Il fut un temps où le patriarche disait de se taire et on ne bougeait plus d’un pouce. Une époque pas si lointaine et pourtant belle et bien révolue. La génération de nos grands-parents élevée à la baguette a fait place à la génération de nos enfants abonnés au « non ». Alors l’autorité parentale est-elle en voie de disparition ? Pas exactement !
Sur trois générations, l’éducation des enfants a bien changé. D’un régime autoritaire, où les injonctions étaient claires, et les sanctions fréquentes, nous sommes passés au règne de « l’enfant roi », reconnu, parfois jusqu’au laxisme, comme un individu et un consommateur à part entière. Un processus accéléré par les mutations, incertitudes, inégalités de la société actuelle, dans laquelle l’autorité des parents s’est fortement diluée. Et si les jeunes parents d’aujourd’hui, s’appliquent à la réintroduire, tentant de jongler entre fermeté et dialogue, l’exercice reste complexe, et les résultats pas toujours bons.
L’éducation à la française
Depuis quelques mois, on entend dire que l’éducation à la française serait la meilleure au monde. En tout cas, les américaines Pamela Druckerman et Karen Le Billon, ont déclaré leur admiration pour le savoir-faire en matière d’éducation des Français dans deux livres. French kids eat everything de Karen Le Billon, par exemple, ne manque pas de clichés : « Comment notre famille a déménagé en France, a guéri ses mauvaises habitudes de chipotage à table, a interdit le grignotage, et a découvert dix règles simples pour élever des enfants heureux et en bonne santé. » Elles en sont certaines le modèle français est le meilleur parce que les adultes ne sont pas les esclaves de leurs enfants, et les mères sont des femmes indépendantes et épanouies dans leur couple.
Et pourtant, les concernés n’ont pas l’air d’accord : en France, 67% des parents estiment manquer d’autorité et 76% pensent qu’il est plus difficile qu’autrefois d’élever des enfants. Et presque la moitié des parents disent avoir une mauvaise image d’eux-mêmes. Sans compter que la société a bien évolué depuis 50 ans, maintenant les familles sont aussi recomposées, monoparentales,… Les pères ont changé de rôle, les mères travaillent, la référence éducative n’est plus la même.
Trouver le juste milieu entre autorité et complicité
Autorité et complicité ne sont pas incompatibles ! L’autorité doit être pensée comme une protection et non comme un enfermement. Et la protection entraîne la complicité. Mais l’enfant reste l’enfant, la complicité ne doit pas le mener à croire qu’il peut tout se permettre. Pour mettre, sans trop d’angoisses des limites à ses enfants, il faut aussi savoir à quoi elles servent. Or notre époque méconnaît l’importance des limites dans l’éducation. De ce fait, les parents ont souvent l’impression qu’ils les mettent pour eux, pour « avoir la paix » ou pour adapter leur enfant à la société. Ils ont donc mauvaise conscience, peur de lui faire violence, d’aliéner sa liberté, de casser sa personnalité. Peur d’abuser de leur pouvoir.
L’avis d’Alain Braconnier
Alain Braconnier, psychiatre et psychologue, vient de publier « Être parent aujourd’hui » (Éd. Odile Jacob). Il se penche sur l’autorité parentale de ses contemporains. Les enfants ne sont plus élevés comme autrefois. Les nouvelles situations familiales (familles recomposées, familles monoparentales,…), les récents phénomènes de société (Internet, réseaux sociaux, drogue et alcool) mettent les parents à rude épreuve. Bon nombre d’entre eux se sentent dépassés.
Côté mômes – L’autorité parentale est-elle en voie de disparition ?
Alain Braconnier – Non. Elle a risqué d’être en voie de disparition par la génération précédente. Mais il y a plusieurs types d’autorité. Il y a l’autorité qu’on pourrait appeler « traditionnelle », il y a 50 ans, qui était « on ne discute pas, c’est comme ça, parce que ça a toujours été comme ça !» Puis, il y a une autorité « charismatique », c’est-à-dire, on essaie de convaincre l’enfant, en lui apportant tout son intérêt pour lui, en essayant de représenter un modèle, c’est une autorité qu’on respecte et qu’on admire. Et, l’autorité qui essaie de faire un bon compromis entre les deux, mais je crois que c’est une autorité qui essaye de convaincre, plutôt que de contraindre. De temps en temps, il faut savoir contraindre, il faut savoir dire « stop », mais elle essaye quand même, tout en se référant à l’autorité traditionnelle, d’expliquer et de convaincre.
CM – Les parents veulent-ils en faire trop ?
AB – Je pense qu’aujourd’hui, ils en font moins que par le passé, ils ont pris conscience que l’enfant est un enfant, qu’il fallait le laisser s’exprimer certes, mais pas le laisser dire tout ce qui lui venait à l’esprit, qu’il fallait lui permettre évidemment de s’intéresser à ce qui l’entourait, mais en même temps de laisser la parole aux grandes personnes, et de ne pas prendre la parole tout le temps. Il est important pour les parents aussi d’avoir leur vie, d’être heureux, de ne pas être tout le temps au service de l’enfant. Je crois qu’aujourd’hui, les parents cherchent vraiment un équilibre plus grand entre leur propre vie d’adulte, de couple, d’activités, et l’intérêt qu’ils ont pour l’enfant.
CM – Quelles sont les différences entre les parents d’avant et d’aujourd’hui ?
