Claude Halmos, psychanalyste et auteur de nombreux ouvrages dont L’autorité expliquée aux parents paru en 2008 chez Nil éditions, revient sur la nécessaire autorité dans l’éducation.
L’autorité ne s’use que quand on ne s’en sert pas!
Côté Mômes : Pourquoi cet ouvrage alors que dans « Pourquoi l’amour ne suffit pas », en 2006, vous souligniez déjà l’importance de l’éducation ?
Claude Halmos : J’avais envie d’approfondir la question de l’autorité. Expliquer que l’éducation est indispensable à la construction de l’enfant et que l’autorité est indispensable dans l’éducation. Ce n’est pas un choix philosophique ou idéologique, c’est vital.
Je voulais aussi essayer de comprendre pourquoi l’autorité – qui n’a rien à voir avec l’autoritarisme – fait si peur aux parents, une peur très présente dans les consultations. L’autorité naturelle est un mythe : ceux qui croient ne pas avoir d’autorité savent très bien en faire preuve quand il s’agit de faire prendre un médicament vital à leur enfant.
S’ils savaient à quel point l’autorité est, de la même manière, vitale psychologiquement pour leur enfant, ils y arriveraient, en toute légitimité, sans culpabiliser.
CM : Il y a sans doute des parents qui vous disent avoir tout essayé, en vain…
CH : Ca n’est pas vrai. Quand ils me disent cela, je leur demande de me donner un exemple concret. Et à ce moment-là, on se rend compte que soit ils ont cru que « dire » suffisait, soit ils ont dit les choses comme on récite une leçon apprise, sans en être convaincus, soit ils se sentaient coupables, donc l’enfant sentait très bien qu’ils n’iraient pas jusqu’au bout. Or, ça va très loin de dire « je vais te punir » et de ne pas le faire ou de dire « c’est dangereux de faire ça » de laisser faire l’enfant : ça décrédibilise toute parole. Si vous dites à un enfant « c’est grave de taper sur ton petit frère dans son berceau » et ne le punissez pas s’il le fait quand même, pourquoi croirait-il que la porte du four dont on lui a dit qu’elle brûlait brûle vraiment ? C’est comme ça qu’il va aller après se coller la main dessus pour voir !
S’expliquer avec un enfant n’est pas se justifier!
CM : Aldo Naouri, auteur d’un ouvrage récent sur le thème de l’éducation, dit que quand on donne un ordre, on ne doit pas l’expliquer sinon on tombe dans la justification… Où est la limite entre explication et justification ?
CH : Ce mot « ordre » fait écho à l’autre terme qu’Aldo Naouri emploie, le mot « hiérarchie ». Moi je dis qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les parents et les enfants, il y a une différence de place. Les parents sont soumis aux mêmes règles que les enfants, tout le monde est à la même enseigne, il faut que les enfants le sachent et ils sont souvent très étonnés de se l’entendre dire parce qu’ils croient toujours que les adultes sont tout puissants. Il faut d’abord énoncer à un enfant la règle.
Un exemple : a priori, il ne sait pas que l’on n’a pas le droit de voler dans un supermarché. Un enfant de 2 ans et demi que vous emmenez faire les courses prendra les bonbons qui sont à sa hauteur, c’est normal.
Donc, on lui explique que c’est interdit de voler, on lui explique aussi pourquoi, on lui fait rapporter l’objet (ce que les parents oublient souvent) et on lui explique que les grandes personnes sont soumises à la même règle et que si elles volent, elles vont en prison.
Une fois cette règle énoncée, on impose à l’enfant de la respecter. L’enfant, probablement, va réessayer de transgresser. On se fâche une deuxième fois, et la troisième fois, on se fâche très fort et on dit « c’est comme ça », tu ne changeras pas le monde, tu vas être puni parce que tu savais la règle (et on applique la punition) et puis la prochaine fois, si tu continues, je ne t’emmène plus faire les courses en admettant qu’il aime bien ça.
On ne parlemente pas, on ne se justifie pas. Mais pour revenir à votre question, expliquer n’est pas se justifier. Monsieur Naouri fait preuve d’une absence de rigueur totale. Expliquer n’a jamais voulu dire se justifier, c’est malhonnête intellectuellement et c’est dangereux. Si on n’explique pas, c’est une violence et l’enfant le ressent comme quelque chose que l’adulte lui impose mais qui n’a pas de sens. Il se dit « vivement que je sois grand pour imposer à tout le monde ». Ca veut dire aussi qu’il ne comprendra jamais pourquoi faut pas voler…
Et pourtant, le but de l’éducation, c’est quoi ? Ce n’est pas que l’enfant obéisse au doigt et à l’œil comme on obéit dans les régimes totalitaires. Le but, c’est que l’enfant comprenne le sens des règles et apprenne à s’imposer à lui-même de les respecter, qu’il se construise de façon autonome sur un terrain balisé pour être civilisé, savoir vivre avec les autres et s’adapter au monde qui l’entoure.
Le dialogue ça démarre tôt
CM : Faut-il faire preuve d’autorité même avec les bébés ?
CH : On ne sait pas comment mais on sait que les bébés comprennent très tôt ce qu’on leur dit. Et certains ont besoin par exemple qu’on leur dise que papa et maman sont un couple, qu’ils ont une vie d’amoureux et que cela se passe sans lui. Monsieur Naouri explique que l’on n’a pas à parler aux bébés, c’est son problème, mais moi j’ai vraiment vu bien des bébés sortir de leurs troubles du sommeil à partir de là. Lui préconise de retirer le biberon et la tétine sans explication et sans soutenir l’enfant pour passer à autre chose. C’est la fabrique du traumatisme !
Il faut que ce soit dit ! Naouri confond dans son livre la masturbation compulsive et la masturbation normale dont il dit qu’elle n’existe pas (Aldo Naouri recommande aux pères de dire à leur enfant que la masturbation (chez les tout petits) est interdite, sans autre explication NDLR). Quand on est pédiatre, c’est grave de dire ça. Tous les thérapeutes connaissent la masturbation normale de l’enfant de 0 à 3 ans. La masturbation compulsive de l’enfant, c’est autre chose, c’est un signe d’appel d’une détresse pathologique, aujourd’hui, c’est un des signes sur lesquels on pose la question de la maltraitance sexuelle. « Interdire » ça, ce n’est pas possible. C’est comme si on « interdisait » à un enfant de vomir !