Loin de faire exception, les placements concernent chaque année près de 40 000 enfants. Qu’ils soient confiés à des familles d’accueil ou admis dans des institutions spécialisées, ces enfants doivent se construire dans des schémas familiaux instables. L’intérêt de l’enfant passe-t-il toujours au premier plan ? Enquête.
Marion a vingt et un ans. Placée en foyer à l’âge de six ans, elle est restée loin de sa famille sept ans durant, sans comprendre vraiment la raison de son placement avant son retour au sein du foyer familial. « Je ne me souviens pas de tout. Mes souvenirs sont flous, j’ai le sentiment de m’être réveillée un jour dans un foyer sans pouvoir en sortir avant mes treize ans. Je n’ai compris que plus tard, bien après avoir quitté le foyer, que ma mère s’était vue retirer ma garde parce que sa situation psychologique ne lui permettait pas de s’occuper de moi décemment. Dépressive et financièrement précaire, elle peinait à joindre les deux bouts depuis quelques mois déjà, et n’avait aucune conscience de ce qui constitue les devoirs d’un parent. C’est ma tante qui a signalé ma situation aux services de protection de l’enfance. Très perturbée par ce qu’elle qualifiait d’injustice, ma mère n’a jamais su m’expliquer ce qui se passait. Elle avait honte, certainement. Honte d’être disqualifiée de son rôle de maman aux yeux de la loi. Elle m’a donc expliqué, quand elle me rendait visite, et des années durant, que ma tante lui voulait du mal, que c’était la raison de mon placement. J’ai donc grandi, loin d’elle, loin de ma famille, en nourrissant l’idée que quelqu’un voulait nous séparer. Au foyer, j’étais une petite fille insupportable. Persuadée que le monde entier me persécutait, j’ai fait vivre un enfer à des éducateurs qui redoublaient de patience pour me faire entendre raison. A l’école, c’était une catastrophe. Je ne compte même pas les fugues, les scénarios que j’ai inventés pour pouvoir fuir et rejoindre ma mère. J’avais treize ans lorsque le placement a prit fin. Ma mère avait enfin pu démontrer que sa situation s’était améliorée. J’ai donc fait mon retour dans le monde « normal », complètement déboussolée. A treize ans, on a plus de jugeote qu’à six. Je me suis vite rendue compte qu’il n’y avait pas de complot : ma mère, malgré ses efforts, était complètement dépassée par les évènements et n’avait aucune idée de la démarche à suivre pour s’occuper de moi. Toujours en échec scolaire, je cumulais les difficultés puisque ma mère oubliait régulièrement de m’emmener ou de me récupérer à l’école, faisait des scènes à mes professeurs sans raison et réclamait des entretiens avec la direction dès que je ramenais une mauvaise note, persuadée que j’étais harcelée. A quinze ans, j’ai demandé à être inscrite en internat. Seule, face à mes livres et avec une meilleure compréhension des raisons qui ont poussé le juge pour enfants à m’éloigner de ma mère, j’ai tout mis en oeuvre pour m’en sortir. Aujourd’hui, je travaille dans une MJC. J’ai bien rattrapé mon retard scolaire… Et je n’ai qu’un but, aider les autres. »
Tout juste nommée Défenseure des enfants, Marie Derain a publié en novembre un rapport sur les enfants placés. Le message est clair : l’intérêt de ces enfants passe avant tout. Un travail qui a été engagé par le réseau européen des défenseurs des enfants, que la Défenseure des enfants a poursuivi à travers une série de propositions concrètes.
• Parmi les mesures proposées dans votre rapport, vous demandez à « organiser l’implication et la participation des parents dans le cadre du placement ». Le lien n’est pas toujours conservé comme demandé par la justice entre les enfants placés et leurs parents ?
C’est l’une des difficultés qui repose très souvent sur des contraintes pratiques. Pour les établissements, les problématiques qui concernent le quotidien des enfants sont difficilement traitées avec l’implication des parents. Par exemple, le choix des activités de loisir, l’achat des vêtements, le choix des périodes de vacances avec les parents… Ce sont des questions qui paraissent anecdotiques, mais elles excluent souvent la prise en compte de l’avis des parents. Ce sont des moyens pour les parents de partager des moments du quotidien avec leurs enfants.
• N’y a-t-il pas des situations dans lesquels il est bénéfique pour le développement de l’enfant de couper le lien avec ses parents, notamment dans le cas de maltraitances lourdes ?
