son absence. La première a dispensé son amour en le soumettant à des clauses : « Si tu ne finis pas ton assiette je serais triste. Tu veux que je pleure ? Pourquoi tu refuses que je vienne avec toi et tes amis au cinéma ? C’est parce que tu ne m’aimes pas » … Chaque action était soigneusement conditionnée par des exigences pseudo-affectueuses qui ont fissuré l’assurance de Nadine au fur et à mesure qu’elle grandissait.
« Il a fallu que je devienne mère à mon tour pour que j’aie le courage de l’intimer de cesser ce jeu qu’elle recommençait avec ma fille » Ni ses pleurs, ni son chantage au suicide -rien que ça-, n’ont eu raison de la fermeté de Nadine qui s’en amuse : « Elle a trouvé une autre raison de vivre, se lamenter de moi, sa fille unique pour laquelle elle a sacrifié sa vie. » Elle reprend toutefois sur un ton sérieux, qu’elle ne lui en veut pas car : « Ça aurait pu être pire !»
Pire comme ces parents adeptes d’une éducation qu’ils voudraient irréprochable, au point de transformer leur foyer en une annexe du goulag où la terreur y règne sans limite ? Est-ce vraiment parce qu’ils désirent un enfant-marionnette bien élevé ou parce le principe de leur tranquillité perturbée par des petits êtres est étranger à leur référentiel?
« Je n’en peux plus », soupire Anna, « Il a fait tomber son verre cinq fois, alors oui la cinquième fois je lui ai hurlé qu’il était encore plus idiot que son petit frère de 2 mois. Après ça il s’est calmé. » C’est sûr que son petit Romain a arrêté de faire l’hélicoptère avec sa cuillère, il s’est assis dans un coin et n’en a plus bougé. Les parents toxiques justifient leurs actions délétère par une réaction naturelle et réflexe face au caractère difficile de leur enfant : Je n’y peux rien, il me pousse à bout, il est nul, il est débile, il ne fait aucun effort… A supposer que ce soit le cas, car il existe bien des enfants au caractère délicat comme il y a des adultes excessifs, il n’est pas recommandé d’y répondre en mettant en place une stratégie de dressage, au risque de plonger dans une spirale infernale. Exit le chantage affectif, la menace perpétuelle, l’absence de considération, l’autorité abusive et bienvenue à l’amour inconditionnel, la communication sans violence, le respect et l’éducation bienveillante.
Évidemment, réprimander votre petit quand il sort un peu trop souvent des sentiers battus n’est pas de la maltraitance, dès lors que c’est pondéré que toute mesure est gardée.
D’autant qu’il faut veiller aussi à ne pas tomber dans l’excès radicalement inverse, qui suit la pensée d’une école de parents tellement attachés à une optique d’épanouissement de leur enfant, qu’ils en deviennent démissionnaires. C’est une autre forme de message, qui peut, dans ses formes les plus extrêmes, se révéler aussi néfaste que l’est une autorité abusive. Même si à l’origine, les sentiments qui les appellent sont diamétralement opposés.
Laisser intentionnellement à son enfant un univers de liberté tendant vers l’infini peut s’avérer périlleux. Lorsqu’un petit dort, il ne viendrait à personne de l’abandonner sans surveillance à même le sol, dans une pièce de 30 m2 remplie de prises électriques, de fenêtres ouvertes et de coins de tables saillants.
L’éducation procède du même état d’esprit. Il suffit d’écouter Marc et Laurence, adeptes de pédagogie active. Quand Joshua était petit et afin de ne pas gêner son développement, ils avaient honni tout type de sanction, jugeant cela liberticide. Laurence en est un peu revenue et annonce la couleur : « Joshua déteste l’école, il ne supporte aucune contrainte. Si c’était mignon à 18 mois, ça l’était moins en petite section de maternelle où il ne comprenait pas le mot « non ». Maintenant qu’il est en CE1, nous avons déjà été convoqués quatre fois pour des problèmes comportementaux. Il ne mange rien à part des yaourts et des madeleines et passe son temps à nous provoquer » Ils rectifient le tir en rappelant à leur fils qu’il n’a que 7 ans, mais Marc affiche une certaine lassitude : « Je pense qu’on a trop intellectualisé le concept de l’éducation et qu’on a une sorte d’effet boomerang ».
