Terreur des « penseurs » de l’école, Jean-Paul Brighelli publiait en août 2005 aux éditions Gawsewich La fabrique du Crétin, état des lieux plutôt catastrophiste de l’école qui avait alors fait couler beaucoup d’encre. Ce normalien agrégé de lettres, qui enseigna partout où il y a élève qui vive, n’y allait pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer les incompétences qui selon lui avaient mené l’école à sa perte…
Il fut suivi en avril 2006 de A Bonne école, en quelque sorte le tome 2, où apparaissaient déjà des propositions très concrètes pour redresser la barre. Un dernier opus de cette trilogie baptisée Fin de Récré, un livre de propositions très détaillées, de la maternelle à l’université. Nous avons rencontré celui par qui le scandale arriva et auquel se sont aujourd’hui ralliés bon nombre de ceux qui veulent changer l’école.Côté Mômes : Dans La fabrique du crétin, vous expliquez pourquoi et comment selon vous les pouvoirs publics, depuis les années 70, ont volontairement « orchestré la baisse de niveau » de l’école pour « assujettir les consciences ». Vous précisez que l’échec scolaire n’est pas un échec du système mais sa « raison ultime ». Qui sont les vrais coupables de ce crime en réunion que vous décrivez ? Les gouvernements successifs ?
Jean-Paul Brighelli : Volontairement…Il faut y mettre un point d’interrogation mais en tout cas, ils l’auraient fait exprès qu’ils n’auraient pas mieux fait ! D’un côté, on a de vrais imbéciles, tous ceux que j’appelle les « pédagogistes », qui détruisent le système au nom de bonnes intentions. Qui sont-ils ? Il y en a qui ont enseigné mais pas tant que ça. Il y en a beaucoup qui ont quitté très tôt l’enseignement pour enseigner les sciences de l’éducation. Il y a aussi des gens qui sont devenus inspecteurs, recteurs, qui depuis 25 ou 30 ans n’ont jamais eu un élève réel en face d’eux. C’étaient des gens de l’extrême gauche chrétienne des années 68, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Ils sont partis sur de très bonnes intentions, sur l’idéologie d’égalité des chances. Mais en mettant l’égalitarisme au cœur du système, ils ont produit plus d’inégalités que ce que le système élitiste qui était celui des années 50-60 n’avait réussi à fabriquer. L’égalitarisme est actuellement la première matrice des inégalités. La preuve, c’est que cette école des pédagogues a produit parallèlement le boom des écoles privées, la montée en flèche du commerce du soutien scolaire… Si bien qu’actuellement, on ne s’en sort que si l’on a de l’argent. Et puis, dans les années 70, au moment où le chômage se met à monter, un certain nombre de gens à droite se sont dit, de façon un peu légère, qu’il fallait faire de la formation light pour combler des bas emplois qui permettraient de caser tous les gens qui se retrouvaient sur le flanc. Ça a été une certaine étape du capitalisme. Les chocs pétroliers ont été le début du libéralisme au sens où on l’entend actuellement, celui de la mondialisation. Un certain nombre de théoriciens se sont dit, là, on va fabriquer des gens taillables et corvéables que l’on va poser, déposer, reposer, des pions ! L’une des plus grandes machines à perdre que l’on n’ait jamais mise en place dans le système éducatif, c’est le collège unique, en 1975, pensé par les deux grands apôtres de l’égalité si je puis dire : René Haby et Giscard d’Estaing. La dernière grande apocalypse molle, ça a été la loi de 89. Elle a été bourrée de bonnes intentions mais l’on entend Philippe Mérieu – lé créateur des IUFM, NDLR- dire aujourd’hui que sa formule de « l’élève au centre » était malheureuse, qu’il aurait dû dire « le savoir au centre ». Sacrée nuance !
Ecole: l’égalité des chances est un mythe
CM : Vous dites donc clairement que l’égalité des chances est un leurre. N’est-ce pas un peu désespéré ?
