L’Inspection générale des affaires sociales a rendu un rapport alarmiste sur l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) et la contraception le 2 février 2010. Devant la régression de l’offre d’IVG, Chantal Birman, sage-femme et cadre de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (Ancic), a proposé d’autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG. En réponse, les mouvements anti-IVG et le Collectif sages-femmes de demain, ont protesté en exigeant du conseil de l’Ordre des sages-femmes de réagir pour défendre leur profession. Début d’une polémique qui souligne bien le malaise du système de santé français, 35 ans après le vote de la loi Veil, face au droit des femmes à l’IVG.
Chantal Birman : une sage-femme vraiment sage ?
Chantal Birman est sage-femme depuis 40 ans, décorée de la Légion d’honneur, attachée à la maternité des Lilas pendant de nombreuses années, auteur de livres et d’une série de DVD inestimable pour les futurs parents. Autant dire que ce n’est pas une femme habituée à parler à la légère.
Femme de conviction, militante de la cause des femmes, ce qui est la moindre des choses quand on a, comme elle, accompagné autant de naissances, elle a été tour à tour témoin et actrice des évolutions de la société en matière de maternité. Une position qui légitime aujourd’hui sa prise de position et qui mérite qu’on ne ramène pas le débat à une simple question d’idéologie.
Si le Collectif sages-femmes de demain, qui s’insurge devant la possibilité de permettre aux sages-femmes de pratiquer l’avortement, rappelle à juste titre que leur première mission est d’épauler les femmes, de les accompagner, est-il moins légitime de penser que de les soutenir dans le renoncement à la vie peut faire partie de ce rôle ?
Si Chantal Birman fait scandale, n’est-ce pas un moyen de détourner l’attention de la scandaleuse vérité de l’IVG en France ? Parce qu’il y a des moments ou la sagesse recommande de ne plus être sage. Chantal Birman persiste et répond à ses détracteurs.
Chantal Birman, qu’est-ce qui vous a conduit à proposer d’autoriser les sages-femmes à pratiquer l’IVG ?
Chantal Birman : J’ai été appelé hier, alors que je suis à Londres, par un journaliste de l’AFP qui m’a résumé le rapport de l’IGAS en me disant qu’il y avait en gros des problèmes de fermeture de centres d’IVG, des problèmes financiers et de personnel. Il m’a rapporté la déclaration d’intention de Roselyne Bachelot en faveur de l’IVG et du planning familial.
Ce type de déclarations suite au constat d’un dysfonctionnement dans le système de santé est toujours le même, quel que soit le ministre de la santé dès qu’un rapport souligne des problèmes depuis 15 ans. Rien de nouveau sous le soleil, à part l’augmentation de 10 % du forfait IVG.
La dégradation des conditions de l’IVG depuis 15 ans
Chantal Birman : Depuis 15 ans, il y a eu une augmentation régulière du forfait IVG mais qui n’a jamais permis à l’économie de l’IVG de sortir du marasme dans lequel elle se trouve. D’abord parce qu’il a fallu, à cause du problème des prions, arrêté de stériliser le matériel et le jeter après utilisation. Cela a entraîné un coût supplémentaire important. Par ailleurs, il y a eu une fermeture des petits centres d’IVG et un regroupement dans les grands hôpitaux.
Les obstétriciens, dans leur grande majorité, ont vu les IVG arriver dans leur service à leur corps défendant. Les IVG ont donc été confiées majoritairement à des médecins de médecine générale ou a des gynécologues médicaux, militants, payés à la vacation, donc mal payés. De plus, ils sont peu représentés dans les Comités Médicaux d’établissement qui décident des investissements en matériel et en postes. Or, comme l’IVG ne rapporte rien aux hôpitaux, surtout depuis qu’ils fonctionnent à la tarification à l’acte, les dotations sont très insuffisantes.
Il y a 10 ans, la majorité des IVG en île de France étaient pratiquées en clinique privée. Aujourd’hui, la plupart des centres privés ont fermé. Quelle meilleure preuve peut-on donner du manque de rétribution de l’IVG par rapport à son coût. Le service public est donc contraint à les pratiquer… de mauvaise grâce. Les médecins généralistes et les gynécos qui assuraient les IVG dans le service public partent peu à peu à la retraite.
Il se pose donc la question de savoir comment le service public va pouvoir continuer de garantir le droit à l’avortement ? C’est devant ce problème que j’ai proposé d’autoriser les sages-femmes à pratiquer l’IVG.
La sage-femme : interlocuteur privilégié de la femme enceinte
Chantal Birman : La sage-femme est la personne qui connait le mieux le terrain de la grossesse. Sur le plan physiologique et psychologique, elle connait parfaitement l’état de la femme enceinte. De plus, l’IVG est un geste technique assez simple dans sa pratique.
Alors certes, sur 20 000 sages-femmes, 2000 protestent. Chacun a le droit a sa clause de conscience et de s’opposer à pratiquer l’avortement. Toutefois, je ne vois pas qui d’autre parmi le personnel médical a cette connaissance de la femme enceinte, du début de la grossesse avec ses ambiguïtés, que ce soit pour garder ou interrompre, à part les sages-femmes.
Dans la très grande majorité, l’avortement n’intéresse pas les gynéco-obstétriciens. Alors, en respectant les convictions de chacun, comme on l’a déjà fait avec les médecins, donnons le droit aux sages-femmes qui l’accepte de pratiquer l’avortement. Il y en aura peut-être 400 ou 500, mais ce sera déjà un effectif supplémentaire pour garantir le droit des femmes à l’IVG dans de meilleures conditions qu’aujourd’hui. Où est le problème ?
Il n’y a pas plus ni moins de cas de conscience quand lorsqu’il s’agit d’un médecin. Ce sera pareil que lorsqu’on a sollicité les gynécos obstétriciens. Certaines personnes s’engageront avec leurs convictions. D’autres, pour d’autres convictions, ne pratiqueront pas l’IVG.
Quelles convictions peuvent conduire une sage-femme à pratiquer un avortement ?
Chantal Birman : c’est de savoir que la vie n’est pas ou toute rose ou toute noire. La maternité est un moment de la vie ambigu. La même personne selon le moment de sa vie peut être disponible pour une grossesse ou la refuser. La même femme ! Comment la condamner ?
La sage-femme est la personne la mieux placée pour accompagner ce moment délicat. La sage-femme est marquée par la vie. Quand on la voit on pense tout de suite « bébé ». Sa présence dans ce moment difficile peut apaiser la femme enceinte qui décide un avortement en lui rappelant que la vie sera possible plus tard, à un meilleur moment.
Donner la naissance ou avorter, c’est un exercice de liberté, donc de renoncement. Quand une femme est enceinte, si elle décide de le mettre au monde, elle renonce à sa vie sans enfant. Si elle avorte, elle renonce à l’enfant. D’une façon ou d’une autre, c’est le sens de la liberté. Apprendre à renoncer. La sage-femme est la personne qui aide à renoncer.