Le 4 mars 2002, le Sénat entérinait la loi sur l’autorité parentale conjointe qui donnait, notamment, une légitimité à la résidence alternée. Depuis, les débats entre ses défenseurs et ses détracteurs, qui prennent parfois l’allure d’une guerre de tranchées, sont toujours vifs. Au milieu de ce combat, la souffrance, celle des enfants mais aussi (et surtout ?) celle des parents séparés. Jacqueline Phélip, présidente de l’association L’enfant d’abord, répond aux questions de Côté Mômes.
Côté Mômes : Voilà quatre ans que la résidence alternée a été promulguée. Pouvez-vous, à ce stade, faire un premier « état des lieux » ?
Jacqueline Phélip : Je voudrais d’abord préciser que cette loi a été votée en urgence en fin de législature et n’a aucun garde-fou (âge de l’enfant, distance des domiciles, temps d’alternance, conflit parental, violences conjugales, principal pourvoyeur de soins, etc.) alors même qu’elle autorise les juges aux affaires familiales à imposer une résidence alternée à n’importe quel rythme et dans n’importe quelles conditions.
On a l’impression que seules les associations de pères ont été entendues pour son élaboration. La tendance aujourd’hui est de partager équitablement un enfant entre son père et sa mère comme un bien qui appartiendrait à la communauté réduite aux acquêts ou pire, au nom de l’égalité homme-femme !
Est-ce toujours dans l’intérêt de l’enfant ? Certainement pas. Le jeune enfant, par exemple, jusqu’à six ans environ, a un développement psychoaffectif qui lui est propre et qu’il faut respecter. Et encore, au-delà de cet âge, certaines résidences alternées ne sont pas toujours sans poser des problèmes parfois sérieux.
CM : Quels sont ces problèmes ?
JP : Un enfant n’a ni la mémoire ni les notions d’espace et de temps d’un adulte. Une heure, une journée et a fortiori une nuit, c’est parfois interminable pour un bébé auquel on ne peut pas expliquer, quand il se sent mal dans une situation, qu’elle ne va pas durer toujours. Il vit d’autant plus dans l’angoisse que la relation entre les parents est conflictuelle et l’on voit apparaître des symptômes chez les petits qui n’existaient pas avant la mise en place de la résidence alternée.
Pédopsychiatres et pédiatres examinent des enfants qui vont mal suite à l’instauration d’une résidence alternée à un rythme inadapté. Pour un petit enfant, c’est sa mère qui, dans la majorité des cas, représente sa base de sécurité, ce que l’on appelle « la figure d’attachement principale » qui n’est pas exclusive mais qui est préférentielle aux autres.5249
CM : Cette loi est-elle, à vos yeux, une mauvaise loi ?
JP : De nombreux parents s’arrangent à l’amiable pour l’organisation de l’alternance de leurs enfants et c’est une bonne chose que la loi les y autorise. Là où le bât blesse, c’est lorsque la justice s’en mêle. Il est très important que le lien soit maintenu entre l’enfant et ses deux parents mais pas à n’importe quel rythme, d’autant plus quand il y a conflit parental. Plusieurs grands noms américains comme T.Brazelton, Judith Wallerstein, le pédopsychiatre Yvon gauthier, directeur de la clinique de l’attachement à l’hôpital Sainte Justine au Québec et, plus proches de nous, Maurice Berger, Hana Rottman ou le professeur Hayez tirent la sonnette d’alarme.
JP : Les juges aux affaires familiales sont débordés de dossiers. Il n’ont en outre aucune formation sur le développement psychoaffectif de l’enfant et ne disposent que de peu de moyens fiables, enquêtes sociales ou expertises psychologiques, pour savoir ce qui se cache précisément derrière chaque situation qui se présente à eux.
Il y a par ailleurs des effets secondaires extrêmement graves pour les jeunes femmes qui ne peuvent plus trouver un emploi, être mutées ou accepter une promotion professionnelle qui les éloigne de leur domicile sans prendre le risque de perdre complètement la garde de leur enfant encore jeune, et ce sans que personne ne se préoccupe de savoir si le père était impliqué dans les soins à l’enfant avant la séparation ou s’il s’implique après. Nous avons aussi des cas où des mères qui quittent un homme violent ou très dominant deviennent les otages de cet homme à travers des résidences alternées imposées.
CM : Que faut-il faire, alors, pour trouver un juste équilibre ?
JP : Il faut modifier les pratiques judiciaires. Trouver des solutions intermédiaires adaptées entre le week-end sur deux et une semaine l’un, une semaine l’autre. La commission famille a proposé d’éditer un « guide de bonne pratiques » à l’adresse des juges. C’est une bonne chose, à condition que ce guide soit suffisamment détaillé et précis. Nous sommes dans une société où l’enfant est roi mais où il est aussi, paradoxalement, de moins en moins respecté.
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