Venir aux mondes

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Pour de nombreux peuples, la naissance d’un bébé se prolonge à travers des soins à l’enfant et à sa mère, des rituels de bienvenue et de lutte contre le mauvais œil, des cérémonies de reconnaissance sociales et religieuses. C’est parti pour un tour du monde, non exhaustif, de l’accueil du nouveau-né, dont vous vous inspirerez peut-être…A leur arrivée au monde, des coutumes pour le moins déroutantes attendent certains bébés.

Ainsi, dans son film Le Premier Cri, Gilles de Maistre montre comment au Kenya, les femmes Massaï balancent sur le nouveau-né  à peine sorti du ventre maternel moult crachats et drôles de compliments, du genre « qu’il/elle est laid(e) ! » « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, dire l’opposé de ce qu’on pense est la plus belle des politesses », écrit Marie-Claire Javoy dans le livre tiré de ce film. Au Maghreb également, on ne fait pas de compliments au bébé sous peine de lui jeter le mauvais œil.

Au Vietnam, on marque le nouveau-né au front avec du rouge à lèvre (autrefois de la suie), on l’enlaidit pour éviter que les esprits malveillants ne le remarquent, nous apprenait l’exposition Naissances : gestes, objets et rituels (Musée de l’Homme, 2006-2007).

De même, chez les Aborigènes, en Inde, en Kabylie ou au Soudan, on expose le bébé à la fumée pour le rendre plus fort, le purifier et le protéger des mauvais esprits… qui pourraient être attirés par sa douce odeur ! Mais parfois, les rituels de protection ne suffisent pas, il faut des objets.

Dans son livre Les peuples premiers (Larousse, 2008), Jérôme Bimbenet explique que les peuples sibériens cousent deux oreilles de renne sur le bonnet pour le protéger l’enfant des mauvais esprits. Au Moyen-Orient, une perle bleue ou une pierre bleue (un lapis-lazuli, par exemple) sera épinglée ou mise au bout d’une chaîne, parfois sous la forme d’un œil, pour réfléchir un regard malfaisant. Au Maghreb, le bijou représentera la main de Fatma. A chacun son porte-bonheur…

Cerner, influencer l’avenir du bébé

« Certaines ethnies, comme les Wolofs du Sénégal, sont persuadées que les premières paroles prononcées au nouveau-né auront un impact considérable sur sa vie future : les aînés lui prédisent alors tout un avenir fait de puissance et d’argent », explique Isabelle Levy dans Croyances & Laïcité (Estem, 2002).

 

La famille questionne le bébé sur sa vie antérieure et sur ses intentions dans sa vie présente afin de fixer son identité, car l’enfant est perçu comme doué d’une grande faculté de compréhension, presque comme un voyant !

 

Les sages-femmes du sud algérien vont énumérer à l’oreille du nouveau-né tous les dangers qu’il peut rencontrer sur terre, explique René Frydman dans son dernier livre, Le secret des mères. Il raconte aussi que chez les Soussous de Guinée-Conakry, le griot mâche une noix de kola et du gingembre et recrache le tout dans la bouche du bébé pour lui communiquer ses dons oratoires.


De même, au Moyen-Orient, les parents désignent une personne de l’entourage qu’ils estiment avoir de la prestance et du verbe pour badigeonner, avec un doigt trempé dans du miel, la bouche du bébé : ainsi ses qualités sont censées se transmettre, et on souhaite au bébé que sa vie soit aussi douce et suave que le miel…

C’est dans le même esprit qu’on fait goûter une première datte au nouveau-né maghrébin.

En Asie, l’heure précise de la naissance est notée, et très vite on ira voir un astrologue pour établir l’horoscope déterminant tous les grands moments de la vie de l’enfant. Le psychiatre Cân-Liêm Luong indique que si le bébé est né sous un signe néfaste, qu’il pleure souvent, dort mal, bref qu’il est « difficile à élever », on pourra toujours le confier à un génie tutélaire, ou à Bouddha, lors d’un rituel à la pagode.

