L’accueil des jeunes enfants est-il menacé ? C’est ce que dénonce un collectif de professionnels de la petite enfance, résolus à ne pas laisser le gouvernement dégrader le service public.
« Les bébés ne sont pas des sardines ! ». C’est sous ce cri fort que se réunit depuis quelques mois le collectif Pas de bébé à la consigne. Il regroupe un grand nombre de syndicats et d’association de professionnels de la petite enfance.
Leur but : obliger le gouvernement à faire machine arrière sur un projet de décret réglementant les modes d’accueil des jeunes enfants, deux ans seulement après le décret déjà contesté de février 2007.
L’accueil en crèche face à la crise
En novembre dernier, Nadine Morano, secrétaire d’état chargée de la famille et de la solidarité, annonce des mesures fortes pour stopper le manque chronique de places de crèche en France. Revers de la médaille de la forte natalité française, bien des parents se retrouvent sans solution pour garder leur enfant lorsqu’ils reprennent le travail : il manquerait près de 300 000 places chaque année.
Une mesure irréalisable ?
Afin de remplir sa mission en un temps record, le gouvernement propose donc des mesures d’urgence. Pour Noelle Buton, présidente de la Fédération Nationale des Associations pour la Petite Enfance, « il faut créer des places, mais pas pour autant bâcler le travail. Toutes les mesures proposées sont ridicules ». La plupart des associations dénoncent en effet un programme pratique pour faire illusion, mais qui n’aurait qu’une seule finalité : faire le plus d’économies possible.
La mesure la plus contestée consiste à autoriser un adulte à s’occuper de douze enfants au lieu de huit actuellement. Une mesure permettant d’accueillir plus d’enfant sans pour autant créer de postes supplémentaires, la grande peur du gouvernement, comme l’indique Mme Buton : « Le gouvernement cherche à tout prix à réduire les financements. Mais dans le domaine de la petite enfance, on est déjà à la limite. La seule chose qu’on peut encore réduire, c’est le personnel, qui représente 80% des coûts de fonctionnement ».
Christophe Harnois, membre de l’UNSA petite enfance et cofondateur du collectif Pas de bébé à la consigne, dénonce lui l’impossibilité de travailler dans ces conditions : « Un éducateur pour huit enfants, c’est déjà difficile. Mais avec un pour douze, on ne peut plus travailler. La mission d’éveil est complètement supprimée. La seule activité collective qu’on peut encore faire pratiquer, c’est la sieste ».
Le problème du personnel qualifié
Autre mesure sévèrement contestée, le taux de personnel dit qualifié petite enfance travaillant au sein des équipes. Aujourd’hui pour fonctionner, que ce soit en crèche ou en halte garderie, le personnel doit être composé d’au moins 50 % de personnels qualifiés, à savoir des éducateurs spécialisés, des infirmières pédiatriques ou des auxiliaires de puériculture. Nadine Morano souhaite faire passer ce taux à 40%.
Une mesure critiquée dès son annonce et donc pour l’instant gelée. « Alors elle a trouvé une parade ! » s’indigne Noelle Button : transformer du personnel non qualifié en personnel qualifié. Aujourd’hui, les équipes sont en partie complétées par des CAP petite enfance. Une fois le nouveau décret validé, les CAP seront considérés comme personnels qualifiés, sans pour autant passer de formation supplémentaire ni de test d’aptitude.
« Le principal problème, c’est la formation » commente Christophe Harnois. Du côté du gouvernement, on explique la volonté de faire baisser le taux de personnel qualifié par le fait qu’il n’y a pas, aujourd’hui, suffisamment de personnel qualifié formé pour créer les places nécessaires. Pour les syndicats, il faut tout simplement favoriser la formation : « La pénurie de personnel spécialisé, c’est vrai, mais c’est avant tout la faute du gouvernement ! Les moyens alloués à la formation baissent chaque année. Pour former une auxiliaire de puériculture, il ne faut plus qu’un an : c’est là qu’un plan d’urgence doit être mis en place ».
Pas de bébé à la consigne s’inquiète principalement du sort des crèches et des centres d’accueil de province. Le personnel des centres d’accueil petite enfance sont à la charge de la commune. A la mairie de Paris, on annonce d’emblée que le nouveau décret ne sera pas appliqué : les crèches tournent aujourd’hui à un éducateur pour 5 enfants en moyenne. Mais dans les petites communes débordées par les demandes, ce taux pourrait vite augmenter…
Nouveaux modes de garde
Pour faciliter le travail des parents, perdus entre les différents modes de garde, le gouvernement vient de créer un site : www.mon-enfant.fr. On peut y trouver l’ensemble des solutions existantes… ou à venir !
La proposition qui fait le plus débat est la création, à titre expérimentale pour l’instant, de jardins d’éveil. D’ici à 2012, 8000 places dans ces nouveaux centres devraient être ainsi créées.
Le jardin d’éveil est destiné aux enfants de deux à trois ans, qu’ils soient propre ou non. Les structures accueilleront idéalement 24 enfants (un surnombre est déjà prévu), au moins 200 jours par an, de 8h à 18h. Le projet peut être lancé à l’initiative d’une commune, d’une association à but non lucratif, d’une association de parents ou d’une entreprise.
Le gouvernement parle d’un projet social, facilitant ou garantissant l’accès aux enfants des familles connaissant des difficultés particulières. Mais il est également porteur d’un projet pédagogique : il doit permettre à l’enfant de recevoir un accompagnement personnalisé, d’apprendre à découvrir son environnement, le langage, et à le préparer à l’entrée en maternelle.
En effet, le milieu scolaire, peu adapté à l’enfant de deux ans, nécessiterait un apprentissage, une phase de transition. Le jardin d’éveil permettrait de passer ce palier et pourrait favoriser, plus tard, une bonne réussite scolaire. Pour favoriser la transition, ces jardins d’éveil pourraient être accolés aux locaux des écoles maternelles.
Une hérésie pour les professeurs de maternelle, qui dénoncent les jardins d’éveil comme une nouvelle forme de concurrence pour une maternelle déjà en crise. D’après un directeur d’école, le gouvernement souhaite tout simplement, à long terme, supprimer l’école maternelle : « Depuis 2000, 68 000 places de maternelle ont été perdues. Les jardins d’éveil ne sont pas un complément mais un concurrent direct à l’école. La différence, c’est qu’ils seront payants ! ».
Les jardins d’éveil seront en effet payants, avec un cout indexé sur les revenus des parents à raison de 42,5 euros par mois pour des parents ne touchant qu’un SMIC. C’est moins cher qu’une nourrice, mais c’est plus cher que l’école, gratuite : à terme, le jardin d’éveil pourrait se muer en forme de maternelle privée, voir remplacer la petite section. Une possibilité néanmoins peu crédible pour Noëlle Button : « On ne supprimera jamais l’école ».
Un accueil au rabais
Ce que dénonce Pas de bébé à la consigne, c’est la dérive « low cost » que représente les jardins d’éveil. Dans le décret comme il est actuellement prévu, un adulte peut s’occuper de 12 enfants. Un test grande échelle pour des futurs centres à personnel réduit.
Des parents partagés
Du côté du collectif, pas de doute : tout le monde est derrière eux ! Défendant un service public de qualité, ils se disent très soutenus par les familles, conscientes de la difficulté de leur travail. « Le domaine de la petite enfance est très respectueux de la loi. Si un mauvais décret passe, nous l’appliquerons : c’est maintenant qu’il faut se battre ! » revendique Christophe Harnois.