Les féministes aiment-elles les enfants?

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Le féminisme est-il enfin réconcilié avec la maternité ? Le point avec Yvonne Knibiehler, historienne universitaire spécialisée dans l’histoire des femmes, féministe et auteure de nombreux ouvrages dont « Repenser la maternité » (Panoramiques, 1999).

La maternité et le féminisme dans l’histoire

Côté Mômes : La maternité a longtemps été considérée par le féminisme comme une entrave à la liberté des femmes. Quelles en ont été les conséquences ?

Yvonne Knibiehler : L’ouvrage Le deuxième Sexe de Simone de Beauvoir a marqué le point de départ de ce courant. Il a été lu sous le manteau pendant les années 50 et 60 et c’est au seuil des années 70 que les femmes ont emboîté le pas à cette démarche qui consistait à dénoncer la maternité comme une aliénation, un effort imposé aux femmes souvent contre leur gré. Il s’en est suivi la deuxième grande bataille féministe après celle de la conquête des droits politiques : le droit à disposer de leur corps.
Les femmes ont réclamé avec force et obtenu la libéralisation de la contraception et de l’avortement – sous conditions mais c’était quand même une grande conquête – avec pour effet immédiat l’effondrement du taux des naissances dans les années 70. Mais il y a eu une autre conséquence : dès 1975, les femmes se sont rendu compte que la maternité pouvait être un privilège puisque les hommes en sont éternellement privés.
Mettre au monde un enfant, ça pouvait être marquer une différence qui a des côtés positifs si c’est une maternité choisie. Elle était alors décrite comme un épanouissement narcissique du moi féminin. Je choisis de mettre un enfant au monde pour me faire plaisir, avec les effets pervers que l’on sait.
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Maternité et féminisme : des efforts à fournir

CM : Vous avez récemment écrit un ouvrage baptisé « Repenser la maternité » où vous soulignez l’enjeu important de la maternité pour l’épanouissement d’une femme. Féminisme et maternité vont-ils  enfin se réconcilier ? Quelles sont les nouvelles batailles du féminisme en ce domaine ?

YK : Tout le mouvement du planning familial qui est un mouvement sociopolitique très important est encore très en alerte, estime que l’avortement est encore trop difficile en France, que la contraception n’est pas assez bien enseignée aux jeunes dans les collèges. Il y a donc encore, à raison je pense, des conquêtes à élargir dans ce domaine.
Mais je crois que, dans le même temps, il faudrait aussi aider les femmes qui choisissent d’être mères à l’être dans les meilleures conditions, pas à y renoncer contre leur gré. Et les féministes ne se sont pas encore mobilisées dans ce sens. Ce qui me choque, c’est que l’on entend très souvent parmi les femmes qui demandent une IVG « je n’ai pas le choix », souvent pour des raisons économique… Alors, où est la liberté si l’on n’a pas le choix ? On ne s’occupe pas assez de ce phénomène.
Il faut enfin en prendre la mesure et se dire que si une femme désire un enfant, qu’elle n’en a pas encore, il est intolérable que la société lui refuse.

Le clivage père/mère demeure

CM : Même si chacun s’accorde sur la parité dans le discours, dans les faits, les femmes qui choisissent d’avoir des enfants restent pénalisées dans leur travail par rapport aux hommes et continuent à assumer plus de tâches ménagères qu’eux… La féministe que vous êtes a-t-elle des solutions à proposer ?

