Peu de sujets qui paraissent si évidents sont en fait si complexes quand on y regarde de plus près. Un père, c’est un père et l’on n’en a qu’un. Une fois cette certitude posée, reste à savoir comment les pères d’aujourd’hui se situent tant la relation familiale a changé depuis que la « puissance paternelle » a été détrônée, en 1970, par « l’autorité parentale appartenant aux père et mère ». Dans la foulée, la contraception, la procréation médicalisée, l’éclatement de la cellule familiale ont elles aussi placé les pères face à un nouveau statut, multiple, et sans cesse à réinventer. Un domaine où psychologie et sociologie ne font qu’un. Pas un ouvrage sur les pères qui ne commence par nous donner quelques leçons d’histoire. Et pour cause. Entre le paterfamilias de la Rome Antique et celui d’aujourd’hui, il n’existe plus grand-chose de commun tandis que la mère reste stable dans son statut, même si sa vie sociale a évidemment beaucoup changé. Chez les Romains, donc, le père était tout-puissant et avait le droit de vie et de mort sur ses enfants, tout au long de leur vie et quel que fusse leur âge. Puis la Révolution Française limite le droit des pères : c’est l’abolition, en 1792, des lettres de cachet qui autorisaient les pères à faire emprisonner leurs enfants, et les enfants majeurs (21 ans) ne sont plus soumis à la puissance paternelle. C’est aussi l’année où est promulguée la première loi sur le divorce (qui sera ensuite abolie en 1816 pour être rétablie en 1884).
Pendant la révolution industrielle, une partie de l’autorité éducative et morale du père se déplace vers l’école publique obligatoire instituée en 1883. En 1935, on supprime la correction paternelle. 1970 marque le vrai tournant avec le remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale. Deux ans plus tard, une réforme fait entrer dans le droit la reconnaissance de la famille naturelle. Le lien de sang est pour la première fois considéré comme essentiel pour établir la filiation d’un individu. Puis est reconnu, en 1993, le principe de l’autorité parentale conjointe. Il faut ajouter à cela la contraception et l’IVG, donc les grossesses choisies et maîtrisées par les femmes, les progrès des techniques de procréation médicalisée et le nombre croissant de divorces et de ruptures qui remettent en cause la cellule familiale…
Tout se passe comme si, aujourd’hui, un père devait faire la preuve de sa légitimité là où, auparavant, nul n’aurait osé contester son pouvoir suprême. En effet, en l’espace d’une trentaine d’années, les choses ont plus évolué qu’en 200 ans et il n’est pas forcément facile pour la gent masculine de s’y retrouver même si l’on ne peut que se réjouir d’un rééquilibrage des forces au sein de la famille et auprès des enfants. Dans la vie concrète, tout n’est pourtant pas si « simple » que dans les textes de loi. Françoise Husrtel, professeur en psychologie, commente dans La déchirure paternelle, la loi de 1972 : « centrée sur l’importance du lien social, le père est d’abord celui qui aime et qui éduque »… mais elle ajoute aussitôt : « centré sur les nouvelles connaissances en biologie et l’évolution des techniques, le père est aussi celui que le spermogramme ou l’empreinte génétique désigne comme tel ! ». De quoi s’y perdre et parfois y perdre sa paternité. Les chiffres sont éloquents : 54% des enfants de parents séparés perdent contact avec leur père… A l’heure où plus de 80% des pères assistent à l’accouchement de leur épouse ou compagne. Les plus optimistes ne retiendront que ce second chiffre pour souligner que les pères n’ont jamais été plus impliqués
dans leur rôle (peut-être poussés par la nécessité d’une reconnaissance qui désormais se gagne ?). Les autres ne pourront que déplorer la menace qui semble dans le même temps peser sur des pères éjectés de la relation fusionnelle entre la mère et l’enfant qu’ils sont pourtant censés briser dans le rôle de tiers séparateur que leur attribue la psychanalyse depuis la nuit des temps, de Freud à Lacan. Le complexe d’Œdipe en prend un coup et, dans le même temps, les médias saluent les « papas poule » qui appliquent sans faiblir le partage des tâches ménagères et les soins donnés aux enfants au même titre que la mère.
Et l’individu, dans tout ça ? Chaque père a d’abord été un fils, puis un homme, avec ses convictions, ses blessures, et sa propre toile de fond d’enfance. Tout porte à croire dans cet espace largement ouvert à la paternité « nouvelle » qui peut parfois donner le vertige mais a au moins l’intérêt d’ouvrir les consciences sur l’éducation des enfants qu’il appartient à chacun d’inventer sa paternité, son modèle.
Pour en savoir plus :
La déchirure paternelle, Françoise Hurstel, PUF, 1997
Les métamorphoses du masculin, Christine Castelain-Meunier, 2005
Comment être père aujourd’hui, Jean Le Camus, Editions Odile Jacob, 2005
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