Tabou : J’ai un enfant préféré

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« 95% des parents ont un chouchou, et les 5% restants sont des menteurs. » Ce sont les mots du scientifique américain Jeffrey Kluger, auteur d’un livre sur le sujet (The Sibling Effect). Une récente étude menée en Grande-Bretagne sur 14 000 familles montrent que dans la majorité des cas c’est l’aîné notre préféré. Et cela pour la simple raison qu’arrivant en premier, c’est lui qui reçoit de facto le plus d’attention, de temps, et d’investissement. D’après Kluger, l’aîné a aussi tendance a être plus intelligent, le cadet, plus sociable, et le benjamin, plus drôle…

 

Une étude a été menée en Grande-Bretagne expliquant que plus de la moitié des parents ont avoué préférer un enfant plus qu’un autre. Selon les experts, ceci n’est pas un problème d’affection, mais de possibilité de partage et d’attention. Nombreux sont les enfants prétendant souffrir du favoritisme de leurs parents envers un autre enfant. Une étude auprès d’anonymes menée en Grande-Bretagne présente des chiffres assez étonnants : 62% des parents interrogés ont avoué préférer un enfant à un autre.

 

Parmi ceux qui ont admis avoir une préférence pour un enfant, 8% ont estimé traiter celui-ci différemment. Aussi, près de 42% des parents expliquant avoir une relation forte avec leurs enfants sont à même d’avoir une préférence parmi leurs progénitures. Dans 25% des cas, ce sont les enfants les plus âgés qui sont préférés car les parents estiment qu’ils peuvent partager plus de choses avec eux comme des activités ou même avoir des discussions. 

« Parce que chaque enfant est différent » 

« La plupart des parents savent très bien qu’ils ne peuvent pas donner la même attention à tous leurs enfants, tout simplement parce que chaque enfant est différent » a expliqué Mark Pearson, qui a réalisé cette enquête, relayé par The Telegraph. Mark Pearson a ajouté que 45% des parents qui ont avoué avoir une préférence ont expliqué ce choix tout simplement par rapport à ce qu’ils arrivent à apporter à leurs enfants. « Cela paraîtra toujours comme immoral d’avouer que vous avez une préférence mais je pense que c’est plus à prendre dans le sens où vous passez plus de temps avec l’un qu’avec l’autre » a précisé Mark Pearson. 

 

Cette étude a été menée sur une totalité de 1 237 parents d’au moins deux enfants âgés au minimum de trois ans. Elle prend la continuité d’une enquête menée en 2009 à Bristol, en Angleterre, qui expliquait que parmi les 14 000 familles interrogées, les enfants les plus jeunes recevaient moins d’attention que les plus âgés. Cette même étude avait été plus loin en expliquant que les enfants qui recevaient le plus d’attention avaient un QI plus élevé.

Le grand tabou

L’année dernière, un blogueur canadien a osé déclaré sur Internet qu’il avait un enfant préféré. « Oui, j’ai un fils préféré et je n’ai pas honte de l’admettre ». « Vous devriez vous regarder dans le miroir et admettre que vous aussi vous avez un préféré. » Le papa de 42 ans explique qu’il ne donne aucun traitement de faveur à son chouchou, son fils aîné de cinq ans, au détriment de Charlie, son fils cadet de deux ans. « Zacharie était un accident mais j’aime croire qu’il nous a choisis avant qu’on ne se choisisse ma femme et moi. » ?? »C’est une chose de penser qu’on a un préféré mais c’en est une autre de le dire haut et fort », a réagi une maman. « Vous ne pensez pas qu’il sera blessé quand il lira ce que vous écrivez? » Le papa se défend: « Je ne regrette pas ce que j’ai écrit. Si Charlie me lit un jour, il comprendra le contexte. » Mais Buzz prévoit tout de même de passer plus de temps avec son petit dernier.

Les réponses de Claudine Paque et Catherine Sellenet, auteurs de « L’enfant préféré – chance ou fardeau ? » aux éditions Belin.

Catherine Sellenet est professeur d’université en Sciences de l’éducation à l’Université de Nantes. Psychologue et sociologue, elle travaille depuis vingt ans sur la famille. Elle est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont Loin des yeux, loin du coeur (Belin, 2010), La médiation familiale (Belin, 2007), L’enfance en danger (Belin, 2006).

 

Claudine Paque a été professeur de littérature et de langues anciennes en lycée pendant vingt ans. Elle enseigne la communication et les métiers du livre depuis 2005 à l’Université de Nantes.

Comment expliquer la préférence pour un enfant par rapport aux autres ?

