Un peu, beaucoup, passionnément… Certains parents s’inquiètent de voir leurs enfants un peu trop absorbés par les écrans. Qu’en est-il réellement ? Cette dépendance aux jeux vidéo, à la télé ou à la gameboy est-elle une menace pour leur équilibre ? Analyse d’une mécanique avec le docteur Jean-Claude Matysiak, psychiatre et chef de service de la consultation d’addictologie de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges.
Jean-Claude Matysiak : Nous sommes tous dépendants naturellement d’éléments indispensables à notre vie. L’alimentation, l’air que nous respirons sont autant d’éléments indispensables à notre survie.
Parfois, nous devenons dépendants d’autres besoins que nous nous créons.
Ainsi, suivre un feuilleton télé pour certains, faire un loto toutes les semaines pour d’autres sont des habitudes tenaces. Ils en sont dépendants, au point de ressentir déjà un certain malaise s’ils loupent un épisode ou oublient de faire leur grille hebdomadaire.
L’addiction est tout autre chose. Cela débute en général par cette même dépendance mais la conduite envahit progressivement toute la vie de la personne. Elle ne peut plus s’en passer et souffre de ne pouvoir s’arrêter. On parle alors des addictions avec drogues comme:
- les drogues illicites (héroïne, cocaïne, cannabis, ecstasy),
- les drogues légales (alcool, tabac)
- ou les drogues prescrites telles les médicaments psychotropes.
Mais on constate également des dépendances pathologiques sans drogues comme les addictions aux jeux d’argent, aux jeux vidéo, au sexe, aux achats, à l’alimentation. Les addictions sont en quelque sorte la frange pathologique de nos dépendances courantes.
La relation mère-enfant, une première addiction
Comment naît la dépendance… Dans votre ouvrage « Accros à l’écran », vous évoquez le « conditionnement » à la dépendance dès 18 mois…
Vers 18 mois, c’est la qualité du lien avec la mère qui déterminera la suite des choses quant aux éventuelles dépendances adolescentes et adultes. Nous pouvons ainsi affirmer que l’attachement addictif pourrait être sous tendu par une forme pathologique du lien « primaire » prenant racine dans des perturbations de l’attachement de l’enfant à sa mère. Les psys décrivent alors quatre grandes catégories d’enfants.
La grande majorité d’entre nous arrive à supporter sans angoisses trop importantes les absences de leur mère (car nous avons perçu qu’elle reviendra). Ce type de lien est appelé l’attachement sécure. Le deuxième groupe est constitué par des enfants en quelque sorte trop « sages ». Ils ont, sous une apparente autonomie, un besoin continu de la présence de leur mère. Ce lien est très fort et masqué. C’est alors bien souvent plus tard au moment de l’accession à une réelle autonomie, lors de l’adolescence, que les problèmes surgiront.
On parle d’attachement évitant. Le troisième groupe est constitué par des enfants « trop gentils », très affectueux, qui ne supportent pas de ne pas avoir leur mère dans leur champ de vision. Ce sont des enfants très anxieux qui développent ce que l’on nomme un attachement ambivalent.
La dernière catégorie regroupe des nourrissons gravement perturbés par l’absence de leur mère ou, lorsque celle-ci est présente, le peu d’échanges avec elle. Cet attachement confus vient souligner des carences des tous premiers stades évoqués plus haut, qui peuvent faire le lit de troubles graves de la personnalité, comme la schizophrénie, l’autisme et les psychoses infantiles.
Les enfants de la première catégorie dite sécure pourront faire plus tard preuve de la souplesse relationnelle nécessaire à la construction de relations affectives satisfaisantes et pourront gérer les conflits inévitables de la vie sans se réfugier dans une conduite de dépendance. Mais pour les deuxièmes et troisièmes catégories, on peut déjà penser que, face à une difficulté existentielle, ils risquent d’être tentés de se réfugier dans une conduite de fuite, d’évitement de la relation avec l’autre. C’est le point de départ de nombreuses addictions.