Psychologue, directeur de l’association Parentel, Daniel Coum est à l’origine d’un ouvrage baptisé La famille change-t-elle ? paru aux éditions Eres et pour lequel il a réuni psychanalystes et sociologues qui se sont penchés ensemble sur le berceau de la famille contemporaine.
Famille d’aujourd’hui et famille de toujours
Côté Mômes : Vous êtes directeur de l’association Parentel. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
Daniel Coum : L’association a été fondée en 1989 sur le constat que ce qui pouvait profiter au mieux aux enfants – puisqu’en 1989, on était dans un contexte socio-historique de promotion de ce que l’on appelait à l’époque l’intérêt supérieur de l’enfant -, c’était que l’on s’intéresse à leurs parents.
Ce n’était pas tout à fait dans l’air du temps à l’époque parce que l’intérêt supérieur de l’enfant supposait, au moins implicitement, que l’on s’intéresse à lui sans ses parents, voire contre ses parents. Or, quelque parent que l’on soit, quel que soit l’âge de l’enfant, il n’est pas facile d’être parent et chacun d’entre eux peut avoir besoin d’évoquer ses difficultés en dehors de la famille. C’est la vocation de notre association.
CM : Pourquoi avoir initié l’ouvrage « la famille change-t-elle ? », qui fédère des spécialités qui ont des approches très différentes ?
DC : La parentalité est une question anthropologique, une question qui ne peut pas se réduire à une seule lecture disciplinaire, à la lecture que peut en produire une seule théorie.
Les différents points de vue théoriques et pratiques sur l’évolution de la famille sont requis pour tenter de rendre compte de ce qu’est la famille aujourd’hui. La question que nous avons posée à nos collègues et que nous nous sommes posée à nous-mêmes c’est finalement : jusqu’où la famille peut-elle changer ?
Nous avons essayé de faire la part des choses entre le contigent et le nécessaire, c’est-à-dire entre les variations possibles des manières d’être en famille et ce qui est absolument immuable… Parce que si on s’attaque à ce qui doit être immuable, peut-être va-t-on au devant de grands soucis.
Equilibre familial: quand on sort des modèles tout prêts
CM : La famille française a énormément changé en 30 ans. Est-ce selon vous un signe de « perdition » de la famille comme le pensent certains ou au contraire un signe d’ouverture et de liberté nouvelle ?
DC : Nous sommes dans une période intermédiaire dont on voit plus facilement les inconvénients parce que les avantages, on les vit et on n’a pas à s’en plaindre ! Dans cette période intermédiaire, bien sûr que le désarroi des parents est patent et qu’un certain nombre de « palliatifs » comme notre association ou votre magazine se mettent en place pour donner aux parents des points d’appui. Il va falloir deux ou trois générations pour opérer cette transition.
Pour aller à l’essentiel, c’est une période de fin des dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques, en tout cas, de remise en question radicale – et qui s’en plaindrait ? – de l’idée que les individus devaient être assujettis à des impératifs collectifs.
On a assurément gagné en liberté, en attention accordée à chacun, en épanouissement personnel, dans une culture de la promotion de soi. Il y a aussi là-dedans une dimension tout à fait narcissique. Mais si c’est un immense profit en termes individuels, en même temps, c’est une grande contrainte, un poids à supporter, des responsabilités beaucoup plus importantes qu’auparavant dans le sens où, actuellement, chacun est en liberté mais en devoir aussi d’être l’auteur de son propre destin.
Dans la mesure où chacun est renvoyé à la responsabilité de ce qu’il vit, alors bien sûr, quand ça ne marche pas, le sentiment de culpabilité ou d’échec est d’autant plus important. Reconstruire des codes communs, telle est la charge qui incombe sans doute aux deux générations futures. Mais la tentation de revenir en arrière, la nostalgie de la tradition, ça pourrait sans doute être rassurant mais on ferait sans doute l’impasse sur le chemin parcouru et ce serait une erreur.
CM : Dans le contexte actuel, que signifie l’expression «équilibre familial » ?
DC : Avec le terme « parentalité », on a essayé de rendre compte du principe même de la famille et non pas d’un modèle familial. Ce qu’on est en train d’essayer de corriger, c’est la supposition que la parentalité ne concerne que le père et la mère. Cet équilibre familial est en train d’être repensé en termes de responsabilité partagée.
