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Najat Vallaud-Belkacem: « La jeunesse est un investissement d’avenir »

Porte-parole de la campagne présidentielle de François Hollande, puis du gouvernement, ministre de l’égalité des femmes et maman de petits jumeaux, fille et garçon, 3 ans et demi, la jeune femme a une vie décidément bien remplie.

Quelle analyse faites-vous de l’évolution de la famille ces 30 dernières années?Les modèles familiaux se sont diversifiés et la parentalité se conjugue désormais au pluriel. Les familles monoparentales ou recomposées ont explosé et de fait donné un nouveau visage à la famille. Cela pose à notre société de nombreuses questions qui vont du logement à l’autorité parentale. Il y a des situations qui d’évidence sont plus difficiles que d’autres, je pense en particulier aux jeunes mères célibataires qui sont souvent confrontées à des difficultés multiples et qui peinent à résoudre l’équation emploi, éducation et vivent souvent une précarité criante. Lorsqu’elles travaillent, partent tôt, rentrent tard, accumulent parfois plusieurs jobs, c’est pour elles un vrai défi d’être mère ! Je les admire.

Et puis, il y a aussi la question de l’homoparentalité et de la stigmatisation institutionnelle dont elle fait l’objet alors qu’on estime aujourd’hui à 400.000 le nombre des enfants concernés par ce modèle familial. Il faut une loi établissant l’égalité des droits pour les couples de même sexe, les Français sont de ce point de vue plus mûrs que beaucoup de leurs représentants ! La famille est porteuse de valeurs, de transmission et ce, quel que soit son modèle. Et je ne veux en exclure aucun individu.Quelle enfance avez-vous eue ?Je suis la deuxième d’une fratrie de sept enfants. C’est génial, cela crée du collectif, de la solidarité, on ne se sent jamais seul. Mais c’est compliqué aussi de s’y construire une singularité. Je suis arrivée en France à 4 ans. Mon enfance a été économiquement grisâtre mais familialement heureuse. Un père ouvrier, une mère au foyer, des fins de mois difficiles. Dans mon quartier il n’y avait pas de grande mixité sociale. Seule l’école était un lieu d’épanouissement. Et la lecture aussi une façon de s’évader. J’ai passé toutes ces années à dévorer la littérature française. Puis, après une licence de droit, je suis partie à Paris, poursuivre mes études à Sciences Po.Quel genre de maman êtes-vous. Et en quoi la parentalité a-t-elle influencé votre vision de la politique ?

Une maman aimante, très câline, facilement émerveillée mais pas assez présente et du coup boulimique quand je suis avec mes enfants. Avec mon mari, on a un problème d’autorité. Etre parent est un art difficile ! Les enfants font un peu de nous ce qu’ils veulent et à dire vrai nous sommes des victimes souvent consentantes de leurs petits « caprices ». Quand on compte le temps passé ensemble, on n’a pas trop envie de gronder, mais on met quand même des limites et ce sont plutôt des enfants faciles à vivre. Concilier l’intensité d’une vie politique avec une vie de famille épanouie n’est pas évident. C’est un équilibre à trouver tous les jours. Mais comme me dit souvent ma mère, ce n’est pas la quantité mais la qualité qui compte. Alors quand je suis avec mes enfants, je les écoute beaucoup parler, raconter leurs journées et toutes les histoires qu’ils inventent. Et de l’imagination, ils n’en manquent pas.

Avant d’être maman, j’étais parfaitement lucide sur la vie politique. Mais ce qui me dérangeait hier, m’agace encore plus aujourd’hui. Je pense à toutes ces réunions en soirée qui d’évidence ignorent les vies de familles et n’ont jamais été imaginées pour faciliter la vie des jeunes mères !

C’est du temps que je vole à mes enfants et je sais que ces organisations découragent beaucoup de jeunes femmes qui sinon s’engageraient. Ce serait dommage pourtant de s’en priver, ce sont elles qui parlent des vrais sujets de la vie quotidienne, qui ont un sens aigu du réel. Les femmes politiques, mères de famille, qui savent les contingences d’une vie de famille sont sans doute parmi celles et ceux qui peuvent renouer un lien de confiance avec les Français.

