Chacun a en mémoire l’affaire Karen Montet-Toutain, professeur d’arts plastiques poignardée en 2005 par l’un de ses élèves aujourd’hui repentant. Le quotidien d’un enseignant, outre sa mission d’éducation, c’est parfois cela aussi.
Faire face à des violences physiques et morales souvent moindres mais répétitives, être chargé de surveillance et d’ordre dans des classes surchargées sans être formé pour cela, essuyer aussi la colère de parents agressifs… Un métier dont les risques, hélas, ne se mesurent bien souvent qu’à l’aune de l’expérience.
Des risques reconnus
La Fédération des Autonomes de Solidarité (FAS) est une association réunissant près de 600 000 personnels de l’Education nationale et qui mène depuis des années une politique basée sur la médiation pour défendre les intérêts moraux et matériels des membres de l’enseignement public.
Très active, la FSA regroupe dans près de 101 départements des Autonomes de Solidarité Laïque où chaque adhérent peut trouver une aide de proximité. La Fédération est née en 1903 « pour faire face aux atteintes portées à leur honneur ou à leur réputation professionnelle par des adversaires de l’Ecole publique et laïque »…
Une autre de ses missions, déjà énoncée il y a plus d’un siècle, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité : prémunir ses adhérents contre la mise en cause fréquente de leur responsabilité en raison de faits dommageables survenus dans l’exercice de leur profession.
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Des risques mesurés
Car les enseignants d’aujourd’hui évoluent souvent dans un contexte pour le moins défavorable. Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : sur la période qui va du 1er septembre 2007 au 21 janvier 2008, la FSA a ouvert 755 dossiers pour insultes et menaces, 222 dossiers pour agressions physiques et 385 dossiers pour diffamation.
Les enseignants et les chefs d’établissement sont les victimes les plus fréquentes et les agresseurs le plus souvent cités sont, contre toute attente, les parents ! 42% des dossiers traités par la FSA sont en effet issus de situations conflictuelles avec les familles.
La formation en question
Dans ce climat, quelles sont les armes de l’enseignant pour « encaisser » les coups sans en donner, pour faire régner le respect mutuel dans sa classe en toute sérénité, pour ne pas, sous l’effet d’humiliations ou d’attaques quotidiennes, dépasser les bornes et devenir lui-même violent ?
Comment ne pas venir grossir les rangs du nombre impressionnant de dispensaires psychiatriques que gère la MGEN (Mutuelle générale de l’Education Nationale) ? Quelles sont les limites du pouvoir d’un enseignant pour « tenir » sa classe, les soutiens dont il dispose ou pas ? Là, les choses ne sont pas simples.
Parce que d’une affaire à l’autre, les jugements diffèrent. Telle gifle donnée à un élève sera ici considérée comme une faute professionnelle quand tel autre coup de pied aux fesses sera classé sans suite… Certains tribunaux admettent l’expression « gifle pédagogique », d’autres auront la dent dure pour moins que cela…
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La limite entre pédagogie et violence
En matière de droits et devoirs de l’enseignant, beaucoup de domaines restent flous même si, sous l’impulsion de la FSA, les choses ont évolué, notamment en termes de formation juridique des profs. Dans certains IUFM, il s’agit de modules facultatifs. Dans d’autres, cette question est prise très au sérieux.
Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil, est dans cette mouvance : « Au cours de la formation initiale, nous nous attachons à montrer aux étudiants que l’Education est soumise aux principes généraux du Droit et qu’il n’y a pas un droit en dehors de l’école et un droit dans l’école mais un seul et même droit pour tous ». Mais il estime que cette question de responsabilité ne se mesure vraiment que quand on découvre le métier d’enseignant, sur le terrain.
Une formation ciblée des maîtres
A l’IUFM de Montpellier, on complète les modules transversaux obligatoires par une analyse des pratiques professionnelles en faisant émerger des conflits sur des questions très concrètes telles l’autorisation de sortie, le conflit avec un parent, la gestion de l’espace ou de sa voix…
La voix, autre risque du métier qui peut paraître dérisoire mais ne l’est pas tant : selon une enquête de la MGEN menée en 2005 auprès des enseignants, un homme sur trois et une femme sur deux déclarent avoir toujours ou souvent des troubles de la voix, qui touchent en particulier les enseignants anxieux. Eviter de crier quand on est à bout dans une classe bruyante qui vous fait tourner chèvre n’est pas si simple !
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Des maîtres responsable ou pas ?
Entre Code de l’Education, Code Pénal, droit administratif, lois, décrets et nombreuses circulaires qui se superposent, il est bien difficile pour un enseignant de connaître les limites exactes de sa responsabilité au quotidien.
En décembre 2006, Gilles de Robien, alors ministre de l’Education Nationale, signait un arrêté fixant le cahier des charges de la formation des Professeur des Ecoles, des Collèges et des Lycées. Que précisait-il ? Notamment « qu’en tant qu’agent de l’Etat, tout professeur fait preuve de conscience professionnelle et suit des principes déontologiques » et qu’il « exerce sa liberté et sa responsabilité pédagogiques dans le cadre des obligations réglementaires et des textes officiels »…
Presque des évidences qui renvoient hélas à une multitude de textes officiels pas forcément plus précis. En matière de surveillance néanmoins, les choses semblent a priori plus claires : dans les écoles maternelles et élémentaires, l’obligation de surveillance doit être exercée de manière effective et vigilante pendant la totalité du temps où l’élève est confié à l’institution scolaire, de l’ouverture de l’école 10 minutes avant l’heure officielle du début des cours à l’issue des classes du matin et de l’après-midi.
Autrement dit, l’équipe pédagogique, sous la responsabilité du directeur d’établissement, doit surveiller non seulement sa classe mais aussi les couloirs, les toilettes – ce qui est loin d’être simple dans les faits car les affaires de pédophilie ont terriblement compliqué les choses – et la cour de récré…
en dehors de la classe
Selon les derniers chiffres de l’Observatoire National de la sécurité des établissements scolaires, 82% des accidents en CM2 ont lieu dans la cour de récré. Justement, en cas d’accident, que se passe-t-il ? L’enseignant chargé de surveiller la cour est-il tenu pour responsable ?
Non s’il s’agit d’une faute de service. Oui s’il s’agit d’une faute personnelle. Une faute de service est une faute « courante » de type manque de surveillance ou blessure d’un élève pendant le cours de gym et pour laquelle l’enseignant ne saurait être soupçonné de malveillance…
Dans ce cas, il est protégé par la loi du 5 avril 1937 qui désigne l’Etat comme responsable. Pour qu’il y ait faute personnelle, dite « détachable » du service, il faut qu’elle soit accomplie intentionnellement ou d’une exceptionnelle gravité. La diffamation, l’emploi de termes outranciers, les violences physiques ou sexuelles en font partie. Dans ce cas, l’enseignant s’expose à une procédure disciplinaire et doit répondre seul de ses actes devant la justice, au civil ou au pénal. Voilà pour la base.
Mais le risque de poursuites s’est accru avec la récente loi du 10 juillet 2006 qui a introduit la notion de « délits non intentionnels » au registre des infractions pénales et c’est souvent selon ce principe que les enseignants sont désormais poursuivis pénalement.