JPB : Pas du tout. Il faut remonter à la source, à Condorcet qui disait : ce qu’il faut réaliser, c’est l’égalité des droits. Nous avons tous le droit de réaliser ce que nous pouvons faire de mieux, d’aller aussi haut que nous pouvons aller. Mais comme ce point de vue est un point de vue élitiste qui induit de la compétition, les grands penseurs de l’école ont essayé d’une façon factice de dire : « tout le monde doit être au même niveau »… Et pour mettre tout le monde au même niveau, ils ont rabaissé le niveau. Je crois que ceux qui sont les plus malheureux actuellement sont les bons élèves. Si tu es un bon élève, tu es un bouffon. Cécile Ladjiali (enseignante qui donne accès aux grands textes à des élèves des milieux défavorisés, NDLR) explique très bien dans Mauvaise Langue que dans les cités, il y a une hiérarchie blacks, beurs, blancs. Les blacks dominent, les beurs se calquent dessus et les blancs font ce qu’ils peuvent pour exister en se calquant sur le comportement des autres. C’est pour casser ce mécanisme que le gouvernement a décrété la fin de la carte scolaire. Toute la gauche a hurlé sur la fin de la carte scolaire en disant « ceux qui ont des accointances vont savoir où aller et les pauvres vont se retrouver dans des ghettos ». Or, ceux qui avaient des accointances savaient déjà où aller, quelle option prendre en 6ème, quelle domiciliation se faire dans le 5ème arrondissement. Eh bien, statistiquement, les chiffres du ministère, facilement vérifiables, le confirment : ce sont les jeunes filles beurs qui ont le plus fait de demandes de dérogations parce qu’elles savent que le seul moyen d’échapper au grand frère, c’est l’école. Et souvent, c’est ailleurs. Parce qu’on a fabriqué des ghettos scolaires là où on avait fait des ghettos sociaux.
Ecole : repenser le système en termes qualitatifs
CM : Vous reconnaissez à Xavier Darcos sa connaissance du terrain. Sa politique éducative vous semble-t-elle aller dans le bon sens ? Quelles en sont les forces, les faiblesses, les limites ?
JPG : L’éducation est une énorme machine, c’est là qu’il y a le plus de fonctionnaires, c’est le plus gros budget de l’état, et personne n’y comprend rien parce que justement, c
‘est une grosse machine. Le ministre actuel est sans doute le premier depuis fort longtemps qui connaît le mammouth de l’intérieur. Il a été nourri là-dedans, il connaît le système de A à Z. Il a été professeur, professeur de classes préparatoires, inspecteur général, doyen de l’inspection générale, il a tout fait. Et il s’est entouré de gens qui connaissent aussi très bien le système. L’éducation, ça permet de toucher du doigt les grandes difficultés d’un ministre face à sa propre administration. Gilles de Robien a, à une époque, demandé à son cabinet de rédiger un arrêté pour privilégier la méthode alphabétique d’apprentissage de la lecture… Eh bien tous les inspecteurs ont fait passer le message suivant : continuez comme vous faites, la méthode alphabétique, c’est un truc de bourgeois. Nous, on s’adresse à tout le monde, alors on y va à fond dans la méthode dite « idéovisuelle »… Qui produit des dyslexiques en grandes quantités !
CM : En l’état actuel des choses, quelles sont les vraies solutions selon vous pour l’école de demain ?
JPB : Il faut repenser le système non pas en termes quantitatifs – c’est ce que font beaucoup de syndicats – mais en termes qualitatifs : on va à l’école pour apprendre quoi et comment ? Il faut reprendre les choses à la base, c’est-à-dire au primaire, en donnant aux enfants une maîtrise de la langue française. Il faut leur apprendre à lire, écrire, compter, calculer. Il faut établir une liberté pédagogique réelle qui permettra aux instits qui essayaient d’opérer avec des méthodes alphabétiques de le faire très officiellement sans avoir à se cacher. Il faut une refonte des programmes, qui est en cours, ce qui est une bonne chose. On va enfin refaire des cours de grammaire normatifs, réintroduire le par cœur. On va apprendre du vocabulaire, des récitations, des règles. Entre 5 et 10 ans, on apprend avec une très grande facilité. A force de vouloir jouer l’égalité des chances, on a fabriqué des exclus qui ont en plus l’impression qu’on a exercé sur eux une violence pédagogique et qui vous retournent ça en violence pratique. Ecoutez le vocabulaire des banlieues : ce sont des mots d’une syllabe. On a tiré le français vers une langue monosyllabique, ce qui fait que chaque fois que vous avez plus de deux syllabes, le brouillard s’installe dans la tête des mômes. Cela correspond tout à fait aux méthodes de lecture globale où ils croient connaître le mot… S’ils ont appris configuration, vous leur mettez « conflagration », « confédération », ils vous liront toujours « configuration ». Ils le ramènent à l’élément le plus simple.