Du vrai bon franc-parler sur le sujet ô combien consensuel des enfants et de la maternité : No Kid, Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant, paru en 2007, n’y va pas avec le dos de la (petite) cuillère. Corinne Maïer, qui n’en est pas à son premier essai, aurait-elle atteint le paroxysme de son moi profond ? Logique implacable ou simple provoc, entre les deux, le lecteur balance. Que la mère qui n’a jamais eu envie de passer son enfant par la fenêtre lui jette la première pierre. Ou qu’elle s’abstienne de lire le dernier essai d’une auteure qui avait en son temps fait trembler la direction d’EDF avec son Bonjour Paresse vendu à 500 000 exemplaires. Elle y dénonçait les rouages de la grande entreprise et nous donnait la seule solution à ses yeux pour ne pas finir broyé : en faire le moins possible. Il fallait à cette psychanalyste – mais aussi économiste, curieux paradoxe – un autre sujet tabou à se mettre sous la dent. Ce furent les enfants.
Contre les enfants, tout contre ?
Nous sommes tous a priori d’accord pour dire que les enfants sont ce qui peut nous arriver de mieux. Nous tremblons, nous nous plions en douze pour leur faire la vie belle et nous espérons pour eux un avenir meilleur. Oui mais. Nous ne pouvons que reconnaître avec Corinne Maïer que pour perpétuer notre race, beaucoup de sacrifices s’imposent : adieu les sorties improvisées et donc les amis – en tout cas ceux d’avant -, les vacances hors saison, les grasses matinées, les remake de 9 semaines et ½ avec notre loulou ; bonjour l’accouchement et sa cohorte de joyeusetés, la pression des belles-mères, les soucis de nounous, les cris dans la nuit, les films crétins et le temps « découpé en tranches rigides ». De tout cela, on finit par s’accommoder, en culpabilisant beaucoup de n’être pas toujours au summum de l’adoration pour nos bambins, pas toujours dispo comme il faudrait. Et puis quand vraiment ça ne va pas, on consulte les spécialistes de l’enfance, on achète des magazines parentaux et on se dit qu’on n’est pas la seule à vivre ça.
Maman comblée ?
Corinne Maïer, pourtant maman de deux enfants de 11 et 13 ans dans la vraie vie, choisit quant à elle, en tout cas sur le papier, l’abstention pure et dure. Et elle persiste et signe. A la poubelle les psys de tout poil, les médias et autres penseurs de l’art d’élever des enfants. Adieu les enfants tout court. Oreilles et yeux sensibles, vous abstenir… Voici quelques extraits : « Les enfants sont une nuisance épouvantable », « décider d’en faire est la décision la plus éprouvante pour les nerfs de toute une existence », « élever un enfant, c’est la guerre » ou encore cette prose fleurie empruntée à Michel Houellebecq « l’enfant est une sorte de nain vicieux, d’une cruauté innée ». Et Corinne Maïer de préciser que « le désir d’enfant donne des ailes aux adultes en mal de perspectives » et que, de toute façon, il ne sert à rien de se « décarcasser pour un futur exclu ».
Alors, qu’est-ce qu’on dit à Corinne ? Un grand merci pour cette belle séance de déculpabilisation générale, ça fait vraiment du bien. Mais aussi dommage, chère Corinne, de n’avoir tiré que d’un côté de la ficelle – un peu grosse par moments. Et l’amour dans tout ça ? Il serait peut-être, pensai-je naïvement, LA raison pour faire des enfants? Mais il fait preuve dans No Kid d’un bel absentéisme qui vous permet d’aller sans contrariétés au bout d’une belle figure de style, drôle de surcroît, à laquelle il manque pourtant la raison du cœur.
Corinne Maïer : « Le discours sur l’enfance est lénifiant »
Côté Mômes : Dans Bonjour Paresse, qui a connu un vif succès, vous dénonciez les rouages des grandes entreprises. Dans No Kid, vous nous expliquez, en gros, que le fait d’avoir des enfants nous enchaîne à la société et à nous-mêmes… On comprend, bien sûr, la dose d’humour que vous y mettez mais à quel point ?
Corinne Maïer : Le but c’était de prendre à contre-pied tous les discours habituels sur l’enfant qui sont souvent assez lénifiants, très moraux, avec des leçons pour tout le monde. Le lecteur décide si c’est sérieux ou pas.
CM : Vos essais sont-ils des projets longuement mûris, des sujets qui vous tiennent à cœur depuis longtemps ou s’imposent-ils à vous dans des prises de conscience soudaines ?
CM : Avant d’écrire un livre, ça mûrit des mois, parfois des années et d’un coup je me dis hop, là il faut peut-être commencer, on va voir ce que ça donne. Je commence à écrire quelques pages pour voir si le ton est bon. Et s’il l’est, j’écris l’ensemble.
CM : Avez-vous l’impression de dire tout haut ce que beaucoup de mères pensent tout bas ?
CM : Peut-être. Le discours est tellement lourd sur l’enfance qu’en tant que mère, on ne peut s’exprimer que par intermittence. Entre copines ou avec un public choisi. J’ai remarqué aussi que les femmes plus âgées, vers 50-60 ans, sont parfois plus libres sur ce sujet, pour elles, le boulot est fait. Sur ce sujet, ce sont les plus drôles. Les plus jeunes ont un discours très contraint. En fait, j’essaie juste d’aborder des sujets de société à travers un angle précis.
Maman politiquement incorrecte
CM : Quelles sont les réactions du grand public et des professionnels autour de votre livre ?
CM : J’ai reçu pas mal d’e-mails, d’autres m’écrivent. J’ai aussi pas mal de réactions par l’attachée de presse de mon éditeur. Il y a des gens que ça a beaucoup choqués, surtout dans la presse parentale, et qui ne souhaitent pas parler de ce livre.
CM : Petit exercice de schizophrénie : comment la psychanalyste que vous êtes interprète-t-elle votre livre ?
CM : Le premier livre de psychanalyse que j’ai lu, c’était Moïse et le Monothéisme de Freud, un livre grandiose ! Je trouve qu’il y a une dimension de provocation chez Freud, donc, je ne vois pas pourquoi ce que je fais ne serait pas dans cette continuité ! En quelque sorte, je perpétue la tradition psychanalytique et pourquoi pas.
CM : Vous avez deux enfants. Ont-ils lu le livre ? Qu’en pensent-ils ?
CM : Mes enfants ont un exemplaire à leur disposition, ils savent en gros ce qu’il y a dedans puisqu’ils étaient là quand on en a parlé, quand l’idée est venue avec un couple d’amis. Et ils s’en fichent totalement. Je trouve ça très sain, chacun son univers. J’aurais pu parler de l’origine du cheval, pour eux c’était pareil.
CM : Si c’était à refaire, vous n’a
uriez pas d’enfants ?
CM : Si c’était à refaire, je ne recommencerais rien de ce que j’ai fait. J’aurais une vie totalement différente, je ferais d’autres études, je vivrais dans un autre pays, j’aurais un autre mec et je n’aurais pas d’enfants.
Phrases en exergue :
« Que faire d’un enfant ? Tout le monde l’adule mais personne n’en veut »
« L’enfant coûte une fortune. Il compte parmi les achats les plus coûteux que le consommateur moyen puisse faire dans sa vie »