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Les enfants gâtés!

On leur passe tout, on cède à leurs moindres caprices. Trop d’enfants, de nos jours, ne connaissent pas la crise… Et si on se rappelait le sens premier du verbe gâter? Endommager, corrompre, priver de ses vertus…
Anne wieme
Depuis le début du XXème siècle, nos chers petits sont en effet devenus des êtres à part entière. Avec l’apparition de la contraception, programmés et attendus, ils sont l’objet de tous les soins et de toutes les attentions de la part de leurs parents. Une Suri Cruise, 5 ans et demi, pour laquelle on privatise une patinoire, sa liste au Père Noël d’un montant de 100 000$, des bébés de footballeurs habillés par les grands couturiers qui se pavanent dans les bras de leurs parents à la une des magazines people… bien sûr, ce sont des exemples extrêmes. Mais tous ses ados parés des derniers atouts à la mode et équipés du fameux mobile I Tech… ou encore cette petite fille, à peine 6 ans, qui  ne sait plus dessiner que sur une tablette tactile de la marque à la pomme, un cadeau d’anniversaire, sont légion dans une société où rien n’est trop beau pour leur faire plaisir, pour les gâter.

Par ailleurs, on pense et on agit à leur place, on les sur protège. Alors, dans ces conditions, comment grandissent-ils ? Cette façon d’aimer n’est-elle pas leur donner de mauvaises habitudes et ne pas les préparer pour leur future vie d’adulte?
Le dernier livre de Diane Drory*, « Au secours ! Je manque de manque !», aux éditions Deboeck, résonne comme un cri d’alarme, face à tous ces parents qui gâtent trop leurs enfants.

Entretien 

Diane Drory, auteure de « Au secours ! Je manque de manque !», aux éditions Deboeck, 15€ », est une psychologue et psychanalyste belge née en 1945. Elle est spécialisée dans les questions de l’enfance et de l’adolescence.Côté Mômes : Comment expliquez-vous le fait que les parents donnent tout à cet enfant que vous appelez héros de leur vie ?Diane Drory : L’enfant est devenu l’étoile d’une société où tout tourne autour de ce qui est beau, jeune, et encore innocent. Nous vivons dans une espèce de « pédocentrisme ». D’ailleurs, les fabricants l’ont bien compris, quand ils mettent en scène des enfants pour que les parents achètent.C.M. : Et pourquoi en est-on arrivés là ? Est-ce un phénomène récent ?D.D. : Dès la fin du 19ème siècle on a vraiment commencé à s’intéresser à lui comme une personne à part entière. Avec l’arrivée de la contraception, on a pu choisir le moment de le mettre au monde. Contrairement aux siècles précédents où il était un peu l’enfant du hasard, l’enfant de la nature. Alors, comme il est plus que désiré, les parents pensent qu’ils doivent à tout prix réussir cette entreprise. Aux yeux de la société, ils se  sentent aussi coincés dans ce devoir de réussite. Pour preuve, sa scolarité et ses études sont une des préoccupations majeures de ses parents.

Des parents en mal d’amour

C.M. : Vous dites que l’aimer n’est pas combler tous ses désirs…D.D. : Les parents pensent, à tort, qu’aimer son enfant, c’est veiller à ce qu’il soit toujours heureux. Mais ce dont il a besoin avant tout, c’est qu’on l’humanise, qu’on lui permette de trouver une place dans la société. Mais comme les relations conjugales sont de moins en moins certaines, contrairement au lien filial, les parents ont tellement peur de ne pas être aimés, qu’ils ne refusent rien pour éviter les conflits.C.M. : Vous précisez même que l’aimer, c’est aussi accepter qu’il s’attache à d’autres que soi. Les parents seraient-ils trop fusionnels avec lui ?D.D. : Certains parents ont tellement besoin de son affection de sa présence qu’ils se sentent vite en rivalité, et ont beaucoup de mal quand il s’attache à une autre personne. Cependant cela ne veut pas signifier qu’il ne les aime plus. Le lien filial est quasi indestructible. Un enfant a besoin de s’ouvrir au monde, aux autres. Un grand-père, un professeur, un ami vont lui apporter autre chose de l’expérience humaine. Les parents ne peuvent pas tout donner.

