Le père, ce modèle ancestral, a perdu un peu de sa superbe ces dernières décennies. Le pouvoir absolu n’est plus de mise, ni légalement, ni dans les faits. Il n’empêche, pour beaucoup d’enfants, papa reste le plus beau et le plus fort. Certains bambins vont même jusqu’à pousser l’imitation un peu loin. Témoignages…
Mon père, ce héros ?
« L’ignorance des enfants, dans le cerveau desquels rien n’est encore imprimé et qui n’ont aucune habitude, les rend souples et enclins à imiter tout ce qu’ils voient » disait Fénelon. Quelques années plus tard, Gabriel Compayré, professeur de pédagogie bien connu au XIXème siècle, écrivait que les enfants étaient enclins à imiter ceux pour qui ils éprouvaient de la sympathie, a fortiori si ils devaient obéissance à ces êtres : « Dans la famille, même aux temps primitifs, lorsque l’autorité paternelle était un pouvoir absolu, fondé sur la crainte plus que sur l’amour, le père était l’infaillible oracle et le souverain roi de l’enfant : pour cette raison, il était son modèle supérieur » soulignait-il.
Aujourd’hui, si l’on est loin du pouvoir absolu des pères, qui ont parfois à se battre pour être respectés autrement que comme simples géniteurs, la fascination qu’ils exercent sur les enfants reste bel et bien vivante. Que leurs fils les prennent comme modèles au point de vouloir devenir ce qu’ils sont ou qu’ils s’appuient sur ce modèle pour mieux le rejeter, le père fait toujours office de maître absolu de l’éducation. Quand la mère est toujours vue comme la figure d’attachement principale qui donne de l’amour, le père est justement celui qui va permettre à l’enfant de s’élever. Le père, c’est le « perturbateur » qui va casser le lien fusionnel entre la mère et son enfant pour faire appliquer la loi, autrement dit faire intégrer aux enfants dès règles de vie, des interdits.
Toutes les mamans, même divorcées, ont un jour à bout de nerfs fait référence au père – aujourd’hui parfois au beau-père – pour se faire respecter : « Si tu ne m’écoutes pas, tu auras à faire à ton père » ! Et même le plus doux des papas semble avoir gardé ce rôle supérieur. Papa, c’est celui qui sait… En tout cas, c’est celui qui a le dernier mot. Un rôle enviable que bien des petits garçons ont hâte de tenir. Parfois au point de tellement imiter papa que c’en est trop ! Côté Mômes a recueilli les témoignages de mamans et de papas qui vivent avec des bouts de choux qui n’ont d’yeux (Dieu ?) que pour papa !
« Mon fils ne vit que pour le foot… avec papa ! » Christelle, 28 ans, mariée, 1 enfant
Kevin a cinq ans. Depuis quelques temps, il refuse de s’habiller autrement qu’en footballeur, chaussettes, slip, maillot… Et chaussures à crampons comprises. Pas facile quand on va à la maternelle où d’ailleurs il est prié de passer la journée en chaussettes. Et tant pis pour la récré : il préfère rester dans la classe pendant que ses camarades jouent dehors puisqu’il refuse de mettre des chaussures normales ! Sa mère a tout essayé : le dialogue, la fermeté. Rien n’y fait. Pour éviter la crise, elle va dans son sens, en se disant que ce n’est pas si grave et n’achète ses vêtements que dans des magasins de sport, histoire de compléter la collection de maillots si nombreux déjà qu’ils pourraient habiller trois équipes de foot.
La faute à qui ? « A son père, un obsédé du foot, qui entraîne son fils dans les matchs depuis qu’il a deux ans et pour qui le foot est une religion. Je comprends qu’il soit fier de son fils et que cette fierté soit partagée, mais là, trop, c’est trop. On en arrive à un stade où tout dialogue qui ne tourne pas autour du foot est impossible avec mon fils. J’espère que ça lui passera » dit sa maman, visiblement épuisée et qui se sent « abandonnée, presque inutile! J’ai l’impression que mon fils est un clone de mon mari, ou l’inverse d’ailleurs, je ne sais plus très bien»
« Paul voit son père comme un Dieu… Impossible d’entrer dans ce duo parfois infernal » Jacqueline, 31 ans, 2 enfants
Paul est syndicaliste, fervent défenseur du droit de grève, en première ligne à toutes les manifs. Son fils, Martin, 8 ans, est de tous ces défilés, fier comme Artaban auprès de son héros de papa qui lui inspire toute l’admiration du monde. Se battre pour la défense des plus pauvres, être sur tous les fronts pour affirmer ses convictions : loin de trouver cela ennuyeux, Martin y voit de quoi bâtir des rêves. Lui aussi voudrait bien être un héros, un vrai, à l’heure où ses camarades de classe se contentent des exploits d’un virtuel Spiderman.
