Très discret, l’écrivain n’a pas pour habitude de se confier. Mais là, son discours sur l’enfance, le rôle du père, la famille, l’éducation, la société et les enfants est intarissable.
Côté Mômes : Que pensez-vous de la famille en général ?
Bernard Werber : C’est un endroit où il se passe beaucoup de choses positives et négatives, qui vont permettre aux êtres de se découvrir et de mieux se connaître. C’est, en quelque sorte, un creuset alchimique où les gens se révèlent.
C.M. : Quel genre de père êtes-vous ?
B.W. : Je considère que je suis là pour aider la plante à pousser, pas forcément comme je le souhaite, car je ne fais aucune projection sur mon fils. Mon devoir est de lui donner des outils, comme la musique, le sport, les voyages, des cultures différentes, afin qu’il réussisse sa vie. Quand il était tout petit, je lui ai aussi fait découvrir la cuisine japonaise, pour éduquer son palais et lui éviter de ne manger que des nuggets frites. Nous avons également fréquenté un club de bébés nageurs. Papa divorcé, je passe un jour sur deux avec lui depuis qu’il a deux ans. Nous dînons en tête à tête et avons un réel échange. Je suis très présent, mais je me prépare à ne plus l’être. À 16 ans, il va bientôt voler de ses propres ailes.
C.M. : Comment avez-vous élevé votre enfant ?
B.W. : J’ai, heureusement, un métier qui me permet de lui consacrer beaucoup de temps. Et nous avons toujours été très complices, à l’écoute l’un de l’autre. Question biberons, changes, purées, j’ai assuré dès sa naissance. J’étais même le préposé à la coupe des ongles. Ensemble, nous apprenons plein de choses, et partageons nos connaissances culturelles Aujourd’hui, ma préoccupation majeure est de le rendre autonome, de le laisser libre de ses actes, sans névrose, ni frustration, sans le gêner dans sa trajectoire. A lui de faire son propre cheminement. Même si je le pousse parfois à lire plus… Car comme tous les enfants de sa génération, les films, les jeux vidéos et Internet dominent. Ce n’est pas gagné, mais ce n’est pas perdu non plus. Il change très vite en ce moment.
C.M. : Avez-vous des principes moraux, d’éducation ?
B.W. : Dans la mesure du possible, je l’ai tenu, le plus longtemps possible, loin de la violence des jeux vidéo, des films d’horreur qui salissent la tête et agissent sur l’inconscient. À l’âge de six ans, je lui ai appris les quatre mots : bonjour, au revoir, s’il te plaît et merci. Là-dessus j’ai été ferme. C’est ma zone dure, où il n’y a jamais eu pas de négociation possible. Pourtant cela ne l’a pas empêché de manifester son désaccord lorsqu’il m’a répondu : « J’ai réfléchi : je ne veux pas être poli ». J’ai alors demandé l’avis du pédopsy qui m’a conseillé de laisser faire. Il avait raison. Cela a mis du temps, car deux années plus tard, mon fils m’a annoncé : « Finalement j’ai réfléchi je veux bien être poli ».
Il est également très important que les enfants tiennent bien leur fourchette. L’acte de manger ne se fait pas n’importe comment. Et comme je n’aime pas, non plus, les regards fuyants, je lui ai toujours demandé de regarder les gens dans les yeux quand il leur parlait.
C.M. : Pensez-vous que l’on en fait trop pour nos enfants en général ?
B.W. : Le mot « trop » est subjectif. Élever un enfant c’est être à son écoute. On ne donne pas à manger à quelqu’un qui n’a pas faim.
C.M. : Avez-vous reproduit les mêmes « bêtises » que vos parents ?
B.W. : Avant, pendant et après sa naissance, j’ai lu beaucoup de livres. Ma génération a un certain confort qui lui permet de réfléchir tranquillement sur la fonction de parent. Les miens n’avaient pas se confort. Ils étaient encore dans le choc de l’après-guerre, une période où le monde se rétablissait.
C.M. : Quelle enfance avez-vous eue ?
B.W. : J’étais un enfant introverti, solitaire, plongé dans la lecture et l’écriture. Nous habitions en plein centre de Toulouse. Mes parents travaillaient beaucoup, ils ont fait comme ils ont pu, mais ne m’ont jamais cassé les pieds, même quand j’ai connu des difficultés à l’école et m’ont permis de m’épanouir. Mon père partait tôt le matin et rentrait tard le soir. Parfois, il me racontait des histoires sur les Grecs et les Romains avant de me coucher. Ma mère, plus artiste, me poussait au piano, au dessin. Mes vacances, je les passais souvent dans la villa de mes grands-parents où je collectionnais les fourmis et les têtards. À huit ans, j’ai écrit l’aventure d’une puce qui escalade un corps humain. À l’école, cela plaisait à mes camarades. Une façon de s’intégrer, quand on n’est pas bon au foot. J’étais le raconteur d’histoires.
C.M. : Vous révoltez-vous contre le phénomène de l’enfant-roi ?
B.W. : Il faut arrêter l’angélisme. Et je ne me prive pas d’en faire la remarque à leurs parents. C’est la facilité pour eux de dire oui à tout et ça ne rend pas les enfants heureux. Fuyons les excès, la gentillesse comme la répression, la sagesse est au milieu.
À cinq ans, mon fils m’a appris l’autorité quand je lui ai demandé, s’il préférait que je le laisse tout faire ou s’il valait mieux que je lui signale quand c’était mal. Il a opté pour la seconde solution. Ce à quoi je lui ai répondu qu’il m’autorisait donc à le punir. Une petite fessée, juste pour lui faire comprendre, et il n’y en a pas eu plus de trois, il a vite compris.
C.M. : Y a-t-il des choses que vous ne feriez plus ou, au contraire, que feriez-vous avec le recul ?
B.W. : J’ai toujours réfléchi, et même encore aujourd’hui, avant d’agir pour ne pas me tromper. Si, malgré mes réflexions, mes intuitions, je ne savais pas comment faire, je demandais l’avis d’un spécialiste. Et je crois avoir plutôt bien réussi l’éducation de mon fils. C’est un enfant de parole, heureux de vivre, qui a beaucoup de principes, de respect et de franchise.
C.M. : Les enfants, en général, ont-ils évolués par rapport à maintenant
B.W. : J’aurais rêvé, à leur âge, avoir tout ce potentiel d’épanouissement avec Internet, les livres, une culture accessible et les réseaux sociaux. Les enfants ont gardé la même âme, je pense plutôt que ce sont les parents qui ont le plus évolué et qui sont bien mieux informés aujourd’hui.
C.M. : Qu’est-ce qui vous révolte ?
B.W. : Le culte de la violence en tant que spectacle. Le culte de la croissance économique et démographique à tout prix. L’appauvrissement de la télévision et son nivellement par le bas de plus en plus fort. Mais aussi, la manière dont on traite les personnes âgées. Elles sont éjectées, mises en dehors du système, voire abandonnées dans des hospices, ou des maisons de retraite.
C.M. : Quel est le rôle des grands-parents ?
B.W. : Un complément dans l’éducation des enfants, ils sont la mémoire du passé.
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