 

Notre recherche fait apparaitre que les causes sont multiples et s’inscrivent dans l’histoire du couple comme dans celle de l’enfant. Certaines études portant par exemple sur la gémellité et la prématurité montrent que les parents vont investir l’enfant le plus fragile lorsqu’ils sont en situation favorable, mais l’enfant le plus fort en situation de crise.

La préférence est aussi amour du même : Dans les contes, l’enfant préféré est celui qui présente des traits identiques à celui du parent : traits physiques ou traits de personnalité, il est la reproduction en miniature du parent, un miroir teinté de narcissisme. Ce que le parent aime en son enfant est alors la transmission de certaines dispositions physiques, morales et psychologiques. Miroir, miroir, dis-moi, qui me ressemble le plus et qui va pouvoir m’incarner

Enfin, nous ne pouvons méconnaitre le poids de certaines variables : le sexe, la place dans la fratrie, la personnalité de l’enfant, le handicap (un favoritisme de compensation), l’arrivée de l’enfant dans un parcours biographique.

Est-ce une situation qui peut devenir dangereuse ?

 

Oui, dans les cas extrêmes, la préférence peut être un fardeau lorsqu’elle constitue un obstacle à l’expression de Soi, lorsque l’enfant va devoir s’oublier pour correspondre aux attentes parentales. La préférence induit également une dette, l’enfant préféré va devoir, à l’âge adulte, rendre ce qu’il a reçu comme privilèges pendant l’enfance. Parfois également, l’enfant préféré va occuper une place de confident, lourde à porter. Ainsi, la préférence peut à tout moment devenir une prison dorée.

Avoir un « chouchou » signifie l’aimer plus que les autres ?

 

Cela signifie lui donner une place différente des autres et cette différence va s’exprimer par maints avantages que débusque et observe l’enfant non préféré. On trouve par exemple une plus grande proxémie entre l’enfant et le parent, ou si l’on préfère une intimité particulière, un rapproché qui peut devenir étouffant et aliénant. Cette préférence s’exprime aussi dans les qualificatifs, les mots doux adressés à l’enfant préféré, une sorte de langage « amoureux ». Sans compter des avantages affectifs et matériels, une plus grande tolérance, une valorisation excessive de l’élu. C’est en kilomètres, en centimètres que se mesure la préférence, pas seulement sur un plan géographique, on l’a bien compris, mais sur le plan affectif, celle de la géographie des sentiments.

Peut-on vraiment aimer ses enfants de la manière ?

 

On aime chaque enfant différemment ce qui ne veut pas dire que tous les parents privilégient un enfant. Il ne s’agit pas d’aimer de façon indifférenciée mais d’aimer équitablement, en prenant en compte les besoins, les attentes, et la façon d’être de chaque enfant. Il s’agit d’équité et non d’égalité ou d’indifférenciation.

Pourquoi le sujet est-il tabou ?

 

Parce que nous sommes dans une société qui prône l’égalité tant au niveau des héritages (ce qui est juste) ; que des sentiments, au lieu de reconnaître que les humains sont plus complexes. D’où beaucoup de culpabilité pour les parents d’aujourd’hui qui n’osent plus dire que cette préférence existe mais qui néanmoins l’expriment parfois dans leurs gestes, leurs mots, leurs émotions.

Comment faire comprendre aux parents qu’ils ne sont pas pour autant des parents indignes ?

 

Ce livre ne se situe nullement dans une approche moralisatrice ou culpabilisante mais dans une approche compréhensive d’un phénomène qui touche beaucoup de parents. Ces parents ne sont absolument pas indignes. Ce livre vise seulement à donner à chacun des clefs de lecture sur les préférences et leurs effets tant sur l’enfant préféré que sur celui qui ne l’est pas et peut en éprouver une blessure.

Tous les parents ont-ils un enfant préféré ?

 

Non, tous les parents n’ont pas un enfant préféré, ce qui ne fait pas des parents qui ont un enfant préféré des monstres.

Les enfants sentent-ils cette préférence ?

 

Sans aucun doute, qu’ils soient préférés ou qu’ils ne le soient pas. Notre société parle beaucoup de l’enfant jaloux par exemple, mais omet de dire que ce sentiment n’est pas si inné que cela, il est alimenté par les postures des adultes. Les enfants décodent les signes de la préférence, et ceux qui en ont souffert le plus nous montrent que les grandes douleurs sont muettes. La première façon de vivre les différences liées aux préférences parentales est souvent le silence pendant de longues années. Le non-dit protège la cohésion familiale et se taire vaut mieux parfois que d’en parler. Mais la douleur résiste au temps qui passe et à l’oubli, la jalousie ressentie vis-à-vis de l’enfant préféré peut durer des années. Beaucoup d’enfants non préférés nous ont parlé de dévalorisation de soi, d’une quête de reconnaissance qui perdure à l’âge adulte.

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