YK : Les hommes se déresponsabilisent des enfants. Ils se déresponsabilisent aussi de l’avortement. Ils pourraient être beaucoup plus prudents et plus attentifs pour, eux aussi, éviter que leur compagne ne soit enceinte si cette grossesse n’est pas voulue. Et puis, pour un homme, se valoriser, c’est essentiellement réussir dans son métier, ses amitiés, ses performances sportives. C’est se valoriser lui-même, pas se consacrer à des enfants. Ce penchant est originel, il remonte aux débuts de l’humanisation.
Le premier moyen pour faire bouger cela serait que les femmes en parlent entre elles, ce qu’elles ne font pas. Où les femmes se réunissent-elles pour réfléchir ensemble à trouver des solutions ? Nulle part. Il existe des associations de toutes sortes, il n’en existe pas qui se vouent à ce genre de réflexion, auxquelles d’ailleurs on pourrait associer les hommes. Beaucoup d’entre eux sont très bien disposés à l’égard des femmes mais ils sont dans une société qui les pousse à se qualifier à titre personnel et non pas à travers leurs enfants. Autrefois, c’était pareil. On choisissait un précepteur, une nourrice, etc. Mais ce n’était pas le père lui-même qui s’occupait d’élever les enfants. Il déléguait.
On pourrait très bien s’inspirer de cette solution. Si la femme veut être libre et que l’homme ne s’implique pas, il faut trouver un « troisième larron ». Autrement dit, développer des formes sociales d’élevage et d’éducation des enfants. Il faut que le choix dans les solutions de garde soit beaucoup plus large et beaucoup plus souple et que ces métiers qui tournent autour de l’enfant soient estimés, valorisés et correctement payés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et qui, d’ailleurs, dévalorise totalement la maternité. Il faut valoriser l’éducation des enfants, quitte à la faire assumer par des spécialistes.
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Féminisme, avortement et contraception

CM : La contraception, la procréation médicalement assistée, l’avortement… Autant de  moyens qui permettent plus que jamais de choisir sa maternité, de « gérer » ses enfants comme on gèrerait une carrière… Dans quelle mesure ce libre choix constitue-t-il un progrès ? N’y-a-t-il pas un risque de « gadgetisation » des enfants ?

YK : Pour la femme en tout cas, c’est un bien. Je pense que l’on ne peut pas trouver d’inconvénient grave à cette liberté de choix… Sauf évidemment si la femme est solitaire, pas dans de bonnes conditions pour mettre un enfant au monde et qu’elle en souffre. Pour ce qui est de l’enfant, cette liberté de choix a été très contestée, non sans raisons valables. Un enfant qui est programmé est la plupart du temps surinvesti et quelquefois mal investi.
Il peut en effet devenir un enfant objet pour la mère. Quand une femme fait un choix narcissique, elle pèse d’avance sur la liberté de son enfant. Il n’est pas perçu comme un être humain indépendant mais comme une satisfaction pour sa mère. Or, arriver à élever des enfants en bonne santé physique et morale, c’est le plus important. Faire des enfants heureux, c’est le seul critère. Moi je n’en veux pas d’autre.

Même aujourd’hui, les femmes doivent rester vigilantes

CM : La plus grande victoire du féminisme ne serait-elle pas de disparaître parce que l’on n’aurait plus besoin de défendre les femmes ?

YK : Il me semble que ce n’est pas possible. Tout simplement parce que la domination masculine est un phénomène inévitable qui s’adapte à tous les contextes, qui se construit et se reconstruit sans cesse parce qu’il a des fondements inconscients très puissants. Les hommes se sentent inférieurs aux femmes de deux manières : d’abord parce que ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde, les enfants des deux sexes.
Donc, pour se reproduire en tant que mâles, les hommes sont obligés de passer par les femmes. Ils ont le désir de dominer la procréatrice, de vérifier quels enfants elle va faire et avec qui… La deuxième raison, c’est que nous ne sommes pas des mammifères ordinaires, ce n’est pas l’instinct génésique qui nous pousse à nous reproduire, c’est l’attrait réciproque. Chez nous, l’instinct génésique est érotisé.
Nous subissons l’attrait de la personne de l’autre sexe jusqu’à des sentiments très forts, jusqu’à des passions violentes. Les hommes se sentent séduits par les femmes et tout le mythe d’Eve par exemple explore ce thème-là. Les hommes se sentent dominés par la séduction des femmes et ils sentent qu’ils perdent leur liberté… Là aussi, il faut dominer pour ne pas être dominé. La domination masculine s’enracine dans des fonds trop riches, trop importants pour qu’elle puisse disparaître.
On ne peut pas supprimer le féminisme en ce sens qu’il faut veiller au grain même si cet instinct de domination n’est ni conscient ni volontaire chez les hommes. Il faut donc veiller à ce que ils se sentent forts, sinon ils ont peur, mais en même temps veiller à ce qu’ils n’abusent pas de leur force. Il faut une vigilance féministe perpétuelle mais qui ne prenne pas la forme d’une hostilité. Il faut garder de bonnes relations avec les hommes, c’est aussi la condition à notre bonheur !

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