Toilette, massage, purge, emmaillotage…

Chaque maman du monde a ses trucs pour la beauté et la santé de son bébé, mais plusieurs pratiques sont communes à la plupart des ethnies, comme le bain rituel. Dans le très beau livre de Claire d’Harcourt et Béatrice Fontanel, Bébés du monde (La Martinière, 2006), on voit que chez les Touareg, il a lieu au moment de la cérémonie du 7e jour (voir plus bas) : trois femmes mettent des crottes de chameau dans le premier bain du nouveau-né !

En fait, il s’agit ainsi de lui souhaiter prospérité sous forme de bétail et de lui transmettre le métier de pasteur nomade. En Afrique Noire, ce sera une seule femme, le plus souvent la mère ou la grand-mère, qui lavera l’enfant vigoureusement, avec de l’eau contenant diverses substances purificatrices et fortifiantes.

Mais Lise Bartoli précise dans Venir au monde (Petite bibliothèque Payot, 2007), que chez les Bakoués de Côte d’Ivoire, le bain sera donné par une femme qui n’a pas eu d’enfant, afin qu’elle puisse devenir mère à son tour…

La plupart du temps, le bain est suivi de massages : ainsi, chez les Dogons du Mali, on «défroisse » le bébé. Dans toute l’Afrique de l’ouest, la toilette du bébé se fait au beurre de karité, plus ou moins affiné, artisanal ou industriel.

Cette graisse est utilisée pour le massage-modelage du corps, les soins du cordon, ou donnée à boire en petite quantité pour purger l’intestin.

Au Maghreb, on utilisera du henné mélangé à de l’huile d’olive pour masser le bébé, rendre sa peau lisse et endurcir son corps, et de la poudre d’antimoine (khôl) pour désinfecter ses yeux et lui donner un « vrai regard arabe ». Cân-Liêm Luong rapporte qu’au Vietnam, dès les premiers moments, la mère (ou la grand-mère) trace la ligne des sourcils avec la queue de la feuille de bétel « afin de dessiner la beauté future du visage et donner les traits visibles de la personnalité de l’enfant ».

Elle caressera ensuite son visage par des mouvements de lissage et massera son corps pour affermir les muscles et concilier les parties molles et dures avec leurs enveloppes. Du jus de citron sera utilisé pour désinfecter les yeux…

L’emmaillotage est aussi très courant d’un bout à l’autre du monde, chez les Inuits comme chez les Mayas du Mexique. Muriel Bonnet del Valle, auteur de La naissance, un voyage (L’Instant Présent, 2001), raconte comment ces derniers emmaillotent ainsi l’enfant « car des mains baladeuses risqueraient d’en faire un voleur » !

L’accouchée : la protéger et se protéger d’elle

Dans les sociétés traditionnelles, les jours qui suivent la venue au monde sont très particuliers : le nouveau-né comme la nouvelle mère sont à la fois en danger et dangereux, car encore marqués par la souillure et l’épreuve de l’enfantement.

L’accouchée doit restée recluse, au chaud, à l’abri des vents, des mauvaises langues, du mauvais oeil, afin de se reconstituer, de se purifier et d’allaiter. Elle suit un régime particulier et ne doit s’occuper de rien hors de son bébé.

Et parfois le père aussi ! C’est la fameuse couvade post-natale, décrite en détail par Muriel Bonnet del Valle en voyage en Amazonie. L’exposition Naissances montrait que la durée de la réclusion varie énormément d’une ethnie à l’autre : de trois jours à deux mois, voire plus, et souvent autour de 40 jours (chez les Tziganes, en Algérie…).

Mais parfois les délais ne sont pas respectés, surtout si la femme doit retourner aux champs ou au marché.

Dans les pays du Maghreb, les premiers repas consistent en un bouillon très pimenté pour purifier le corps, le laver et le réhydrater. Il comporte aussi de la viande grasse, du miel et du beurre pour que l’accouchée se reconstitue. Pendant toute sa réclusion, la jeune mère ne mangera que des plats spécialement préparés pour elle, apportés dans un récipient de terre cuite, protégés par un couvercle afin d’éviter que les esprits malins ne s’y glissent.