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Qu’est-ce qu’une bonne mère, pour vous ?Question difficile ! Je ne crois pas à « La » bonne mère ! Dans ce domaine il faut rester modeste et se garder de donner des leçons. Pour moi, c’est aimer ses enfants avant tout. Et avoir pour seul objectif leur épanouissement. Il est important de ne pas faire peser sur eux, ses ambitions ratées et de leur imposer une voie. Qu’ils fassent ce qu’ils aiment à condition qu’ils soient heureux. Il y avait une pub il y a quelques années où on voyait un enfant qui disait : « je ne suis pas la seconde chance de mon père », c’est très juste !Comment élevez-vous vos enfants ? Quels sont vos principes d’éducation ?Je ne sais pas si on peut parler de principes d’éducation, mais je suis attachée à ce que mes enfants lisent des histoires, écoutent de la musique, dessinent… je veille à ce que la télé ne soit pas trop présente même si je ne la diabolise pas. Comme ils sont deux, je leur apprends le partage, la solidarité et la patience ! Pour ce qui est de l’autorité, mes absences me conduisent à être un peu trop souple parfois. Un non peut se transformer en oui… c’est mon mari qui fixe les cadres et les « protocoles » : bain, dîner, histoire, dodo…Y a-t-il des choses que vous ne feriez plus ou, au contraire, que feriez-vous avec le recul ?En fait j’ai regretté de ne pas avoir pu les allaiter.Diriez-vous que vous avez évité les « bêtises » de vos parents ?Ils sont encore trop petits pour le dire. Mais je serai sans doute différente. J’ai grandi dans un cadre assez strict qui ne favorisait pas l’épanouissement. Je veux qu’ils se sentent libre d’être heureux. Ça parait bête mais ce n’est pas si évident que ça !Avec vos enfants, êtes-vous parfois inquiète pour leur scolarité ?Mes enfants sont à la maternelle depuis septembre dernier. Ils étaient propres et puis du jour au lendemain terminé. Nous avons eu droit bien sûr à une convocation de la directrice. Avec mon mari, on pensait bien qu’un jour, ils pourraient être exclus de l’école, mais pas si tôt… Depuis, l’après-midi ils vont à la crèche. Un univers où ils se sentent bien mieux. On a coupé les moyens de l’éducation nationale, on se retrouve avec des classes de trente élèves pour un enseignant. Il y a un problème ! Je ne suis pas inquiète pour le moment, mais attentive.Les parents subissent toutes sortes de conseils en matière d’éducation au point qu’ils ne savent parfois plus à quels saints se vouer ? Pensez-vous qu’on est allé trop loin dans la remise en question de l’autorité parentale ?

Les conseils sont toujours intéressants, mais rarement reproductibles ! Ce que je vis, c’est la difficulté d’être parent, la responsabilité éminente d’aider ses enfants à grandir, à s’épanouir. Tout cela est d’autant plus facile qu’on est entouré par sa famille, qu’on a trouvé un mode de garde adapté et qu’on a un emploi. A contrario, quand on se retrouve seul, on manque vite de soutien et on peut perdre pied.

Je pense encore aux jeunes mères célibataires, mais aussi aux parents au chômage, aux familles qui n’ont pas de place en crèche, c’est la galère. En plus de cela, la jeunesse d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle d’hier, elle est plus informée, plus mûre, plus insécurisée aussi dans son rapport à l’avenir. On n’a jamais eu autant besoin de cadres structurants pour appuyer les familles. Il ne s’agit surtout pas que les parents délèguent à d’autres leur autorité, mais qu’ils soient aidés à l’exercer pleinement.

Il manque des lieux d’écoute et de paroles, des structures d’aide à la parentalité. Il y en a bien sûr, mais pas assez. Et la seule solution que le gouvernement actuel ait trouvée c’est de supprimer leurs allocations quand il y a des absentéismes. C’est stupide et le principe me choque. Cette mesure porte préjudice à la famille et aux autres frères et soeurs et ne résout pas la question de l’autorité parentale.

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Les chiffres du chômage ne cessent d’augmenter, la crise financière dont on ne voit pas la fin… en temps qu’élue, de quelle responsabilité vous sentez-vous investie par rapport à l’enfance et à la jeunesse ?On utilise à tort et à travers la notion d’égalité des chances. Mais cela ne veut rien dire. La chance ne se maîtrise pas. Je préfère employer le terme égalité des opportunités. Tout le monde devrait avoir accès aux mêmes possibilités de vie : réussir ses études, pouvoir se soigner, avoir un logement. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ce qui compte ce n’est pas seulement la ligne de départ, c’est aussi la ligne d’arrivée.

Quand je prends mon exemple personnel, faute d’informations, je ne savais même pas que Sciences Po existait. Par hasard, à 20 ans, dans un CIO, j’ai découvert cette école qui me semblait généraliste et formidable. Une fois sur place, j’ai constaté que j’étais entourée de jeunes gens du 7ème arrondissement de Paris qui eux s’y préparaient depuis l’âge de 10 ans. Pour reprendre une phrase de Jacques Attali, on sait très bien que « les élites se construisent dans deux cents écoles maternelles, pour la plupart dans le centre de Paris ».

Dans notre pays, la différentiation sociale est à l’œuvre dès le plus jeune âge. Il faut investir dans la jeunesse parce que c’est un investissement d’avenir. Notre société ne peut pas impunément dévorer notre jeunesse en la laissant s’abîmer dans le chômage, les stages et les emplois mal payés…Garde d’enfants, allocations, congé maternité… Quelles sont les urgences selon vous en matière de politique familiale?

Trop de femmes actuellement renoncent à travailler après un bébé, car elles n’ont pas les moyens de faire garder leur enfant ou parce qu’il n’existe pas de modes de garde adapté. On sait pourtant que crèche et scolarisation précoce sont des réponses pertinentes pour sociabiliser les enfants, permettre leur développement et favoriser ensuite leur réussite scolaire. En outre les gardes d’enfants permettent d’améliorer le taux d’emploi des femmes. Il est absolument nécessaire et urgent d’en accroître l’offre.