Parce qu’il faut tout de même reconnaître qu’il est bénéfique, pour son propre bien, de positionner l’enfant sur l’échiquier familial. Il sait qu’il a les mêmes droits fondamentaux que ses parents : l’alimentation, le sommeil, l’affection et le respect. Il comprend aussi très vite, qu’il a un besoin supplémentaire qu’il n’aura de cesse de remettre en jeu : celui d’être rassuré en permanence. Le monde qui l’entoure a beau le séduire et l’inviter à sa découverte, un petit a besoin de tester les limites de ses parents et de s’y frotter. Trop de souplesse pourrait être interprétée comme un manque d’intérêt par l’enfant, qui pourrait s’imaginer délaissé. Les raisons qui conduisent à cette absence de périmètre sont louables : il s’agit d’éviter toute contrainte à son enfant afin de ne pas entraver son épanouissement. C’est là que le bât blesse : sans ce filet de sécurité qu’est l’adulte responsable, un enfant est complètement perdu et la chute peut être redoutable. Des parents démissionnaires peuvent, sans le vouloir, créer un climat toxique engendrant par là même, des carences au niveau du développement de leur enfant.
Face à toutes ces informations souvent contradictoires qui sont dictées par tout le monde, il y a le risque de ne plus savoir comment gérer l’éducation de son enfant … Comment savoir si on est des parents laxistes ou justes, sévères voire toxiques ? Le Docteur Radel, psychiatre, relativise : Votre enfant est le baromètre. S’il est objectivement épanoui et heureux et qu’il a confiance en lui, alors tout va bien. Elle rajoute que s’il est évident pour cela d’imposer des limites et des exigences par les adultes, celles-ci doivent être adaptées à la personnalité, aux compétences et à l‘âge de l’enfant.
C’est un soulagement de savoir qu’il est encore possible de reprocher à son enfant sa mauvaise note. La clé réside juste dans la façon dont le message est délivré. Guillaume se souvient encore de l’ire disproportionnée de son père quand il obtenait un 17/20 : « Tu n’es qu’un bon à rien, tu me dégoûtes, tu finiras dans un caniveau, tu n’es pas mon fils ». Aujourd’hui Guillaume est beaucoup plus modéré quand il doit signer le livret scolaire de sa fille : « Je voudrais qu’on parle de ta mauvaise note à ton dernier contrôle. Qu’en penses-tu ? Est-ce que tu crois que c’est bien ? J’aimerais avoir ton avis. Parce que maman et moi pensons que c’est dû à un manque de travail. Il faudrait que la prochaine fois tu révises un peu plus, tu auras le mérite d’avoir essayé. »
C’est là toute la subtilité du dosage, lequel doit être composé avec les mêmes précautions d’usage que l’emploi des ingrédients d’une réaction chimique…
Il est toujours temps de changer son comportement. Si vous lisez ces lignes, cela veut dire que vous êtes sensibilisé à cette cause, qu’éventuellement vous connaissez un parent toxique, ou que vous voulez peut-être vous rassurer. Il y a un moment déjà qu’une campagne nationale de prévention alerte les parents sur les dangers des bébés secoués.
C’est exactement la même chose pour les enfants qui vivent sous le joug d’un ou des deux parents toxique. Les lumières de leur personnalité s’éteignent l’une après l’autre, et si la maltraitance, quelle qu’elle soit, ne cesse pas, cela finira par se ressentir dans leur nature intrinsèque. Alors comment se sortir de cet écheveau avant de provoquer des dégâts irréversibles comme c’est le cas des deux petites voisines de Nathalie ? Des mois à entendre des objets voler dans l’appartement du dessus, les hurlements des parents et le regard inexpressif des fillettes croisées dans l’ascenseur ont fini par la convaincre qu’elle devait appeler le 119*. Elle ne sait pas quelles suites ont été données à son appel, d’autant qu’elle a déménagé depuis, mais elle avoue être soulagée car elle ne se serait jamais pardonnée de n’avoir rien fait.
