Cette rentrée scolaire est marquée par un mot : la violence. Rabâchée par le gouvernement et les médias, elle effraie parents, profs et élèves. Pourtant il ne s’agit pas d’une découverte, la violence est présente à l’école depuis longtemps. Mais en quoi a-t-elle évolué ? Et que doit-on faire ?35,8% des personnels se sont dits victimes d’injures au cours de l’année dernière, 17,1% de menaces, 14% de harcèlement et 3,6% de coups. Mais la violence n’est pas l’apanage du secondaire. A l’école primaire aussi, elle a fait son apparition. En 2009, la sociologue Cécile Carra a mené une enquête sur cette question dans différentes écoles et le constat est édifiant. 41% des élèves affirment que quelqu’un (camarades ou adultes) a déjà été violent avec lui et ils sont 28% à reconnaître avoir eu un geste violent. C’est le plus souvent dans la cour de récréation que ces violences ont lieu : 72% contre 12% devant l’école, 4% dans les couloirs et 3% dans la salle de classe.
Violence à l’école primaire
Racket, vols, incivilités… la violence scolaire n’épargne pas les enfants à l’école élémentaire. Selon une enquête de l’Unicef, près de 12 % des écoliers de primaire sont victimes d’harcèlement. Très médiatisée, la violence scolaire, aussi appelée « school bullying », n’est pourtant pas nouvelle. Les spécialistes montent des rapports sur le sujet depuis les années 1970. C’est à cette époque que la violence des jeunes à l’école est identifiée comme étant un problème de société. Les boucs émissaires, à cause d’une simple différence (physique, vestimentaire…), ont toujours existé dans les établissements. La violence scolaire est simplement plus visible qu’autrefois et prend des formes différentes. On assiste davantage à de petites et multiples violences quotidiennes. L’incivilité est aussi de plus en plus importante. Les insultes proférées par les enfants sont d’une très grande virulence. L’accumulation de ces petites violences a dégradé, au fil du temps, le climat scolaire et les rapports entre élèves, et élèves et enseignants. Sans oublier qu’aujourd’hui, les valeurs portées par la famille diffèrent souvent de celles reconnues par la vie scolaire. L’école devient alors l’endroit où les enfants rencontrent des règles sociales pour la première fois. Et bien souvent, les écoliers traduisent ce manque de repères par la violence.
Comment l’éradiquer ?
Certains spécialistes se sont penchés sur la question et livrent quelques pistes de réflexion pour diminuer la violence scolaire, dont Georges Fotinos, membre de l’Observatoire international de la violence à l’école.
Première suggestion de Georges Fotinos, pour enrayer la violence scolaire : la prévention précoce dès la maternelle. « Cela ne consiste pas à ficher les élèves, mais plutôt à mettre en place des activités éducatives développant la sociabilité », explique le spécialiste. « Au Québec, par exemple, dès l’entrée en maternelle et jusqu’au collège, les écoliers suivent un programme basé sur les habilités sociales. Il s’agit d’un ensemble d’apprentissages sur le vivre ensemble (jeux de lecture, maîtrise des émotions, savoir reconnaître l’émotion chez l’autre et les oraliser) auquel toute la classe participe. » Ce type de programme libère la parole et l’affectivité des élèves. Il s’avère très efficace pour prévenir la violence. « En France, il y a eu quelques essais dans le Nord. Mais politiquement, ce n’est pas payant. Les bénéfices ne sont visibles que 5 ou 10 ans plus tard. Chaque ministre a 2-3 ans pour convaincre. Il préfère donc mettre en place des opérations coups de poing », ajoute Georges Fotinos. Malheureusement, « chez nous, le pan psychologique de l’éducation est mis de côté. » Cela demanderait aussi une formation spécifique des enseignants.
Modifier les rythmes scolaires
Selon Georges Fotinos, « l’aménagement scolaire a un rôle crucial. Lorsqu’il est réussi, la violence scolaire est moindre, voire éradiquée. C’est pourquoi il est essentiel de développer des activités sportives et culturelles. L’enfant peut ainsi se dépenser, se concentrer sur d’autres matières qui lui permettent de retrouver confiance en lui. Cela changera l’image qu’il peut avoir des enseignants, mais aussi de ses camarades. Ces derniers eux-mêmes changeront de regard sur lui. » Impliquer davantage les parents s’avère crucial. Georges Fotinos estime qu’ils devraient davantage participer au fonctionnement de l’école, en ayant des responsabilités dans la vie scolaire. Et pour cause : il est primordial que les parents prennent conscience des règles mises en place dans l’école pour les appliquer.
Interview de Cécile Carra
Professeure en sociologie à l’IUFM, école interne de l’Université d’Artois, elle fait de la recherche au sein du laboratoire de recherches en éducation et formation RECIFES qu’elle dirige par ailleurs. Elle travaille depuis des années sur les violences à l’école. Parmi ses derniers livres, on peut citer « Violences à l’école élémentaire. L’expérience des élèves et des enseignants paru aux PUF en 2009, et « Les violences à l’école » paru en 2011 dans la collection des Que sais-je ?