L’équilibre familial se trouve sans doute du côté des parents qui ont conscience, assez sereinement, que de toute façon et quoi qu’ils fassent, ils ne pourront pas tout pour leur enfant. Et là où il y avait auparavant des oncles et des tantes par exemple, il y a aujourd’hui, en « remplacement » ou en plus, des beaux-pères et des belles-mères qui donnent du temps, de l’amour et assument aussi des fonctions d’éducation.
La parentalité au centre de la question familiale
CM : On rend les parents responsables de bien des maux, y compris de la violence parfois de leur progéniture, on les dit démissionnaires : seraient-ils devenus inaptes à assumer leur rôle d’éducation ?
DC : Je pense que cette notion est une sorte de mythe qui a été mis en avant pas les professionnels il y a une dizaine, une quinzaine d’années, au moment où ces professionnels occupaient le devant de la scène sur la question de l’éducation des enfants. Mais quoi que les professionnels fassent – et je balaie devant ma porte – nous n’aurions pas fait mieux que les parents à leur place.
Ce discours sur la démission parentale est un discours construit qui ne correspond pas au très haut degré d’implication des parents contemporains dans le devenir de leur enfant.
CM : Qu’a changé la mise en avant des droits de l’enfant dans les rapports familiaux ?
DC : Il y a parfois un hyper investissement de la parentalité par des hommes et des femmes qui oublient qu’ils sont, avant d’être des parents, des adultes. Une question est d’ailleurs savamment passée sous silence : qu’est-ce que c’est qu’être adulte aujourd’hui ? La fin de l’adolescence, les difficultés d’insertion des jeunes témoignent de l’absence de réponse collective à cette question. Que s’est-il passé avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France en 93 ? La référence absolue quand on pense famille n’étant plus ni le religieux ni le pouvoir politique, c’est devenu… L’enfant ! Mais avec les effets secondaires négatifs que cela représente. Parce que, si la question des besoins de l’enfant peut faire référence dans l’éducation, ce n’est pas l’enfant lui-même qui doit faire référence. On est allé dans cet excès-là que l’on est en train d’essayer de corriger. Mais on trouve encore des parents qui, faute de repères, s’en remettre à l’enfant, l’interrogent sur ce qu’il convient de faire pour lui, sur la manière dont il convient de l’éduquer.
Certains courants sociologiques mettent l’enfant à pied d’égalité avec les parents dans ce que l’on appelle une « famille démocratique » où chacun aurait droit à la parole au même niveau. J’ai envie de conclure cette réponse avec une jolie citation de Sylviane Giampino, co-auteur de La famille change-t-elle ? : « Une famille ne s’origine pas de l’enfant. Il faut commencer à remettre les enfants à leur place. On peut dire néanmoins que dans notre nouveau système familial, qui est moins perçu comme une institution que comme un lien affectif, l’enfant pourrait être le cœur de la stabilité ».
CM : La population vieillit : de plus en plus de grands-parents alertes s’occupent, parfois à plein temps, de leurs petits-enfants… Et s’occupent en même temps de leurs parents dépendants. Est-ce là un signe de réunion de la famille à l’heure où on parle plutôt d’éclatement de la famille ? C’est comme si la famille traditionnelle revenait mais par un autre biais…
DC : Il me semble que deux choses sont en train d’émerger à partir de cette mutation de la famille. D’une part, les liens familiaux ne peuvent se réduire au père, à la mère et à leurs 1,9 enfants en moyenne ! Ce sont des liens ouverts. Et en ce sens, ils intègrent la famille élargie, y compris les professionnels de l’enfance, tels les auxiliaires de puériculture qui, même s’ils s’en défendent, participent de la fonction parentale quand ils s’occupent toute une journée de bébés de six mois ! D’autre part, une famille est par définition intergénérationnelle. Les
« 30 piteuses » – comme dit le sociologue Claude Martin pour parler des années 1975-2005 en opposition aux « 30 glorieuses » de l’après-guerre – ont mis à mal le lien social du fait de la précarité des emplois et de la difficulté à se loger. Là, la famille a été sacrément secouée. Mais il y a fort à parier que sans ces difficultés économiques, bien des familles de quatre générations vivraient encore sous le même toit !