Avant d’en arriver à cet extrême, il faut essayer de se remettre en question. L’enfant que vous attendiez ne correspond pas à celui que vous aviez rêvé ? Vous avez eu un passé compliqué ? Vos enfants sont trop difficiles ? Autant de raisons qui justifient aux yeux de certains parents leur conduite. Ils en oublient la principale donnée : c’est à l’adulte de se maîtriser. Lorsqu’un parent est excédé par les pleurs ininterrompus de son nourrisson, il sait qu’il doit quitter la pièce afin de ne pas être tenté de le secouer. C’est exactement le même procédé pour un parent maltraitant qui a pris conscience de sa toxicité. Avant d’asséner des horreurs, il faut souffler un bon coup, respirer, boire un verre d’eau et revenir calmé et un peu plus serein pour le sermonner le cas échéant. Ce n’est pas seulement une question de forme, c’est la base même d’une relation sereine et affectueuse entre les enfants et le roc contre lequel ils doivent pouvoir s’appuyer : les parents. Après tout, l’amour que nous dispensons à nos enfants est la meilleure assurance vie qui les accompagnera tout au long du chemin qu’ils vont suivre.
Rebecca T. 40 ans, maman de Manon 4 ans, de Sylvestre 7 ans et de Charles 10 ans.
J’ai toujours voulu être mère et je m’étais fait la promesse solennelle de ne jamais être toxique, comme maman et papa l’avaient été envers mes sœurs et moi. C’était trop beau de croire que j’allais, d’un coup de baguette magique, m’envelopper avec mes enfants dans un cocon maternant. Ça a commencé avec Charles qui a fait ses nuits tard et que j’insultais copieusement, ça a continué avec Sylvestre qui a eu la mauvaise idée d’être un garçon, alors que je voulais une fille, et que j’humiliais tout le temps, allant jusqu’à ne pas fêter son anniversaire pour bien lui faire comprendre qu’il n’avait pas sa place chez nous. Finalement c’est la naissance de Manon, qui a révélé cette ambiance délétère et anxiogène dans laquelle j’éduquais mes garçons. L’ironie de l’histoire est que j’ai toujours aimé mes enfants et je ne voyais pas en quoi mon comportement pouvait être nocif. Une psychothérapeute m’a aidée à faire un peu de ménage dans ma tête. Il m’arrive encore d’être cassante et méprisante. Je croise mon reflet dans un miroir et je tente par une pirouette, par un câlin ou une plaisanterie, de rattraper ma malveillance. Je reconnais que j’ai un fond méchant, presque sadique, que je tente de maîtriser afin de ne pas faire de mal aux être innocents et purs que sont mes enfants. J’ai une responsabilité envers eux et ce n’est pas à eux de payer mes névroses.
L’avis du Docteur Christine RADEL (Psychiatre)
Les parents toxiques constituent un vaste ensemble, allant des parents surprotecteurs aux parents maltraitants, violents, incestueux etc.
Si les parents exigeants mettent tout en œuvre pour faire de l’enfant un sujet à part entière qui sera un adulte responsable accompli et bien dans sa peau, parfois au prix d’une éducation rigide, les parents toxiques ne reconnaissent pas l’enfant comme un sujet de droit mais comme un objet au service de leur désir. Cet enfant ne doit pas avoir de vie propre. Toute tentative d’échapper à l’emprise parentale sera brisée par des humiliations petites ou grandes, un dénigrement systématique lui laissant croire qu’il est incapable de penser et de vivre par lui-même. Pourtant, le plus souvent rien n’y parait : enfant réussissant à l’école, bien élevé par un parent, perçu par les autres comme disponible et dont la vie est au service de sa progéniture.
Arrivés à l’âge adulte, ces enfants manqueront cruellement de confiance en eux, accumuleront les échecs et resteront dépendants de leurs parents et si ils ont des velléités de sortir de cette relation perverse, ils s’entendront dire le fameux : « après tout ce que l’on a fait pour toi » qui ne manquera pas de les ramener dans le droit chemin tracé par ces parents tyrans.
Ces parents convaincus de bien faire ne se remettent que rarement en question et si certains enfants devenus grands parviennent parfois à imposer leurs choix, le prix à payer sera la rupture avec ces parents sincèrement désemparés qui se vivront alors comme victimes d’un enfant indigne et ingrat.
* Parents toxiques, comment échapper à leur emprise, Ed Marabout – De Suzanne Forward
** Service National d’Accueil Téléphonique de l’Enfance en Danger (numéro national 24/24 gratuit)
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