L’allaitement : un régime à part


Au Vietnam
, on privilégiera des ingrédients yang : gingembre, poivre ou piment, qui réchaufferont le corps. L’accouchée devra, quelle que soit la température extérieure, protéger les parties sensibles de son corps contre les agressions extérieures : froid, lumière, bruit et mauvais esprits.

Muriel Bonnet del Valle indique que chez les hindous, après la naissance, le père entoure la maison de branches à protection magique et arrose la chambre de grains de riz pilé. Il suspendra ensuite des sachets remplis d’herbes protectrices dans la chambre, autour du cou de sa femme et de son enfant, ainsi que dans les instruments de cuisine et la jarre d’eau.

La période de réclusion peut alors commencer : dix jours d’un régime de lait et de plantes, puis trente jours où la jeune mère peut progressivement abandonner son régime, se baigner et se laisser masser.

Chez les Mayas, au troisième jour et pour favoriser la lactation, la maman prendra un bain d’herbes spéciales et boira de l’eau de riz. Là aussi, pendant sa réclusion, les aliments « froids » lui sont fortement déconseillés : sa diète est à base de maïs, de tortillas, de haricots, de bouillons de viande et de poulet.

Enfin, Lise Bartoli montre comment la fin de la réclusion est marquée par des rites de purification : nettoyage de la pièce de fond en comble, sacrifices, prières, première sortie au hammam, première lessive… « Le plus souvent, les rites de sortie de la mère coïncident avec les rites d’intégration du nouveau-né », conclut-elle.

La naissance sociale

Poser les pieds du bébé au sol (une première fois à la naissance puis une deuxième après la réclusion : au Togo, au Mali, en Indonésie…), lui faire faire le tour de la case, lui faire visiter les pièces de la maison, lui mettre des vêtements neufs, lui raser la tête… et enfin lui donner un nom : des rites à foison !

Au Maghreb, le 7e jour, les amis, les voisins sont invités à se rassembler dans la maison du nouveau-né. En souvenir d’Ibrahim, prêt à sacrifier pour Dieu son fils Ismaîl, le père égorge un mouton (aujourd’hui le plus souvent il va chez le boucher) et, devant l’assistance, un homme pieux et respecté ou le père lui-même réalise la tasmya : il donne, au nom de Dieu, un prénom à l’enfant.

Par cette cérémonie, l’enfant prend place dans une lignée, une société, dans la fidélité à Dieu qui le protège. Jérôme Bimbenet écrit qu’en Nouvelle-Guinée, en revanche, le petit garçon n’entre en contact avec le monde des hommes qu’au moment de son initiation, rite qui sépare définitivement les garçons des filles (tout enfant est considéré jusque-là de sexe féminin).

Le statut d’homme et de guerrier lui est conféré lorsqu’il atteint environ 6 ans : il est alors autorisé à porter l’étui pénien. De son côté, en Inde, au bout du dixième jour après la naissance, le père, en accord avec les astres, donne un nom à son enfant déclaré alors « deux fois né ».

Quant aux Massaï, ils ne donnent pas de nom au bébé pendant quatre mois, « le temps de voir si l’enfant va vivre, car s’il meurt avec un nom, ce n’est pas beau ». A quatre mois, il aura un surnom, et devra ensuite attendre ses 14 ans pour avoir un prénom d’adulte…

Le choix du nom est une cérémonie à lui tout seul : choisi par un sage, un marabout, en fonction du Coran, d’un ancêtre, du jour de la naissance, des circonstances de l’accouchement, de la place de l’enfant dans la famille, etc.

Lise Bartoli rapporte la plus jolie coutume : chez les Inuits du Groenland, la mère ou la sage-femme chuchoteront plusieurs prénoms à l’oreille du nouveau-né : s’il crie ou qu’il pleure, c’est que celui-ci ne lui convient pas, mais s’il s’apaise et s’endort, c’est qu’on a trouvé le bon… Une idée si vous vous retrouvez un jour en panne de prénom !

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