AB – J’ai été confronté à trois générations de parents. Une première génération qui était les parents qu’on pourrait qualifier de « traditionnels », des parents pour lesquels l’enfant était très important mais, les enfants étaient mis à distance. Par exemple dans les repas de famille, les enfants n’avaient le droit de parler que lorsque les parents les autoriser. Une seconde génération de parents, dans les 70-90, après 68, où on donnait une place à l’enfant très centrale dans la famille, on essayait de favoriser au maximum son expression, on le laissait libre de parler, de s’exprimer, de jouer,… Et une troisième génération, celle d’aujourd’hui, qui essaie de trouver le meilleur équilibre possible entre les deux styles éducatifs. Le style qui était sûrement trop traditionnel, au sens de mis à l’écart de l’enfant, et peut-être un style trop libéral, dans lequel l’enfant était l’enfant-roi, et parfois un peu tyran. Donc on a aujourd’hui des parents qui cherchent vraiment à trouver un moyen terme entre être des parents attentifs à l’enfant, mais en même temps de ne pas lui donner une place trop centrale par rapport à la vie de la famille.
CM – Les ados ont-ils trop de pression ?
AB – Je pense qu’ils sont des adolescents qui ont eu une enfance justement où ils étaient très stimulés. Donc ils sont en recherche, plus précocement que le passé, de liberté, et d’autonomie. Ils ont aussi des accès au monde beaucoup plus importants : par les médias, les outils comme Internet ou les smartphones, ils sont mêmes parfois un peu précurseurs par rapport à leurs parents, sur leur utilisation. Je ne dirais pas qu’il y a de la pression, je dirais qu’il y a un intérêt pour les adolescents d’aujourd’hui à être ouvert sur le monde. Il faut que les adultes, et en particulier les enseignants, comprennent bien ce nouvel intérêt, qu’il ne faut pas rester dans les schémas trop classiques, et en même temps ils sont aussi des adolescents, donc ils sont prêts à se lancer dans un certain nombre de risques et il faut savoir les protéger et les limiter quand ils sont trop provocateurs, ou quand ils vont trop loin dans cette prise de risque.
CM – Le père a-t-il perdu sa place dans la famille ?
AB – Les rôles ont évolué, dans le passé le père était le référant de l’autorité, c’était l’autorité paternelle. Aujourd’hui c’est l’autorité parentale, une autorité partagée entre le père et la mère. Et on s’interroge même aujourd’hui, compte tenu de l’évolution des familles, si l’autorité ne doit pas être aussi donnée aux familles monoparentales, ou aux familles recomposées. C’est vrai que le rôle est différent dans l’autorité, et aussi parce que le père s’est beaucoup rapproché des enfants, il était avant loin des enfants, en particulier des filles. Par le passé la relation père-fille était une relation distante, aujourd’hui le père est là dès l’accouchement, il est là précocement. Toutes les études ont montré que les pères étaient très intéressés par les enfants petits, avant ils ne s’intéressaient à eux que quand ils pouvaient avoir des activités ensembles. Le père a aujourd’hui une attitude qu’on pourrait attribuer à la mère par le passé. Ça ne veut pas dire qu’il faut que les pères soient les papa-poules, il faut qu’il reste quand même dans une position, qu’on dit « tierce », c’est-à-dire, une position de référence, de respect et d’autorité quand la maman est un peu débordée.
CM – La mère est-elle trop dans l’affection ?
AB – La mère a évolué dans la mesure où aujourd’hui elle est une maman beaucoup plus ouverte sur le monde, qui pour beaucoup travaillent, et qui fait qu’elle est plus souvent culpabilisée que par le passé. Elle a le sentiment de ne pas faire suffisamment pour ses enfants, parce qu’elle a beaucoup de charges : elle a son travail, elle a son activité de « femme au foyer » comme on dit, elle a son activité de couple, et son activité de mère. Toutes ses fonctions sont à répartir dans le temps, mais le temps n’est pas extensible, et les jeunes mamans d’aujourd’hui, ont le sentiment qu’elles ne s’occupent peut être pas assez de leur enfant, alors qu’il faut qu’elles sachent que ce n’est pas le temps passé avec l’enfant qui compte, c’est la qualité du temps qu’on passe avec lui qui est importante. Il faut déculpabiliser les mamans, parce qu’elles sont débordées dans ce monde contemporain.
CM – Que pensez-vous de ces mères américaines qui disent que nous avons la meilleure éducation du monde ?
AB – J’en ai rencontré une, elle était très admirative devant l’éducation française. Ça tournait beaucoup autour des repas, elle disait que les parents français sont vraiment formidables, on mange à l’heure, on est assis à table. Ça fait très plaisir pour les parents français, mais je crois qu’ils ne sont pas tout à fait d’accord avec le fait que c’est facile d’être parent en France. Je crois que ces mamans étaient admiratives de la situation en France, c’est vrai qu’aux Etats-Unis, les enfants sont beaucoup moins attentifs à table, mais en même temps je crois qu’il y a une qualité que l’éducation américaine donne, qui est que les américains savent donner confiance à leur enfant, alors que les parents français sont des parents, qui ont été élevés comme ça, et malheureusement répètent un peu, qui jugent ce qui est pas bien plutôt que ce qui est bien.
Etre parent aujourd’hui, Amour, bon sens, logique, d’Alain Braconnier, éditions Odile Jacob, 22.20€