Quand papa se lève à cinq heures pour être fin prêt pour une grande journée de protestation, Martin lui emboîte le pas. Il a déjà une idée très arrêtée de qui sont les bons et les méchants. Sa maman a beau essayé d’exercer son sens critique, Martin lui rétorque immanquablement que « de toute façon, papa a toujours raison ». Ce qu’il veut faire plus tard : « comme papa, tout comme papa ». Et si sa maman trouve que son fils, au moins, n’a pas le nez toute la journée dans une console de jeu, elle s’affole un peu quand il revient de l’école avec un œil au beurre noir parce qu’un petit copain n’est pas d’accord avec lui sur ses convictions politiques ! Et puis elle se demande si cette admiration sans bornes pour son père n’empêche pas son fils de penser par lui-même, de développer sa personnalité propre.
« Je ne supporte pas l’admiration de Tom pour son père. Il lui ressemble trop » Virginie, 32 ans, 1 enfant
Virginie est divorcée. Son petit Tom, 7 ans, vit une semaine sur deux chez son papa. Quand c’est le tour de sa maman de l’avoir avec elle, elle a l’impression d’avoir « tout le boulot à refaire ». Il arrive habillé comme lui, casquette en arrière, pantalon dix fois trop grand et intonation de la voix limite. Il se comporte comme un petit macho qui me donne des ordres et, dès que je lui demande de se tenir correctement à table, par exemple, il me rétorque que papa, au moins, ne l’embête pas avec ça et qu’il a bien raison parce que ça sert à rien ! Son insolence, sa façon de se moquer de tout, cette faculté à ne rien écouter : je retrouve tout son père en lui. La moindre mimique, les tics de langage, même son sourire : Tom est son père tout craché. Et j’avoue que parfois j’en veux secrètement à ce petit bonhomme parce qu’il fait ressortir, par sa ressemblance en toute chose, tous les ressentiments que j’ai vis-à-vis de son père. C’est un sentiment terrible et j’en suis arrivée à me dire qu’il fallait absolument que je consulte un psychologue, pas pour lui mais pour moi. Parce que je n’arrive pas, du coup, à vivre sereinement avec mon fils qui est pourtant globalement mignon et que je l’aime très fort».
« Le petit garçon que je garde ne lâche pas mon mari d’une semelle » Françoise, assistante maternelle, mariée 2 enfants
« Je garde un petit de 3 ans, je suis assistante familiale et ce petit considère mon mari comme son papa. Il n’a pas connu le sien. il suit mon mari partout, il regarde tout ce qu’il fait et ensuite nous le voyons faire pareil, que ce soit dans la maison ou dehors. Je trouve très bien pour cet enfant d’avoir une figure masculine à laquelle se référer car il en a de besoin. Il passe toute la journée avec moi mais un « père » est nécessaire pour qu’il puisse bien se construire. Dès que mon mari est là, je lui laisse ma place auprès du petit car je considère qu’un enfant a besoin des deux partis pour avancer dans la vie. Et dans le cas de cet enfant, il n’y a pas d’autre figure paternelle à laquelle se référer. Les enfants doivent recevoir une éducation de la mère et du père car autrement ils sont « bancales », il leur manque un point d’équilibre. »
« Mon fils se prenait pour moi», Benoît, en couple, 39 ans, 4 enfants
« Quand mon fils est né, j’étais fier comme tout. C’est idiot mais après avoir eu trois filles, j’espérais bien que cette fois un garçon naîtrait. Je viens moi-même d’une fratrie de cinq frères et il m’était quasiment impossible d’imaginer ne pas être papa d’un garçon un jour, même si mes filles me rendaient très heureux aussi. Mais bon, l’arrivée de Gabin, ça m’a fait autre chose. Dès qu’il est sorti du ventre de sa mère, j’ai été frappé de sa ressemblance avec moi. C’était moi en bébé, je vous assure ! Incroyable mais vrai. Et puis à cette époque, j’étais entre deux vies professionnelles, j’avais beaucoup de temps à passer à la maison. Alors, je me suis surinvesti dans cet enfant – peut-être trop ? -, m’occupant de tout, le bain, les biberons, les courses avec lui dans mon porte-bébé, les réveils la nuit… Et puis j’ai recommencer ma vie professionnelle, une vie passionnante mais où je suis beaucoup moins à la maison, souvent parti quelques jours d’affilée. Et là, ça a été très difficile pour ma femme parce que, pour le coucher du soir, pour aller à l’école, mon fils me réclamait, piquait des crises. Elle qui était si amusée de notre connivence a commencé à vivre une espèce d’enfer avec Gabin, 6 ans, qui se comportait comme s’il était moi. Il ne voulait plus dormir dans son lit mais à ma place auprès de sa maman, ne lui parlait que de moi, prenait des poses et des attitudes d’adulte. Il disait à ma femme : « Tu sais, Catherine – il ne l’appelait plus maman -, il va falloir régler ce problème rapidement ! » ou bien « Au fait, chérie, tu as pensé à payer le loyer ? ». Ca peut paraître rigolo comme ça mais c’était complètement décalé et pas normal du tout. Notre fils s’assimilait à moi et, sans s’en rendre compte, portait un fardeau bien trop lourd pour lui. Dès que j’en ai trouvé le temps, nous avons fait une thérapie familiale et depuis, les choses vont beaucoup mieux… Même si j’appelle toujours mon fils ma glue ! »