On ne compte plus les rapports, livres et études qui dressent un tableau noir de l’école française. Gamins en chute libre, professeurs et parents en perdition… Chacun, à l’intérieur comme à l’extérieur du système, s’accorde au moins sur un point : notre belle école est en crise. Le coupable ? Faute d’avoir été clairement identifié, il court toujours…
L’école en échec scolaire
Cela ne s’appelle même plus tirer la sonnette d’alarme. On dirait bien que la cloche a sonné, que l’école est finie. Pas une semaine sans un nouvel ouvrage qui confirme l’état de déliquescence d’une école première de la classe visiblement passée au rang des cancres au fil des années. Les pédagogues et penseurs de tout poil s’y arrachent les neurones, les psys font leurs choux gras de l’échec scolaire, les professeurs témoignent de la dégradation de tout, les parents ne savent plus quel rôle ils peuvent bien jouer dans cet effondrement général qui touche bien souvent leur progéniture en particulier.
N’en jetez plus, la cour est pleine ! Mais qu’est-ce qui ne va pas, au juste ? Quand les premiers symptômes de ce que l’on nous présente comme une catastrophe sont-ils apparus ? Quels médecins incompétents se sont penchés sur cette malade désormais chronique que beaucoup disent incurable ? Là, rien ne va plus. Chacun se renvoie la balle, accusant l’autre de ne pas jouer le rôle qui lui est imparti, y compris à l’intérieur d’un système qui, à force de crouler sous les circulaires, en perd son latin et surtout son humain. Les tentatives de sauvetage, pourtant, ne manquent pas.
L’avenir : un retour aux méthodes traditionnelles ?
Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale qui connaît bien l’école de l’intérieur, prône un certain retour aux méthodes traditionnelles pour l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul… Le tout assorti de grandes innovations dont le samedi matin consacré aux élèves en difficulté et, plus globalement, l’ensemble des mesures d’accompagnement éducatif. Cela suffira-t-il à dénouer ce qui apparaît aujourd’hui comme un bel imbroglio ? Cela suffira-t-il pour que chacun, élève, prof, parent, comprenne et reprenne son rôle avec enthousiasme ?
L’avenir seul le dira. Et il ne manque pas d’esprits avertis, même parmi les plus pessimistes aujourd’hui, pour proposer d’autres modèles, pour qu’enfin l’Ecole avec un grand E nous revienne. Etat des lieux à la loupe d’une institution que tout le monde aime, malgré les crises et les douleurs. Du vrai amour dont naissent parfois de beaux enfants.
<!–nextpage–>
Quand les études s’en mêlent
6049Non, la crise de l’école n’est pas qu’une rumeur qui gonfle au fil des ans mais une réalité bien palpable au travers des nombreuses enquêtes menées à son sujet. Celle qui a récemment mis le feu aux poudres, c’est le fameux rapport PISA 2006 (Programme International pour le Suivi des Acquis des Elèves). Ce programme lancé en 1997 est à ce jour l’enquête la plus complète pour évaluer le niveau de compétence des élèves au plan international. 30 pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) et 27 pays et économies partenaires y ont participé. En 2000, PISA avait plus particulièrement étudié la compréhension de l’écrit, en 2003 la culture mathématique et en 2006 la culture scientifique, les autres domaines étant néanmoins explorés aussi tous les trois ans. Cette enquête a porté sur 400 000 élèves représentatifs des 20 millions de jeunes de 15 ans scolarisés dans les 57 pays participants. Il en ressort que la France régresse dans tous les classements.
Xavier Darcos lui-même, confirmait dans un discours prononcé le 11 décembre dernier : « L’enquête PISA montre que les résultats obtenus vers la fin de la scolarité obligatoire sont à la fois médiocres pour la culture scientifique, où la France se situe à peine dans la moyenne des pays de l’OCDE, inquiétants pour la compréhension de l’écrit, où la part des bons élèves recule et celle des élèves en difficulté régresse, et alarmants pour les mathématiques où les résultats de la France régressent et où la part des élèves les plus faibles augmente de 37% ».
Travailler plus pour réussir moins
Et le ministre de relever un paradoxe qui illustre à lui seul la crise de l’école : « Les élèves français travaillent souvent davantage que leurs camarades étrangers mais leurs résultats ne reflètent pas cet investissement supplémentaire ». De la à dire qu’une bonne partie du temps que nos enfants passent à l’école ne leur apporte rien alors que les programmes sont surchargés, les profs et les élèves fatigués, il n’y a qu’un pas. Nos enfants travailleraient-ils plus pour gagner moins ? Plusieurs études concernant le primaire viennent corroborer ces constats.
L’enquête Pirls (Programme International de Recherche en Lecture Scolaire) qui mesure les performances des élèves âgés de 9 à 10 ans montre que la France, dans ce domaine aussi, réussit plutôt moins bien que les autres pays européens. Seules la Slovénie, la Pologne, l’Espagne, la Belgique francophone et la Roumanie font moins bien que nous. Un constat qui rejoint celui du Haut Conseil de l’Education qui a rendu lui aussi un rapport alarmiste sur le primaire en août dernier avec cette information en vedette : 15% des élèves qui entrent au collège ont de graves lacunes dans la maîtrise de la lecture, de l’écriture et du calcul. Revue de détail…
<!–nextpage–>
Un verdict sans appel
dAux termes des dispositions de la loi du 23 avril 2005, le Haut Conseil de l’Education « établit chaque année un bilan des résultats obtenus par le système éducatif ». Pour 2007, cette assemblée de sages (professeurs des Universités, professeurs au Collège de France, inspecteur général de l’Education nationale…) s’est concentrée sur les apprentissages fondamentaux, c’est-à-dire le primaire, et rendu un verdict sans appel : « L’école primaire est loin de donner à tous les moyens adéquats et suffisants d’accéder à la réussite scolaire. Une telle situation est d’autant moins acceptable que ces constats ne sont pas nouveaux : depuis une quinzaine d’années, les rapports sur ce sujet se sont multipliés mais, faute d’avoir été largement diffusés, ils n’ont pas contribué à une prise de conscience générale » peut-on lire en préambule d’un rapport qui fait très largement et précisément le tour de la question.
