La Secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative découvre depuis peu les joies de la maternité. May, sa fille de presque sept mois, est arrivée d’Asie le 31 décembre. L’année 2012 commence donc sous le signe des biberons et des couches, pour cette jeune politique de trente-huit ans.
Côté Mômes : Quelle analyse faites-vous des changements de la famille ces 30 dernières années? Jeannette Bougrab : Elle a considérablement évolué. De nombreux changements sont intervenus. Le schéma classique un père et une mère mariés avec des enfants a volé en éclat. Aujourd’hui, un couple sur deux en région parisienne et un sur trois en province divorcent. La famille se construit également en dehors du mariage. Et puis, il y a le Pacs et tous ces foyers homoparentaux ou recomposés.
C.M. : Quelle enfance avez-vous eue ?J.B. : Je suis la deuxième d’une famille de quatre enfants. Deux garçons, deux filles. Mon père était ouvrier métallurgiste et ma mère femme au foyer. Fille de harkis, mes parents ont fui l’Algérie en 1962. Nous avons grandi dans un foyer très modeste, à Châteauroux dans l’Indre d’abord en HLM, ensuite dans une maison. Nous n’avions pas beaucoup d’argent ni de nombreux présents pour les fêtes, mais nous étions soudés. Nos parents débordaient d’amour pour nous. L’été, on ne partait pas en vacances, alors, on jouait dans les bottes de paille.
C.M. : Vous venez tout juste d’adopter une petite fille. Vous avez certainement, comme de nombreux parents, attendu ce moment très longtemps. Que souhaiteriez-vous changer pour que ce parcours soit plus facile et accessible à tous ?J.B. : La vraie difficulté dans mon cas, a été d’être célibataire. Le modèle dominant restant encore et toujours le couple marié classique. Il m’est arrivé bien souvent de plus y croire et d’en pleurer Quand on adopte, le temps de gestation est très long. Il faut avoir la force, la conviction et l’énergie pour s’accrocher. Adopter, pour moi, c’est un acte d’amour et de générosité. J’ai traversé le monde pour aller chercher ma fille.
C.M. : Quel genre de maman souhaitez-vous être. Et en quoi la parentalité va-t-elle influencer votre vision de la politique ?J.B. : Je ne sais pas. C’est encore trop tôt. C’est tout nouveau et j’ai du mal à me projeter dans l’avenir. Je souhaite apporter à May sérénité, amour et tendresse. Je sais aussi qu’elle va être au carrefour de plein de cultures. Je veux qu’elle soit avant tout libre, indépendante, qu’elle s’ouvre aux autres et qu’elle ait un sens critique.
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C.M. : Quels sont vos principes d’éducation ?J.B. : Plein d’amour et de protection. Le rôle des adultes est de rendre les enfants forts et autonomes.
C.M. : Y a-t-il des choses que vous ne souhaitez absolument pas faire ? Comme, par exemple, éviter les « bêtises » de vos parents ?J.B. : Non, absolument pas. Mes parents étaient stricts mais très protecteurs aussi. Il ne faut pas oublier que je viens d’une famille musulmane. Sans eux, je ne serai pas là où je suis actuellement. Ils m’ont inculqué la force du travail. Mais n’ont jamais porté de jugement sur ma vie personnelle et professionnelle. Quand on jeune, on est critique à l’égard de ses parents. En grandissant, on devient philosophe.
C.M. : L’état actuel de l’Education nationale vous fait-il peur ?J.B. : Je suis très sensible au mal-être des jeunes et des individus en général. Les rythmes scolaires, les notations, peuvent être vécus douloureusement par certains enfants. On leur demande ainsi de rester assis pendant des heures, alors que leur concentration baisse au bout de sept minutes. Pourquoi ne pas faire preuve d’imagination et de créativité afin de réaménager les journées en consacrant la matinée à la culture et au sport. Le modèle est à revoir pour qu’ils ne décrochent pas. Chaque année, en effet, 223 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Et puis, il y a surtout ce dernier rapport sur le suicide que j’ai commandé. Une simple mauvaise note peut parfois pousser au suicide.
C.M. : Les parents subissent toutes sortes de conseils en matière d’éducation au point qu’ils ne savent parfois plus à quels saints se vouer ? Pensez-vous qu’on est allé trop loin dans la remise en question de l’autorité parentale ?J.B. : J’ai eu un modèle maghrébin. Chez moi, l’enfant-roi on ne connaît pas. Les liens inter générationnels sont très forts. Mes parents pourtant étaient jeunes quand ils nous ont eus. Et ils y arrivaient sans aide. Je ne comprends pas pourquoi les adultes sont dépassés aujourd’hui. Ils doivent incarner l’autorité et leurs enfants leur doivent obéissance. Peut-être est-ce dû à l’éclatement de la cellule familiale ? A deux, c’est sans doute plus facile.