On parle beaucoup de violence au collège et au lycée, mais qu’en est-il à l’école primaire ?
On parle en effet beaucoup de violences au collège, et c’est d’ailleurs là que j’ai commencé à faire des recherches avant de m’intéresser au primaire où la violence apparaissait de plus en plus comme un problème dans certaines écoles.
Quelle est la réelle définition de la violence à l’école ?
Ce terme de violence recouvre des réalités très différentes, des violences graves comme celles qui ont été couvertes dernièrement par les journalistes mais surtout des micro-violences qui peuvent ponctuer le quotidien dans certaines écoles. Les violences graves sont rares et les recherches ne montrent pas d’augmentation. En revanche, les élèves se plaignent des bagarres de cours de récréation ou encore des insultes ; les enseignants vivent comme des violences les contestations des élèves et des parents, contestations qui sont aujourd’hui fréquentes. Elles portent sur les punitions et les résultats scolaires.
Doit-on s’alarmer ?
Il convient d’être vigilant et de se préoccuper de ce que vit chacun à l’école. Pour exemple, le harcèlement entre enfants n’était jusque là pas suffisamment pris en compte par les adultes mais la situation est en train d’évoluer. Les enseignants rencontrent des difficultés à gérer des classes hétérogènes où les élèves sont parfois loin de répondre aux attentes scolaires. Les parents sont inquiets de l’avenir scolaire de leur enfant, avenir scolaire qui détermine tout le reste ou presque. C’est pourquoi les relations peuvent être tendues et conduire parfois à la violence.
La violence à l’école existe depuis toujours, pourquoi maintenant les choses sont différentes ? (classes trop chargées, manque d’encadrement, rythmes scolaires,…)
La violence existe en effet depuis les débuts de l’école mais on en parlait beaucoup moins dans une société où elle était bien plus présente. On parlait d’ailleurs beaucoup plus de la violence de l’institution que de celle des élèves. Le discours s’est inversé depuis, l’institution scolaire s’étant fragilisée en tentant de répondre à des missions qui se sont multipliées : instruire, former le futur citoyen, insérer professionnellement… Elle s’est également fragilisée dans la transmission de valeurs qui s’éloignent de celles de la société actuelle. Des conflits de valeurs surviennent alors. Plus largement, l’école est traversée par des conflits de normes. On peut prendre l’exemple des conflits entre normes enfantines/Juvéniles et normes scolaires, notamment sur la manière de se parler -la politesse- ou encore la tenue vestimentaire.
Comment la combattre dès l’école primaire ? Quels moyens mettre en place ?
Des écoles ont réussi à faire baisser le niveau de violence. Cette réussite passe par un travail d’équipe en profondeur permettant une cohérence des réponses et une prévention sur le long terme. Les réponses portant sur les transgressions s’accompagnent d’un travail sur les attentes scolaires, et la constitution et l’application d’un règlement. Elles s’inscrivent dans une approche plus large où l’objectif des enseignant est de tout mettre en œuvre pour faire progresser les élèves dans leurs apprentissages. Quand on sait combien échec scolaire et violence sont liés, on comprend l’importance de ce levier d’action. L’expérience de l’une des ces écoles est relatée dans le livre que j’ai écrit sur les violences à l’école élémentaire.
Comment les parents doivent-ils s’y prendre avec leurs enfants pour prévenir de tels faits ?
Il est important d’être à l’écoute de son enfant pour pouvoir décoder les situations. Il est tout aussi important d’en discuter avec le professeur de l’enfant. Le professeur pourra alors mettre en œuvre des actions au sein de la classe pour faire évoluer la situation.
« Violences à l’école élémentaire », de Cécile Carra, éditions Presses Universitaires de France.
Les solutions du ministre Peillon
Le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, a annoncé la création d’un observatoire de la violence scolaire à l’intérieur de l’Education nationale, à même d’apporter des réponses préventives. « La violence à l’école est généralement peu explosive », a relevé M. Peillon, évoquant le harcèlement ou des injures. « La première chose » qu’il faut faire, « c’est de mettre des adultes dans les écoles », a-t-il indiqué, déplorant les suppressions de postes intervenues sous ses prédécesseurs. « 10 % des établissements font 50 % des cas » de violence et 5 % des établissements en génèrent 30 %, a-t-il souligné. « Il y a des endroits où il y a plus de violence que d’autres, il faut qu’il y ait plus d’adultes, mais aussi des adultes plus formés », a-t-il ajouté.
En juin, le ministre avait annoncé que 500 assistants de prévention et de sécurité (APS) chargés de la lutte contre les violences scolaires seraient affectées « dans les établissements les plus difficiles » d’ici à la Toussaint ou Noël. Ils recevront huit semaines de formation.