Premier constat : il semblerait que l’échec scolaire soit dans certains cas « programmé » très tôt dans le cursus d’un enfant, le Haut Conseil précisant que les élèves qui sont en difficulté dès leur entrée en CP le sont toujours, dans leur quasi-totalité, par la suite car l’école élémentaire ne « permet pas de réduire les difficultés repérées au début de la scolarité obligatoire ». Et c’est le cercle vicieux puisque l’on constate que les lacunes initiales ne sont pas davantage comblées durant la scolarité secondaire. « Ces scolarités chaotiques conduiront à de nombreux échecs au collège et à des orientations non désirées ou à des sorties sans diplôme ni qualification ». Comment en est-on arrivé là ? Il semblerait que les dispositifs et outils pédagogiques soient inadaptés ou mal utilisés…
Des dispositifs pédagogiques chahutés
Sur le grill du Haut Conseil de l’Education, le redoublement. Même si il a fortement diminué en France depuis 50 ans (à la fin du CM2, on est passé de plus de 50% d’élèves ayant redoublé à moins de 20%), notre pays est celui qui le pratique le plus en Europe. Or, les résultats tendent à prouver que le redoublement précoce – en primaire – ne sert à rien. « Les élèves qui redoublent le CP le répètent en général à l’identique sans améliorer leurs performances en français ni en mathématiques, à la différence de leurs camarades passés en CE1 de justesse ». Oui, mais alors, faut-il laisser les élèves passer de classe en classe jusqu’au collège quand ils n’ont pas le niveau alors qu’il y a visiblement urgence à acquérir de bonnes bases en primaire ?
Dans la ligne de mire du Haut Conseil aussi, la non mise en œuvre des cycles mis en place en 1991. Une organisation avec des objectifs fixés non pas à l’année mais pour une période de trois ans qui avait pour but de donner à chaque élève le temps de progresser à son rythme. Mais dans la réalité, en dépit des textes officiels, on continue à penser les progressions par année et pas par cycle, sans coordination entre les professeurs responsables des différentes classes d’un même cycle et sans continuité des apprentissages d’une année sur l’autre. D’ailleurs, les enseignants de grande section de maternelle ne participent que très rarement aux conseils tenus pour le cycle des apprentissages fondamentaux (GS, CP, CE1), ce que déplorent nos sages avant de conclure : « L’hiatus entre la maternelle et le CP est l’une des insuffisances les plus sérieuses de l’école primaire. Le cycle des apprentissages fondamentaux cumule toutes les incohérences : sa première année n’est pas obligatoire et appartient en même temps à deux cycles ; sa deuxième année est parfois redoublée ; et sa troisième année est appelée « cours élémentaire 1ère année » bien qu’elle ne soit plus la première année de quoi que ce soit ». Cherchez l’erreur !
<!–nextpage–>
La maternelle au cœur du débat
Dans son rapport sur l’école maternelle récemment remis au gouvernement, le linguiste Alain Bentolila remet en cause ces fameux cycles en prônant l’idée d’un cycle 1 qui inclue les trois années de maternelle… A la condition qu’elles soient vraiment des années d’apprentissage car « à trop vouloir faire de l’école maternelle une école « autre », on risque de contribuer à en faire « autre chose qu’une école » précise-t-il. En effet, aujourd’hui, la quasi-totalité des enfants sont accueillis à la maternelle dès la petite section mais cette école ne fait pas la preuve de ce qu’elle leur apporte en termes d’acquisitions et d’apprentissage car « le bien vivre y a parfois pris le pas sur le « bien apprendre ».
Et de rappeler que « La vocation d’une école est d’éduquer et non pas seulement de prendre soin ». Alain Bentolila propose donc de la rendre obligatoire à partir de 3 ans révolus et souhaite une formation spécifique des maîtres pour la maternelle, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Quant à l’école à deux ans, il la proscrit carrément et en appelle aux pouvoirs publics pour que les jeunes enfants soient accueillis dans des structures de type crèches mieux adaptées à leurs besoins. Et l’on sait pertinemment aujourd’hui que beaucoup d’enfants se retrouvent à l’école à deux ans car c’est la seule « garderie » à laquelle leurs mères qui travaillent peuvent les confier.
Qui fait quoi et comment ?
Enfin, quand on parle de crise de l’école se pose forcément la question de ceux qui y travaillent, qui encadrent nos enfants. Le Haut Conseil de l’Education là aussi fait un état des lieux peu reluisant : la formation initiale des professeurs des écoles ne tient pas suffisamment compte des conditions d’enseignement que la plupart d’entre eux rencontreront dans leur premier poste ; les directeurs d’école n’ont pas l’autorité nécessaire pour assurer pleinement le « management » de leur école ; les inspecteurs de l’Education nationale (IEN) disposent de moins en moins de temps pour observer les enseignants face à leurs élèves. On le voit, la crise de l’école se sent à tous les niveaux et il ne sera sans doute pas aisé, une fois ce constat établi, de mettre les uns et les autres d’accord sur la marche à suivre pour en sortir. D’autant que cette construction nouvelle doit se faire sur un terrain où se sont déjà empilées bien des tours de Babel.