Absolument. J’ai précisé dans le rapport que le placement devait durer le moins longtemps possible, je n’ai pas précisé « le plus souvent ». En effet, dans certains cas, il est nécessaire de rompre le lien. C’est aux juges d’apprécier la gravité des cas, mais il faut aussi s’attacher à faire un accompagnement des parents.
• Vous dites « Le plus souvent » : Les cas de maltraitance sévère sont donc très rares ?
Statistiquement, ce n’est bien sûr pas la majorité des placements. La plupart du temps, il s’agit de difficultés qui se posent dans la vie des parents à un moment donné, les empêchant de s’occuper convenablement de leurs enfants. Le placement est la solution qui intervient lorsque toutes les solutions d’aide ont été mises en oeuvre, mais cela concerne quand même 150 000 enfants.
• Beaucoup de fratries sont séparées lors des placements, les réunir est-il pour vous une priorité ?
De la même manière que les liens doivent être maintenus avec les parents, c’est un enjeu qui touche aussi les liens avec les frères et soeurs, les grands-parents, et les personnes qui jouent un rôle important dans la vie de l’enfant de manière générale. Il est très important que ces personnes fassent encore partie de l’univers affectif de l’enfant quand le placement intervient. En ce qui concerne les fratries, on ne peut qu’encourager les propositions qui permettent de maintenir le contact des fratries. Certaines associations ont particulièrement travaillé là dessus. Je pense notamment à la Fondation pour les villages d’enfants et à SOS villages d’enfants. J’ai connu le cas de grands parents qui se plaignait de la séparation de leurs petits-enfants. Il se trouve qu’en réalité, c’est l’aîné qui avait demandé cette séparation, parce qu’il souffrait de devoir s’occuper de ses frères à outrance. Il est donc très important d’associer les enfants aux décisions prises les concernant, mais aussi d’expliquer ces décisions à la famille.
• En ce qui concerne l’école, que faire pour maximiser les chances de ces enfants dans le milieu scolaire ?
Il faut avoir de l’ambition pour ces enfants. A partir du collège, on a affaire à des cursus qui sont hachés à cause des placements. On a également du mal à entendre l’avis des enfants sur leurs souhaits d’orientation. On arrive à des situation où on est face à un jeune qui veut s’orienter dans une carrière en rapport avec les chevaux, mais sous prétexte que cela coûte trop cher, on choisit pour lui l’horticulture. Il est important de prendre en compte leurs ambitions. Malheureusement, on manque d’études sur les parcours scolaires de ces enfants. Or, pour être force de proposition, il faut les connaitre. Ces questions font parties de celles qui ont intéressé le Président de la République et sur lesquelles nous voulons travailler.
• Les associations de parents disqualifiés dénoncent une proportion de cas de placements abusifs qui peut aller jusqu’à 60%. Qu’en pensez-vous ?
C’est une question qui est difficile à évaluer car il s’agit de cas par cas. C’est typiquement le genre d’appréciation qui correspond avant tout à un ressenti des parents. Peut-être que pour certains, on n’a pas pris le temps d’expliquer les raisons de ces décisions judiciaires, ni pourquoi leur situation exposait leurs enfants à des dangers. Très souvent, les placements ne sont pas préparés, ils se font dans l’urgence. C’est évidemment une erreur, et les parents eux-mêmes le vivent comme une violence. Toute cette phase de préparation du placement est à développer, tout comme l’accompagnement avec les travailleurs sociaux et l’ouverture des établissements aux parents. Si l’on n’explique pas aux parents pourquoi on leur retire leurs enfants, ils ne peuvent pas comprendre. Les placements abusifs représentent un certain nombre de réclamations que nous avons à traiter. Nous faisons le nécessaire pour les traiter, mais si ce n’est pas le rôle du défenseur des droits de remettre en questions les décisions judiciaires.
• En ce qui concerne les parents d’accueil : Considérez-vous qu’il s’agisse d’un métier, d’une source de revenu ou d’un don de soi ?
Accueillir des enfants chez soi, cela repose forcément sur un certain sens de l’altruisme et de l’engagement. Ce qui est très bien, c’est qu’on ait cherché à professionnaliser cette activité, avec une formation et un accompagnement des familles d’accueil. Il faut continuer à les professionnaliser, parce que même si les cas de familles qui accueillent mal les enfants sont très rares, ils existent.