Parce qu’éduquer, c’est frustrer… aussi

C.M. : Vous écrivez  que l’adulte a le devoir de familiariser l’enfant avec la frustration. En quoi permet-elle à nos enfants de grandir ?D.D. : La frustration c’est ce qui permet d’entrer dans la réalité. Dans la vie, on ne nous offre pas tout ce que l’on veut. On rencontre tous des échecs, des moments difficiles. Alors, quand on leurre un enfant, sans jamais le frustrer, on lui envoie un faux message. L’amour inconditionnel, tout lui donner quand il est tout petit, c’est primordial pour acquérir une confiance en soi et lui faire prendre conscience qu’il existe. Seulement, quand il grandit, on doit introduire la notion d’attente. A 10 mois, par exemple, s’il hurle pour avoir son biberon tout de suite, le combler immédiatement l’empêche de désirer, d’avoir des images dans sa tête. En répondant aussitôt à l’affect, on ne l’aide pas au niveau de la pensée, on ne lui donne pas le temps de désirer ce biberon. Bien sûr, il faut mettre des mots, parler au bébé, lui expliquer que l’on sait qu’il a faim mais qu’il peut bien attendre quelques minutes. Ce temps de parole est important aussi pour introduire le langage.
Avec un enfant plus grand, vers 18, 24 mois, il faut avoir le courage de dire non. Non à ce bonbon qu’il réclame avant un repas ou quand on achète le pain à la boulangerie. C’est ainsi. Dans la vie, on ne peut pas et on ne doit pas avoir tout ce que l’on voit.C.M. : Quelle est la place de l’imaginaire dans la construction d’un enfant ?D.D. : Il est essentiel, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre. Car je suis inquiète de voir comment certains enfants n’ont pas d’imaginaire. De nos jours, ils cherchent tellement à penser et raisonner comme des adultes, encouragés souvent par les parents qui le glorifient  quand il se comporte comme un grand, quand il sait lire à 3 ans par exemple. A cet âge, il devrait plutôt comprendre le monde, s’inventer des histoires, être dans des jeux de rôle, un jour policier, le lendemain papa, ou encore chevalier, princesse ou maîtresse. Les adultes font fausse route. N’être qu’un singe savant, qui connaît à la perfection les noms des présidents et des drapeaux, n’aide pas à la socialisation. Certains parfois sont en grande souffrance, et éprouvent de difficultés à comprendre les relations humaines. Il faut leur laisser le temps d’être des enfants, de se construire tout simplement. L’école viendra par la suite pour tout leur apprendre.C.M. : Mais il y a quand même une différence entre exaucer tous ses souhaits et le surprotéger ?D.D. : La surprotection, c’est veiller à ce qu’il n’ait aucun inconfort, à ce que rien de désagréable ne lui arrive. Alors quand un enfant laisse tomber son crayon, les parents se précipitent pour le ramasser. Quand il veut se servir un verre de lait tout seul, là encore, ils le font à sa place, de peur qu’il en renverse. Cela part bien sûr d’une bonne intention. Seulement, sans s’en rendre compte, ils anticipent tous les gestes d’effort de l’enfant. Et ce dernier finit par se laisser faire, adopte une attitude passive voire paresseuse, quelque fois même, finit par se persuader qu’il est incapable, puisque on ne le laisse pas faire. Et c’est tout le contraire dont il a besoin : apprendre l’autonomie pour être heureux.C.M. : Dans le fond, tous ces parents qui ne refusent rien à leur progéniture n’adoptent-ils pas la politique de la facilité ? Est-ce une façon pour eux d’avoir la paix ?D.D. : Il est en effet plus facile de dire oui que non. Il n’y a ainsi pas de conflit et la paix règne dans la maison. Mais est-ce normal que des enfants de 8, 9 ans aient un téléviseur et un ordinateur dans leur chambre ? Ils sont livrés à eux-mêmes. J’appelle cela de l’abandon. Chacun est content, libre de regarder ce qu’il  souhaite, dans son coin. Les repas de famille se perdent et les temps de rencontre s’appauvrissent. Tous les parents, heureusement, ne sont pas démissionnaires et bon nombre d’entre eux tiennent bon. Seulement, dire non, ce n’est pas toujours facile aux yeux de la société. Le regard et le jugement des gens qui les entourent leur renvoient une image négative de mauvais parents. Incapables d’être gentils avec leur enfant, de lui offrir ce bonbon ou cet ordinateur qu’il demande et qui lui ferait tant plaisir…C.M. : Vous abordez le sujet de l’argent de poche. À quel âge peut-on commencer et pourquoi est-ce important ?D.D. : C’est un outil extraordinaire qui peut être instauré dès la fin du cours préparatoire, quand l’enfant sait compter. Avec l’argent de poche, les parents délèguent à l’enfant un pouvoir d’achat. Quelle responsabilité, il ne dépend plus du bon vouloir parental, il s’autonomise. Avec cet argent, il est confronté à une réalité et à lui de voir ce qu’il va en faire. Et environ 1,50€ par semaine suffisent largement pour en mettre en place un projet qui  signifie l’attente, le désir ou le bonheur immédiat. « Je vais économiser, pour m’offrir la petite voiture convoitée, ou le joli sac repéré dans la boutique d’à côté. Et quel bonheur quand je peux enfin me l’acheter. Ou bien, en sortant de l’école, je vais aller chercher le bonbon qui pique ». Chaque enfant est libre d’en disposer comme bon lui semble.C.M. :  Quelles sont les répercussions à moyen et long terme et que deviennent ces enfants à qui l’on cède tout ?D.D. : En général, ces enfants ont de grandes difficultés à trouver leur place dans la société et du bonheur dans la vie. On leur a tout cédé, mais la vie ne cède pas tout. On ne séduit pas forcément la jeune fille espérée, on n’obtient pas toujours les points souhaités aux examens. La plupart se sentent terriblement seuls, car ils ne sont pas préparés à la réalité. Ils ne sont pas armés pour affronter la souffrance et les difficultés de la vie qui sont inhérentes. Ils ont parfois des moments de grand découragement, car tout à coup ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.C.M. :  En somme, peut-on dire que les enfants-rois sont des victimes et non des bourreaux ?D.D. : Lorsqu’ils étaient petits on les a peut-être regardés comme des bourreaux, le résultat en grandissant, c’est qu’ils sont devenus des victimes.C.M. : Mais alors, comment se comporter avec eux ?D.D. : Il est primordial de comprendre qu’un enfant et un adulte ne sont pas à la même place. Même si tous deux sont des personnes à part entière. De cette différence naît une rencontre intéressante où chacun doit pouvoir entendre le monde de l’autre, sans confondre les territoires. Un parent est là pour guider et endosser sa responsabilité d’éducateur. Si c’est l’heure d’aller se coucher par exemple, il n’a pas à demander à son petit s’il est d’accord. En revanche, quand arrive le moment des jeux, il ne doit pas décider à sa place, mais le laisser choisir son activité. Je dis toujours que le travail de l’enfant c’est de désobéir, celui du parent de faire obéir.

