Aussi dérangeante soit la question du suicide des enfants, les faits divers malheureux qui ont fait les unes ces derniers mois nous poussent à l’affronter. Cette réalité troublante dissimule un malaise, celui d’enfants qui émettent, directement ou non, le vœu de disparaitre.
« Le suicide des enfants est mal connu et sous-estimé. » En janvier dernier, une petite fille de neuf ans se défenestrait, laissant une note expliquant son geste, avec ses mots d’enfant. Diabétique, la fillette n’aurait pas supporté les restrictions imposées par sa maladie. Quelques jours plus tard, un petit garçon de onze ans se pendait, suite à un avertissement scolaire…
Que se passe-t-il dans la tête d’un enfant qui décide de se donner la mort ? Après la médiatisation de ces drames, le gouvernement s’est empressé mettre en place une mission d’information. A la demande de la secrétaire d’État à la jeunesse, Jeannette Bougrab, une étude a été menée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Il rendra son rapport à la rentrée de septembre. En attendant, et devant l’urgence de la situation, il a livré ses premières conclusions. D’après lui, « 40% des enfants pensent à la mort à l’école, tellement ils sont anxieux et malheureux. » Il est temps de tirer la sonnette d’alarme.
Enfants et suicide : deux mots qui ne vont pas ensemble
La dépression chez l’enfant n’est pas un phénomène nouveau. En revanche, le fait d’identifier de tels drames comme des suicides est très récent. Chez l’enfant, l’accident est la première cause de mortalité. Or d’apparence, la différence est souvent mince entre un accident et un acte de volonté. Chiffrer le suicide des enfants est donc délicat. Les raisons qui poussent un enfant à un tel acte peuvent être multiples. Souvent, c’est un choc affectif qui en est à l’origine, et qui peut dégénérer en détresse émotionnelle. Divorce des parents, maladie, contexte familial conflictuel, carences affectives, pression trop importante… Pour autant, même si l’on peut concevoir la dépression chez l’enfant, le suicide semble impensable. Surtout, c’est un sujet à prendre avec des pincettes.
C’est quoi la mort ?
Que représente la mort pour un enfant ? Certainement pas la même chose que pour un adulte, ou même un adolescent. D’après Michel et Isabelle Hanus, auteurs de « La mort, j’en parle avec mon enfant »*, « Plus l’enfant est petit, plus il imagine des choses sur la mort qui ne sont pas le reflet de la réalité. C’est au contact de son environnement que l’enfant devient plus réaliste. » Vers 4 ans, les enfants ont une vision toute particulière de la mort. « Ils disent que, quand on est mort, on ne peut plus bouger, ni courir, ni parler… » C’est vers 6 ans que les enfants commencent à comprendre le déroulement du temps dans la durée : on grandit, on devient très vieux, puis on meurt. La mort, c’est dans l’esprit des petits une affaire de vieilles personnes, qui ne les concerne donc pas. « C’est seulement vers 9, 10 ans que l’enfant voit la mort comme un élément indissociable de la vie. »
Game Over : On recommence ?
Que ce soit dans ses dessins animés préférés ou dans les jeux vidéos, la mort ne signifie rien de plus pour un enfant qu’une nouvelle partie. Titi est dévoré par Gros Minet ? Pas grave, en une pirouette, le revoilà sur pieds avec un nouveau plan en tête. Cette représentation banalisée de la mort est bien plus qu’un symbole : à un âge où l’on se construit sur ce que l’on voit autour de soi, mourir équivaut à effacer une situation déplaisante pour recommencer à zéro. Pour autant, les enfants sont loin d’être épargnés de la mort réelle : l’horreur de l’actualité est sans cesse visible à la télévision. C’est ce décalage entre la fiction et la réalité qui rend le sujet encore plus contradictoire à leurs yeux.
« 40% des enfants pensent à la mort à l’école, tellement ils sont anxieux et malheureux. »
Enfants, ados : la frontière s’amenuise
On peine parfois à faire la différence entre les « grands enfants » et les ados. Les mêmes attitudes, les mêmes tenues vestimentaires… « La nébuleuse ado est une espèce de planète qui démarre de plus en plus tôt et s’attarde de plus en plus tard. » Dans un article publié par Le Monde, Xavier Pommereau, psychiatre et responsable du pôle aquitain de l’adolescence au CHU de Bordeau, poursuit : « Les plus jeunes copient leurs aînés (…) Les comportements et la consommation des plus jeunes tendent à s’aligner sur celles des adolescents, y compris dans les troubles de conduite… » Si les frontières de l’enfance à l’adolescence s’amenuisent, les deux catégories d’âge ne sont pour autant pas armés de la même manière pour appréhender la réalité. D’où un trouble qui peut parfois mener à des situations désastreuses.
Quels sont les signes de la dépression chez l’enfant ?
C’est la question que chaque parent s’est posée en prenant connaissance des drames de ce début d’année. Parmi les psychiatres interrogés sur cette question, il y a une constante qui revient à chaque fois : Les enfants déprimés ne le montrent pas toujours. Il est donc très délicat d’établir une liste de signes avant-coureurs du sentiment suicidaire chez les petits. Néanmoins, il est important de rester alerte et attentif à la tristesse de son enfant. D’après Stéphane Clerget, pédopsychiatre auteur de « Ne sois pas triste mon enfant » (Editions Robert Laffont), « des troubles du sommeil, des maux de ventre, une mésestime de soi, des difficultés scolaires » doivent attirer l’attention d’un parent. Pour un parent qui soupçonne des troubles affectifs chez son enfant, mieux vaut, dans le doute, consulter un pédopsychiatre.
*[ Michel Hanus (psychiatre, psychologue et psychanalyste) et Isabelle Hanus (assistante sociale au ministère de la Justice) sont tous deux fondateurs de l’Association Vivre son deuil, et auteurs de « La mort. J’en parle avec mon enfant » (Nathan, 2008)]