• Avec l’affaire sordide de Gilles Patron, ce père d’accueil accusé d’agressions sexuelles sur plusieurs mineures hébergées chez lui, on ne peut que se poser la question : Y a-t-il un véritable contrôle sur les familles d’accueil ?
Je ne connais pas suffisamment ce dossier pour vous donner plus de détails. Tout ce que je sais, c’est que chaque Conseil Général a l’obligation d’organiser l’accompagnement et la formation des familles, pour arriver à une qualité d’accueil sécurisée au maximum. Ce sont bien sûr des cas que l’on essaye d’éviter absolument, et qui malheureusement se produisent, de manière tout à fait exceptionnelle. La grande majorité des enfants confiés à l’Aide Sociale pour l’Enfance sont en famille d’accueil, et cela se passe très bien.
« Je ne défends pas n’importe quelle cause. » Me Mayer est avocate spécialisée dans les affaires familiales. Des parents disqualifiés, elle en a vu beaucoup. « Je défend les parents, mais ma priorité est toujours l’intérêt de l’enfant », annonce-t-elle. Il lui arrive d’ailleurs de refuser des dossiers. Selon elle, l’ASE fait un travail formidable, mais il y a des cas abusifs. « J’ai connu le cas d’une mère alcoolique, qui était incapable de s’occuper de sa fille. », raconte l’avocate. « La petite a été placée chez sa grand-mère, une femme très aimante avec qui elle s’épanouissait. Mais un beau jour, la mère de l’enfant a contesté cette décision sous prétexte qu’elle ne faisait pas confiance à sa mère. Le juge a pris la décision de placer la petite fille dans un foyer. Elle est devenue très instable, s’arrachait les cheveux, se mutilait. Pour ce cas, l’intérêt de l’enfant était avec sa grand-mère, avec qui elle était épanouie. »
• Qui tire la sonnette d’alarme pour déclencher une procédure de placement ?
La première étape, c’est un signalement. Il peut venir d’une directrice d’école, d’un voisin. C’est ensuite l’Aide sociale pour l’enfance (ASE) qui mène son enquête.
• Y a-t-il un réel suivi des enfants par la justice, après leur placement ?
Les placements sont des décisions qui sont valables un an, et qui peuvent être renouvelées. La famille repassera donc fatalement devant le juge un an plus tard, que ce soit pour que l’enfant reste en foyer ou en famille, ou qu’il rentre chez lui.
• Avez-vous déjà eu des cas de parents qui demandaient eux-mêmes que leur enfant soit placé ?
C’est assez rare, mais ça arrive. J’ai notamment connu le cas d’un monsieur qui estimait qu’il était incapable de s’occuper de ses enfants. Il a donc fait la démarche lui même. Je pense que l’enfant n’est jamais mieux qu’avec ses parents, mais il ne faut pas qu’il soit en danger d’une manière ou d’une autre.
• Est-il difficile pour ces parents de conserver un lien avec leur enfant une fois placé ?
Légalement, les parents ont bien sûr un droit de visite. Mais en pratique, il est très complique d’organiser ce temps là. Je pense qu’il est capital que le lien soit conservé, cependant pour certains parents, c’est une bonne chose que les visites soient régulées.
Dans le petit village du Pradet, sous le soleil de Provence, se trouve une maison un peu spéciale : elle abrite l’association Prema, l’une des quelques structures d’accueil non-traditionnelle (SANT) de France. Au départ, Prema, c’était une femme, Roseline Gravrand, qui accueillait des enfants pendant les vacances scolaires et les week-ends dans son joli havre de paix. Des enfants victimes de graves maltraitances, placés en foyer ou en famille d’accueil, qui profitaient alors d’une parenthèse dans un cadre familial réunissant des fratries souvent dispersées par les décisions judiciaires. Puis, Roseline Gravrand a eu envie d’en faire plus. Artiste-sculpteure et psychothérapeute, elle a souhaité réunir ses deux passions au sein d’un seul objectif : celui de bientraitance, à travers la pédagogie et l’art-thérapie. Désormais, la maison Prema accueille une dizaine d’enfants à l’année. Tout ici est mis en oeuvre pour que ces enfants puissent surmonter leurs traumatismes pour devenir des adultes épanouis. Au fil des années, une équipe de professionnels s’est créée : Roseline travaille avec deux maîtres d’école qui font la classe sur place, des éducateurs, des psychologues, un auxiliaire de vie… Aujourd’hui, la structure est répartie sur deux maisons, et fait partie des quelques 240 « lieux de vie » en France.