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Pour les allocations et les congés maternité, je regarde toujours avec beaucoup d’intérêt ce que font les pays nordiques qui sont bien plus en avance que nous en matière d’égalité homme-femme. Je trouve à titre personnel par exemple intéressant l’idée d’offrir aux hommes la possibilité d’un congé parental dans les mêmes conditions que les femmes. C’est un gage, semble-t-il d’égalité professionnelle ! Pour ce qui est du quotient familial, dont on a beaucoup parlé, il ne s’agit évidemment pas de le supprimer, mais de le rendre plus juste en le plafonnant dans la mesure où, à structure familiale identique, le système actuel favorise les familles avec des hauts revenus. Enfin, la décision de François Hollande d’augmenter de 25% l’allocation de rentrée scolaire soulagera nombre de familles.

 

En matière de garde d’enfant, on est loin du compte. Un rapport parlementaire récent pointait les fortes inégalités territoriales et indiquait qu’il manquait près de 500.000 places en crèches. Comment pensez-vous venir à bout de ce dossier ?Il est risqué de s’engager sur des objectifs chiffrés, si on ne peut pas tenir ses promesses en cette période de crise. Une chose est sûre, notre volonté est de créer chaque année de nouvelles places en crèches. Mais ce n’est pas toujours à l’Etat et aux collectivités locales de tout supporter. Il faudrait par exemple inventer de nouveaux modes de garde, dans les entreprises avec leur participation financière. Mais aussi renforcer les moyens de l’inspection du travail afin de garantir un traitement égal entre hommes et femmes. Histoire de vérifier, quand une femme prend un congé parental, à quel poste elle réintègre l’entreprise.Quels sont les grands chantiers qui attendent l’école?Quand on songe que 150.000 jeunes sur environ 700.000 sortent chaque année sans qualification du système scolaire ou que le taux de redoublement au CP est directement corrélé aux revenus des parents, on comprend l’urgence de réinvestir dans l’école. La création de 60 000 postes dans l’éducation n’est donc pas une dépense improductive, c’est une économie pour le futur.

Il ne s’agira pas seulement d’enseignants, mais aussi de conseillers d’orientation, d’infirmiers, et de surveillants pour lutter contre cette insécurité devenue permanente dans certains établissements scolaires. Et ce, prioritairement dans les banlieues. Il est aujourd’hui inadmissible que des enfants partent à l’école la peur au ventre. Il est tout aussi ubuesque d’envoyer des professeurs débutants dans ces quartiers sensibles.

Les moyens seront principalement mis sur le primaire car l’essentiel du retard scolaire est acquis avant l’entrée en 6e et celui-ci ne se rattrape guère. Songez que 90% des enfants ayant redoublé leur cp n’obtiennent pas le bac. Il y a quelque chose d’insupportable dans ce déterminisme qui frappe si jeune !Les enfants des banlieues semblent condamnés à y rester. L’ascenseur social est plus que jamais en panne et la France a changé de modèle d’intégration, contre son gré, en laissant de plus en plus de place au communautarisme. Comment inverser le cour des choses, redonner de la cohésion et de la mixité sociale aux générations à venir ?

La droite a pris acte du fait qu’il y avait de bon et de mauvais établissements et les a mis en concurrence en supprimant la carte scolaire alors qu’il aurait fallu renforcer les principes d’Alain Savary et de l’éducation prioritaire : donner plus à ceux qui ont moins. Depuis cinq ans, le gouvernement a accentué les difficultés et désinvesti dans l’éducation nationale, c’est une attitude coupable.

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Je crois qu’il suffit de regarder les déterminants de la réussite scolaire pour percevoir ce qu’il faudrait faire : accroître les pratiques culturelles et sportives, impliquer les parents dans l’école, restaurer la formation des enseignants, adapter la taille des classes et les taux d’encadrement à la réalité sociologique des établissements, favoriser la mixité sociale par la diversification de l’offre pédagogique. Evidemment la question de l’école n’est pas dissociable de la question de la politique de la ville et de la ghettoïsation des banlieues, la mixité, cela doit d’abord être celle des quartiers et pour cela il faut plus d’offre de logement social et surtout une offre plus diversifiée et plus diffuse.

 

Actuellement, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain impose 20% de ces logements dans les communes. Mais les amendes ne sont pas assez dissuasives, et bon nombre d’entres elles préfèrent payer plutôt que construire. Nous allons renforcer cette loi en multipliant par cinq les sanctions qui pèsent sur les communes refusant d’accueillir les ménages aux revenus modestes. Et en matière de construction la règle sera de 25%.

 

Il n’est pas normal aujourd’hui que tant de français dépensent les trois-quarts de leurs revenus pour payer un loyer.

 

A lire

Un ton nouveau en politique, par cette élue, promue ministre, adjointe au maire de Lyon et conseillère générale du Rhône, qui incarne la nouvelle génération du Parti socialiste.

Raison de plus ! dès le 7 mars aux Editions Fayard, 15€.

 

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