« Pour un enfant, être adulte, c’est savoir et pouvoir »

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Patrick Rayou est sociologue et professeur des Universités en sciences de l’éducation à l’IUFM de Créteil Paris XII. Il décrypte pour nous les réponses des enfants de CM1 que nous avons interrogés à propos de leur vision des adultes et de l’école.
Côté Mômes : Vous avez pris connaissance des propos des enfants quand ils nous parlent des adultes et de l’école. Qu’en avez-vous pensé ?
Patrick Rayou 
: Plusieurs choses m’ont frappé, qui sont venues confirmer les recherches que j’ai moi-même longtemps menées auprès d’élèves du primaire. Ils sont déjà, sans doute d’autant plus que nous sommes dans une banlieue peu favorisée, très travaillés par la nécessité de réussir, de s’intégrer, c’est même un peu terrible. Beaucoup disent ne pas vouloir d’enfants plus tard… La preuve qu’ils sont d’un grand réalisme et savent déjà quelles difficultés les attendent. Vous savez, les adultes ont tendance à sous-estimer l’incroyable lucidité des enfants ! Et puis j’ai aussi pensé que ça n’avait pas beaucoup changé depuis la fin des années 90 et que l’école primaire en particulier était une grande stabilité du système éducatif.
CM : Du point de vue d’un enfant, ça veut dire quoi être adulte en 2007 ?
PR
 : Il y a vraiment deux aspects, que j’ai retrouvés dans vos interviews. Le premier aspect, c’est cette croyance absolue que « les adultes savent tout ». Quand je leur demandais « les maîtres et les maîtresses, d’où savent-ils ce qu’ils savent ? », ils me regardaient stupéfaits en me disant « c’est dans le livre et dans le cahier ». Dans l’esprit des enfants, les enseignants ont été des bons élèves – ce qui est souvent le cas d’ailleurs – et comme ils ont été des bons élèves, ils sont qualifiés pour transmettre les mêmes savoirs qu’ils ont appris et aider les enfants à grandir. Pour les enfants du primaire, globalement, les adultes sont des acteurs du « grandissement » à la fois au sens physique et moral du terme. D’ailleurs, les vrais adultes fiables sont ceux qui jouent leur rôle de transmission du savoir. Second aspect, pour eux, les adultes sont ceux qui sont autonomes. Eux n’ont pas besoin de demander la permission pour faire quelque chose… Le troisième point, corollaire, c’est qu’ils ont bien la conscience que cette autonomie va aussi avec les embêtements afférant à la charge d’adulte. Ils ont une grande lucidité et se disent « finalement, on est pas mal comme on est », ils n’ont pas hâte de grandir.
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CM : Dans l’esprit des enfants, quelle est la différence d’autorité entre leurs parents et l’école ?
PR 
: Les enfants ont des compétences extrêmement affûtées pour savoir ce qu’ils doivent aux uns et aux autres. Quand j’ai fait mon enquête sur le primaire, j’avais fabriqué des petits scénarios à partir d’histoires qu’ils m’avaient racontées. Je leur ai soumis ensuite sous forme de questions. Il y en a un qui leur disait : « Julie n’a pas fait ses devoirs du soir parce qu’elle a dû aider sa maman. La maîtresse la gronde, est-ce quelle a raison ? » Ca posait à l’enfant un problème de légitimité puisqu’on était à la maison mais c’était le travail scolaire qui s’y transportait. Eh bien, très massivement, les réponses ont été « elle aurait dû faire ses devoirs ». Les enseignants sont d’une certaine manière aux yeux des enfants les délégués des parents à l’école.
CM : Pour rebondir là-dessus, qu’est-ce qui a fondamentalement changé à l’école ces dernières décennies dans le rapport des enfants au corps enseignant ?
PR
 : Je crois que l’on ne peut pas parler de l’école en général. Il y a une grande différence entre ce que sont les enfants au primaire et ce que, pour beaucoup d’entre eux, ils vont devenir au collège. A mon avis, la sociologie n’a pas assez investigué ça parce qu’entre un gamin de CM2 et un élève de 6ème, il y a bien évidemment des phénomènes de maturation psychologiques mais, fondamentalement, il apprend un autre métier d’élève. Il y a une grande confiance et une grande loyauté des élèves vis-à-vis de l’école primaire, ce qui change au collège où ils se sentent souvent obligés de se situer dans le camp des résistants au système ou au contraire des « collabos ».
L’école primaire est stable, ce qui ne veut pas dire que dans la réalité, les phénomènes d’inégalité d’apprentissage ne soient pas présents. Mais en primaire, les élèves font globalement ce que l’adulte leur demande de faire. Il faut savoir néanmoins que le niveau d’exigence n’est pas le même partout, ce qui veut dire qu’une partie des élèves se trouveront en difficulté « soudaine » au collège.
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CM : Qu’en est-il du rapport d’autorité enfants, école, parents ? Ces derniers en demandent-ils trop à l’école ?
PR : Il y a un certain nombre de préjugés que pas mal de recherches ont infirmé selon lesquels les parents des milieux populaires se soucieraient moins des études de leurs enfants. Ce n’est absolument pas vrai. Au contraire, les études démontrent qu’ils s’en préoccupent plus que les autres. Quand j’ai regardé les études sur les élèves de l’école primaire, ceux qui croient le plus à l’école de la république sont les élèves les plus démunis. Pour une bonne raison : ils peuvent tirer de l’école un salut éventuel. On comprend du coup leur déception quand le succès n’est pas au rendez-vous.
Les parents ne se désintéressent pas de la scolarité de leur enfant mais au fur et à mesure que le niveau monte, certains se sentent infériorisés et un peu coupables de ne pas savoir accompagner leurs enfants ; et puis, revenir à l’école dans les milieux défavorisés, c’est revenir sur le lieu de leur propre échec ou pour s’entendre dire et confirmer des choses qu’ils perçoivent de la scolarité de leur enfant et qui ne sont pas très gratifiantes. Il faut dire aussi, et ce n’est pas un scoop, que les rapports école/parents ne sont pas en France merveilleux. Les parents n’entrent pas comme ça à l’école. Il y a aussi ce contexte-là qui fait que les parents ont tendance à se sentir déqualifiés.
On dit aussi, et il faut sans doute laisser une part de chance à cette hypothèse-là, que dans les familles recomposées, la difficulté à montrer des règles indubitables est plus importante. Les parents sont-ils qualifiés pour imposer aux enfants de l’autre des règles morales ? Et du coup, l’idée que l’école va faire ça peut paraître assez séduisante. L’école est quand même aujourd’hui un des rouages du social sur lequel les nécessités de l’intégration pèsent très fort. L’intégration par le travail n’existe pas avant un âge avancé, puisque les enfants sont sans doute moins qu’autrefois membres des scouts, du catéchisme, d’organisations dans la famille ou autour de la famille qui assumaient cette fonction d’intégration. C’est aujourd’hui très largement l’école qui assume ce rôle.

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