Des chiffres

En France, 85% des enfants inscrivent en moyenne 9 jouets sur la liste du Père Noël. 20% vont même jusqu’à en sélectionner 18, les 5/7 ans étant les plus demandeurs.
Et ils sont servis, puisqu’ils en reçoivent en moyenne 8 et près d’un enfant sur trois trouve au pied du sapin tout ce qu’il avait demandé.
(Tns sofres décembre 2011)

Quand un auteur témoigne

« Nous sommes allés trop loin dans le culte de l’enfant. Et ils n’en font qu’à leur tête. Les parents sont confrontés en permanence à ce terrible dilemme : comment ne pas céder. C’est d’ailleurs un sujet que j’aborde dans les aventures d’Astalik. Un enfant roi dans toute sa splendeur. Au travers de situations totalement caricaturales, largement inspirées de ma fille, et de ses petites copines, je montre comment les parents sont, aujourd’hui, souvent dépassés face aux excès, aux dérives de ces enfants à qui tout est permis.  Pourtant, je suis comme eux, j’ai du mal à imposer mon autorité. Et Astalik me permet de prendre du recul, d’en rire aussi ».
Eliette Abécassis, auteur de Astalik fait ses courses, illustrations Delphine Garcia, Editions Thomas Jeunesse, 14,50€

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