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C.M. : Les chiffres du chômage ne cessent d’augmenter, la crise financière dont on ne voit pas la fin… en temps qu’élue, de quelles responsabilités vous sentez-vous investie par rapport à l’enfance et à la jeunesse ?J.B. : Je suis convaincue qu’il faut encore plus les protéger. On travaille actuellement sur le binge drinking. Dès l’âge de 11, 12 ans, les enfants commencent à boire des alcools très forts. Et toutes les semaines, les services d’urgences dans les hôpitaux doivent faire face à un nombre croissant de jeunes en over dose. Juste avant Noël, un adolescent de 16 ans en est mort. Il avait 4,5 grammes d’alcool dans le sang. Et il y a ce dernier rapport commandé par le Ministère et réalisé par Boris Cyrulnik qui met en avant le suicide des enfants. Avant l’âge de 13 ans, 16% pensent que la mort pourrait être une solution à leurs problèmes scolaires, familiaux ou relationnels. Pour la première fois on a intégré cette dimension : les plus petits sont également concernés.
Mon autre cheval de bataille : les grossesses précoces. Je visite souvent des foyers de jeunes filles. Fragiles, pour la plupart issues de milieux défavorisés, elles sont mères avant l’heure. Comment dans une société moderne peut-on accepter que toutes ces mineures, souvent en échec scolaire, en conflit avec leurs parents, mettent au monde un bébé pour se sentir reconnues, accéder à un logement ou bénéficier de droits sociaux. Encore enfants, elles font des enfants. Alors que leurs préoccupations devraient être de poursuivre des études, avoir des copines, et envisager un jour trouver un job. Avant de choisir, mais bien plus tard, le bon moment pour être mamans. J’ai franchement l’impression que l’on a reculé.
C.M. : Que pensez-vous de la politique familiale actuelle en France ? Garde d’enfants, allocations, congé maternité, quelles sont les urgences selon vous ?J.B. : On nous envie notre politique sociale. Nous avons le taux de natalité le plus fort en Europe. Les femmes travaillent, on a des crèches, des assistantes maternelles, la scolarité est possible dès l’âge de 2 ou 3 ans. Seulement comment font toutes celles qui ont des horaires décalés ? On doit développer des systèmes de garde qui fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’aimerais également que les pères s’impliquent davantage en prenant leur congé paternité, en participant aux tâches ménagères. Il y a encore des progrès à faire. Egalement dans le monde professionnel. Arrêtons de programmer des réunions stratégiques à 20h00. Car ce sont les femmes qui en paient le prix et mettent leur carrière au ralenti. Il faut changer les mentalités et faire tomber les stéréotypes.
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C.M. : Les enfants des banlieues semblent condamnés à y rester. L’ascenseur social est plus que jamais en panne et la France a changé de modèle d’intégration, contre son gré, en laissant de plus en plus de place au communautarisme. Comment inverser le cours des choses, redonner de la cohésion et de la mixité sociale aux générations à venir ?J.B. : Je suis effondrée de voir le système scolaire dans ces banlieues enclavées presqu’abandonnées. Trop de jeunes décrochent. Et ce, pour deux raisons principales. D’abord, l’absence de maîtrise des fondamentaux à l’entrée en sixième. Puis, les mauvaises orientations. On n’écoute pas les jeunes, ce qu’ils font ne leur plaît pas, donc ils abandonnent. Je pense que la vraie inégalité réside du côté périscolaire. Les enfants ont, pour la plupart, des parents qui ne parlent pas le français. Ils vivent dans de petits appartements où étudier est souvent peu aisé. Mais je crois vraiment que la méritocratie a encore une place dans notre pays. Il faut donner des moyens aux plus faibles et aux plus fragiles. Voilà pourquoi nous avons développé les soutiens scolaires, augmenté les places d’internat dans les établissements d’excellence, pour permettre à ceux qui le veulent d’avancer. En tant que Ministre, je participe également à la mise en œuvre de cellules de quartiers pour aider les jeunes à s’en sortir. De grosses entreprises, des clubs sportifs nous soutiennent dans cette mission. Car je sais, d’expérience, que nous ne partons pas tous sur la même ligne de départ. Et j’en suis un exemple, la seule de la famille d’ailleurs à avoir eu son bac.