Judith Rich Harris, diplômée de psychologie de l’université de Harvard, a écrit pendant des années des manuels universitaires de psychologie de l’éducation. Elle croyait alors dur comme fer à la théorie répandue selon laquelle on devenait l’adulte que nos parents avaient forgé. Puis, au fil de ses recherches, sa conviction s’est étiolée jusqu’à s’inverser. En 1995 paraît dans la plus prestigieuse revue américaine de psychologie, Psychological Review, un article primé deux ans plus tard par l’association américaine de psychologie. Il avait à sa parution suscité une vive polémique.
Non, le devenir des enfants ne dépend pas que des parents, voilà ce qu’elle y affirmait, reprenant son propos, étayé de nombreux exemples frappants, dans un livre intitulé Pourquoi nos enfants deviennent ce qu’ils sont. Elle y affirme que « En moyenne, les parents agréables et compétents ont tendance à avoir des enfants agréables et compétents. Mais cela ne prouve pas que les parents exercent la moindre influence autre que génétique sur ce que deviennent leurs enfants. » Et la psychologue d’ajouter : « L’éducation d’un enfant ne se fait pas à sens unique, de parent à enfant : elle s’élabore conjointement par le parent et l’enfant. » Chacun a pu constater, même si parfois la psychologie tente de l’ignorer, à quel point deux enfants élevés par les mêmes parents, dans les mêmes conditions, peuvent être différents et se forger une personnalité parfois radicalement opposée.
« L’idée que nous pouvons faire de nos enfants ce que nous voulons est une illusion »
Judith Rich Harris va plus loin encore, citant de nombreux exemples de vrais jumeaux élevés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre dans des milieux très différents et ayant à l’âge adulte exactement les mêmes manies, les mêmes goûts vestimentaires, les mêmes penchants et addictions. Elle souligne que, plus que les parents eux-mêmes, c’est l’environnement qui construit une personnalité parce que les enfants grandissent plus par identification à leurs pairs qu’à leurs parents. Sans verser dans le déterminisme fataliste, Judith Rich Harris envoie valser le primat de l’éducation parentale et nous débarrasse d’un coup de notre culpabilité, remettant en cause les « modes » successives quant aux bonnes manières en termes d’éducation.
Et je ne résiste pas à vous livrer un extrait grinçant de sa prose, à méditer au second degré bien sûr : « L’hypothèse du primat de l’éducation parentale est le produit d’une culture qui a pour devise « tout nous est possible ». Nos éblouissantes machines électroniques et nos élixirs biochimiques nous permettent de corriger la nature. Les enfants naissent différents ? Faites passer le vôtre par la machine miraculeuse et administrez-lui cette délicieuse potion parentale faite d’amour, de discipline, de sanctions symboliques et de jeux éducatifs. Et voilà ! Vous aurez un être heureux, intelligent, bien adapté et plein d’assurance. »