En presse, on parlerait d’un marronnier. Les ministres de l’éducation se succèdent et la méthode globale revient systématiquement sur le devant de la scène… pour être mise au pilori. Paradoxe, cette « méthode » qui fait tant parler d’elle n’a jamais été une méthode en tant que telle mais un outil de démarrage de la lecture. Alors qui ment et pourquoi ? Les ministres, par démagogie ? Leurs conseillers, cherchant en vain des boucs émissaires ? La presse, par effet d’annonces ? En tout cas le sujet mérite un peu plus que cette bataille rangée systématique entre corps enseignant et politiques. Tentative de décryptage.
Méthode globale ou syllabique ?
Si tout le monde s’accorde à dire que la méthode globale est en effet une aberration, tout le monde sait aussi qu’elle a rarement été employée par les professionnels de l’éducation.
Introduite dans les années 30, plus ou moins utilisée dans les années 60 et début 70, au détriment de la méthode syllabique, utilisée dans de nombreuses méthodes dans les premières semaines du CP et couplée avec la méthode syllabique (méthode dite mixte), elle aurait dû disparaître définitivement en 2002, après décision gouvernementale. Jack Lang en est d’ailleurs un des premiers amusés et n’hésite pas à le faire savoir : «Gilles de Robien a lui-même signé la préface des programmes de l’école élémentaire élaborés sous le gouvernement Jospin qui proscrit le recours à une telle méthode et qui consacre définitivement un apprentissage syllabique de l’écriture.»<!–nextpage–>
Applique-t-on vraiment la méthode globale ?
Dans ce cas, d’où vient que les ministres de l’Education Nationale fassent régulièrment de la méthode globale un bouc émissaire ? Méconnaissance du sujet ? Pas si sûr ! Pour l’heure, il semble que la simplification du débat ait empêché un vrai débat de fonds.
Qu’a dit Gilles de Robien, dernier ministre à s’opposer farouchement à cette méthode, lorsqu’il était aux affaires ? A lire l’extrait de son discours de l’époque, nous sommes bien loin des gros titres qui faisaient la une des journaux. Sans chercher à faire le panégyrique d’un ministre qui, pour cause d’élections présidentielles, n’a pas dépassé 2007, la bonne fois oblige à constater qu’il allait bien plus loin que la remise en cause de la méthode globale. Si tous les enseignants se so nt dressés sur leurs ergots pour dire : « Le ministre ne sait pas de quoi il parle, nous n’avons jamais utilisé la méthode globale, il devrait se renseigner. » Combien pourraient soutenir que dans les dernières années, soit depuis 2002, ils n’ont connu aucune école où, au CP, on utilise une méthode de lecture dans laquelle les quatre à six premières semaines s’appuient sur une approche globale du mot ? Ils ne seraient pas nombreux ! Une grande part des écoles est encore dotée de ce matériel. « Lecture en fête », « Ribambelle », « Abracadalire », pour ne citer que celles-ci, sont des méthodes mixtes qui combinent l’approche syllabique avec un démarrage global.
La méthode globale : un débat de fond
Est-ce qu’on ne se serait pas trompé de débat par hasard ? Le discours du ministre aurait dû soulever plusieurs questions. La première est : est-ce vraiment si dommageable pour l’apprentissage de la lecture de démarrer par une approche globale du mot si on la combine rapidement avec la méthode syllabique ? C’est ce que propose la plupart des méthodes dites mixtes ! Nous avons interrogé à ce sujet Bernard Lété, Maître de conférences à l’INRP (Institut National de Recherches en Pédagogie). Il semble penser que oui (voir le question/réponse). Mais le débat reste ouvert et demande a être approfondi.
La seconde question est pédagogique: Combien d’enseignants du CP ont reçu la formation qui les rendrait aptes à produire leur propre méthode syllabique ? Enfin, sur le plan matériel, comment finance-t-on le remplacement de toutes les méthodes mixtes dans les écoles qui les pratiquent ? Les écoles n’ont pas le budget pour investir dans le remplacement obligatoire qu’impose la démarche du ministre. Une méthode est souvent achetée pour 5 ans, quand ce n’est pas plus ! Si la perspective a de quoi réjouir les éditeurs qui disposent d’une méthode purement syllabique dans leur catalogue, elle pose un problème de fond… et de fonds !
Le débat ne fait que commencer. C’est d’ailleurs sain le débat, en démocratie, contrairement aux polémiques partisanes. Pourquoi faudrait-il n’avoir de cesse qu’il soit clos ?
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L’avis du spécialiste : Bernard Lété, maître de conférences à l’INRP (Institut National de Recherches en Pédagogie) et à l’Université Lyon II.
Côté Mômes : Pourquoi la méthode globale fait-elle tant jaser et sur quoi repose la méthode syllabique ?
Bernard Lété : Nous savons depuis longtemps que la méthode globale n’est pas à proprement parler une méthode d’enseignement de la lecture. Comment peut-on en effet, enseigner à un enfant à photographier les mots ? Par contre, on peut lui enseigner comment fonctionne le système d’écriture sur lequel il construit son apprentissage de la lecture. Donner à l’enfant les clefs d’accès au système d’écriture, c’est précisément lui faire découvrir que les graphèmes (c’est à dire toute lettre ou toute suite de lettres comme « ain » ou « eau ») correspondent à des sons.
C’est justement sur cet enseignement que repose la méthode syllabique. Il s’agit de décomposer les mots en unités plus simples, de façon à ce que l’enfant puisse les reconstruire à volonté et lire ainsi des mots qu’il n’a jamais rencontrés. De cette façon, on lui fait comprendre comment fonctionne l’écrit. On lui permet aussi de construire son vocabulaire, car il ne pourra jamais être en contact avec tous les mots de la langue. Dit d’une autre façon, la méthode syllabique permet d’enseigner les règles de construction des mots, ce qui est très efficace car très économique.
Avec la méthode globale, si l’enfant n’est pas confronté plusieurs fois à un même mot, il ne pourra pas le « photographier » et donc il ne pourra pas le stocker dans son vocabulaire. Comment pourra-t-il alors lire un mot qu’il n’a jamais rencontré ?
CM : L’approche globale de la lecture peut-elle être une cause de dyslexie ?
BL : La dyslexie est un trouble qui touche 4 à 5% des enfants scolarisés. Il serait exagéré de dire que la méthode globale en est responsable. Par contre, l’utilisation de la méthode globale est souvent liée à d’autres méthodes d’enseignement plus ou moins « romantiques », qui reposent sur une conception erronée du fonctionnement cognitif. C’est dans ce cadre qu’il convient d’être vigilant, pour éviter que les enfants qui sont en retard dans l’acquisition de la lecture ne soient pas encore plus pénalisés s’ils sont malheureusement dans une école où la méthode globale est encore utilisée.