La plupart des enfants accueillis dans la maison de Roseline ont été retirés de leurs familles par placement judiciaire ou administratif. Placés sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de leur département, ils sont souvent envoyés en foyers et scolarisés dans des structures spécialisées. Pour ceux qui sont déscolarisés, c’est une véritable catastrophe. « Le niveau est très bas, ce qui limite leurs chances de réinsertion sociale », explique Roseline. « Leur comportement est tel que leurs capacités ne sont pas décelables à l’école. On commence par leur redonner le goût d’apprendre. On leur inculque des valeurs pédagogiques, mais également de respect de soi et de l’autre, pour qu’ils puissent réintégrer le système scolaire. »
« Seuls 30% des enfants confiés à l’ASE ont un diplôme une fois adulte. C’est très peu. On n’a pas la prétention de faire mieux que les structures d’accueil traditionnelles, mais face à ce constat on se laisse une chance de faire différemment. » Face à des enfants qui ont besoin d’une attention permanente, le système éducatif traditionnel n’est pas adapté. Prema, c’est donc une étape de reconstruction pour ces enfants, qui y restent tout le temps nécessaire à leur réinsertion sociale. « Une petite fille de 3 ans qui est arrivée chez nous il y a deux mois. Elle ne connaissait que trois mots : merde, non et putain. Nous l’avons recueillie, et on a même pu l’inscrire à la maternelle. Aujourd’hui, c’est une petite fille qui parle, qui est curieuse, qui a appris énormément de choses. Ce sont des progrès extraordinaires. » Roseline évoque également le cas de deux enfants en passe de reprendre une scolarité classique d’ici quelques mois. Leur milieu familial ne permettant pas de les renvoyer chez leurs parents, ils resteront vivre dans la maison Prema jusqu’à ce que les choses retournent dans l’ordre. « Ces enfants prennent confiance en eux, pour s’autoriser à se considérer non pas comme un ‘mauvais enfant’ mais comme un individu qui a beaucoup à offrir. » Tout l’avantage d’une structure à taille humaine réside dans la possibilité d’établir un suivi personnalisé, au plus près des réalités que vit l’enfant. « Quand ils arrivent, on ne connait qu’un petit morceau de leur histoire, et au fil du temps ils prennent confiance en eux et en l’équipe, et se confient. On prend le temps de gagner leur confiance. » En foyers d’accueil, malheureusement, il est impossible d’inscrire l’enfant dans une confiance durable. « Les éducateurs changent souvent au sein d’une même structure, ce n’est pas évident de faire un accompagnement individualisé, d’autant plus sur du long terme. Il manque des figures d’attachement constantes, pour que ces enfants soient sécurisés. »
« Au fil des mois, on voit les enfants qui s’apaisent, qui ont appris à communiquer. Il y a quelques jours, une assistante sociale est venue rendre visite à un petit garçon qui est arrivé chez nous il y a six mois. Elle ne l’a tout simplement pas reconnu. La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était un enfant très perturbé, qui ne tenait pas en place, il est devenu en quelques mois calme, a appris à communiquer sans cris. Elle n’en revenait pas. » Le lieu de vie familial, une prise en charge qui semble faire ses preuves. Malheureusement, il n’y a que très peu de lieux de vie comme Prema en France. Et pour cause : « sur le plan administratif, créer une structure comme la nôtre est un travail colossal », regrette Roseline. « Rien n’est fait pour faciliter la création de ce genre d’accueil. Il fallait avoir la foi pour y arriver ! »
L’association Parrains par mille plaide pour le droit à l’affection : Elle offre à des enfants isolés ou placés en foyers, un lien durable avec un parrain ou une marraine qui ne demande qu’à s’investir. Catherine Enjolet, écrivaine, a décidé d’apporter sa contribution pour donner aux enfants isolés un lien affectif en dehors de leur lieu de vie. En 1990, Parrains par mille est né. Des adultes désireux de s’engager sur le long terme auprès d’enfants en manque de repères, accompagnés par les psychologues de l’association, tentent depuis de réhabiliter le lien filleul/parrain. Une belle initiative qui a de l’avenir…
Pour en savoir plus sur Parrains par mille ou devenir parrain/marraine, visitez le site de l’association : Parrainsparmille.org
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