Réflexe de survie en milieu hostile ou délicate politesse, avouons-le franchement : nous sommes tous des menteurs. Et nos enfants, souvent maîtres dans l’art de la carabistouille, pourquoi mentent-ils ? Un peu, beaucoup, énormément, le mensonge est mine de rien indispensable à leur développement… A condition qu’ils l’utilisent avec modération après l’âge de raison.
A priori, le mensonge, cette dissimulation de la vérité pour tromper l’autre, relève plutôt d’un comportement peu louable. A y regarder de plus près et à écouter les spécialistes du mensonge enfantin, on s’aperçoit qu’il n’en est rien, sauf cas extrêmes. Tout d’abord, on ne peut pas à proprement parler de mensonge avant 6-7 ans. A cet âge en effet, l’enfant distingue difficilement le vrai du faux et confond l’erreur et le mensonge. Après le fameux âge de raison – qui peut varier d’un enfant à l’autre -, l’enfant qui grandit en confiance avec son entourage ne cultivera que le mensonge intelligent, celui qui consiste à vivre en bonne harmonie sociale et à se sortir des embûches à moindres frais !
La période de la pensée magique, jusqu’à 7 ans, est la période où affirmer une chose, c’est la rendre vraie et ; où la nier, c’est la faire disparaître. Piaget, psychologue aujourd’hui disparu spécialisé dans la psychologie du développement, a par exemple montré dans ses études sur de très jeunes enfants que le fait de dissimuler une mauvaise note à ses parents n’est pas considéré comme mauvais par l’enfant petit tant qu’il n’est pas découvert ! C’est l’âge du « pas vu, pas pris » où l’on parle plutôt de « pseudo-mensonge » ou de fabulation. Est-ce à dire qu’il faut passer outre tous les mensonges de nos bambins jusqu’à 7 ans ? Oui, et non !
Les dragons, les fées et même cet ami imaginaire qui peuplent l’imagination des bambins et l’accompagnent partout sont les bienvenus car ils aident l’enfant à se mesurer au monde, à bâtir leur personnalité et parfois, dans les cas extrêmes, à survivre à des périodes très difficiles. Dans Un merveilleux malheur, paru chez Odile Jacob, Boris Cyrulnik écrivait « dans ces cas-là, les poètes deviennent des surhommes », faisant allusion à ceux dont la faculté de rêver leur permet de dépasser les souffrances qu’ils ont vécues. Il est vrai, et la littérature en est truffée d’exemples, que celui qui peut se réfugier dans son monde intérieur résiste mieux aux cruautés. Mais on ne vit pas sans les autres.
Danielle Dalloz, psychanalyste et auteur chez Bayard d’un ouvrage baptisé Le mensonge, précise : « Ces paroles que nous appelons mensonges n’en sont pas pour le petit enfant. Il n’en reste pas moins que notre rôle de parents est de l’aider à communiquer de manière juste : c’est ainsi qu’il se construira au mieux dans les relations qu’il établit avec autrui ». Un exemple : A Bertrand qui prétend pêcher des requins et conduire le bateau de son père, elle suggère une réponse au conditionnel : « Tu aurais bien voulu pêcher des requins et conduire le bateau. Nous pourrions tous jouer à pêcher un énorme requin, même une baleine, et faire semblant de conduire le plus gros bateau du monde ! »… Ou comment l’aider à démêler le vrai du faux sans casser le rêve qui le construit.
Il est autant de formes de mensonges que de mensonges. On peut cependant distinguer de grandes motivations au mensonge. Outre l’aspect salvateur du mensonge qui permet de se fabriquer des rêves pour rendre son quotidien meilleur, un enfant peut mentir pour interpeller l’autre, épater la galerie, attirer indirectement l’attention de ses proches sur une chose qu’il n’ose pas dire… Il faudra alors décrypter ce mensonge.
Il peut aussi vouloir se protéger d’une situation vécue comme menaçante, pour éviter une punition par exemple ou pour ménager son entourage… Des mensonges fréquents chez les enfants de parents séparés qui ont à cœur de pacifier la relation entre adultes et de garder de chacun de leurs parents une image positive.
Les enfants mentent aussi, parfois, parce qu’ils n’ont pas intégré le droit à l’erreur, pour ne pas « décevoir » leurs parents. Il faudra alors leur apprendre qu’assumer ses responsabilités est une grande qualité humaine et qu’en aucun cas, parce que l’on n’est pas parfait, on en est moins aimé de ses parents.
Inciter son enfant à « être vrai » et donc à avoir des relations honnêtes et harmonieuses avec lui-même et les autres ne consiste pas à exiger à tout prix LA vérité.
« A la quête féroce de vérité, l’enfant réagit en biaisant. Le mensonge lui apporte le bénéfice immédiat de l’apaisement. Le risque est qu’il s’y fixe, et qu’il s’imagine tout-puissant grâce au mensonge, qui devient une façon de vivre hors des tensions » précise Danièle Dalloz, conforté par Dolto elle-même qui, dans Les Chemins de l’Education, écrivait déjà « Il y a des façons d’exiger férocement la vérité qui poussent l’enfant à devenir menteur ».
Alors, que faire ? Chercher la source et la cause du mensonge, encourager l’enfant à préférer la franchise en l’aidant à prendre conscience des effets négatifs que peut avoir le mensonge. Cela induit que l’enfant ne s’entende pas dire à tout bout de champ « tu es un menteur » et ne soit pas puni pour un mensonge avoué… Ce qui l’encouragerait à ne plus jamais opter pour la franchise !
L’accompagner pour réparer avec lui ses initiatives malheureuses l’aide au contraire dans son processus d’affirmation de soi, avec ses forces et ses faiblesses. Autre point important : l’enfant grandit essentiellement par l’exemple. A nous parents, de tenir nos promesses, de faire appliquer les règles que nous avons mises en place, en bref de veiller à ce que nos actes ne contredisent pas nos propos.
Nocif aussi : le laisser gagner lorsque l’on joue avec lui – on lui ferait croire qu’il est tout-puissant – lui dire « ce n’est rien » quand il vient de tomber et s’est visiblement fait mal, le faire entrer dans la confidence de notre vie intime au nom d’une vérité qui deviendrait pour le coup trop lourde à porter pour lui et donc à fuir. Et si, malgré toute notre bonne volonté, ce cher bambin a fait du mensonge une manière de vivre quasi permanente, interrogeons-nous sur le pourquoi du comment de telles répétitions des épisodes mensongers… Et consultons si trop, c’est trop !
A lire pour en savoir plus : Le mensonge par Danièle Dalloz, Bayard Editions, Collection La vie de famille, mars 2000
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