La question fait débat depuis que la Suède a souhaité faire interdire la publicité dans les programmes jeunesses partout en Europe en 2001, lorsqu’elle était présidente de l’Union Européenne. En France les discussions se poursuivent. Publicitaires, entrepreneurs, associations de consommateurs et pouvoirs publics s’opposent sans réussir à trouver de réponse législative.
Enfants téléspectateurs : une cible puissante…
Selon une étude réalisée en octobre 2007 pour le ministère de la Santé, 47% des enfants disent que la publicité vue à la télévision leur donne envie de manger et de boire, 62% réclament à leurs parents ce qu’ils ont vu et… 91% déclarent l’obtenir grâce à la faiblesse de leurs parents. La place des enfants dans la décision d’achat n’est plus à prouver. Nathalie Sepena, journaliste et auteur du livre l’enfant jackpot1 affirme que « les plus jeunes sont devenus un credo dans les écoles de commerce. Les publicitaires connaissent leur rôle prescripteur dans les achats familiaux comme la voiture, la lessive, la banque, les vacances…».
Ainsi, en plus d’intervenir directement lors des achats concernant des produits qui leur sont précisément destinés, ils jouent un rôle actif dans des décisions d’achat plus familiales. Sachant par ailleurs que les enfants regardent la télévision près de 3 heures par jour en moyenne, entreprises et distributeurs de tout poil se frottent les mains ! Grâce au petit écran et aux millions d’euros dépensés en bandeaux publicitaires, ils ont tout le loisir d’atteindre l’une de leur cible privilégiée.
…mais sensible !
« Contrairement aux idées reçues, l’enfant n’est pas plus influençable ou malléable qu’un adulte, analyse Olivier Rampnoux, enseignant au Centre européen des produits de l’enfant à Poitiers. Dans la plupart des cas, il sait pertinemment que la publicité cherche à faire vendre. Pour autant, il n’est pas à l’abri de vivre déception et frustration. Ce qui est bien en soit, car ce sentiment est nécessaire à sa construction, mais encore faut-il que le jeune soit accompagné dans cette étape. » Or, la télévision joue de plus en plus le rôle de nounou, les parents ne sont pas ou plus derrière le petit écran avec leur progéniture.»
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Programmes jeunesse : publicité ou conditionnement ?
En outre, l’effet publicité peut créer des tensions entre générations, comme par exemple un sentiment de culpabilité chez les adultes qui n’ont pas su faire plaisir ; elle formalise un schéma familial idéal au sein duquel les parents ne disent jamais non tout en donnant la parole à leurs enfants. La publicité télévisée est souvent accusée de présenter à ses différents publics un monde fermé sur lui-même, où chacun désire les mêmes produits que son voisin.
Un univers parfait en somme, qui vise à « inculquer aux futurs citoyens l’idéologie de la consommation, cette autre face indispensable de la marchandisation du monde, souligne le sociologue François Brune, co-fondateur du RAP (Résistance à l’agression publicitaire). Conduites de consommation, styles de vie, modes de pensée : c’est un modèle uniforme d’individus illusoirement libres que façonnent chez les petits et grands enfants les publicités qui rythment l’espace médiatique. C’est un dressage du sujet-consommateur, focalisé sur le mythe du produit salvateur, qui doit doper son existence de jouissance et de puissance. » Les jeunes téléspectateurs ont donc besoin d’une protection face aux dangers potentiels de la publicité, mais laquelle ?
Interdire la pub ou prévenir: L’exemple Suédois
La Suède a tranché. Elle a légiféré à la fin des années 90 interdisant toutes les publicités visant les moins de 12 ans (jouets, vêtements, aliments) à la télévision, prohibant les publicités destinées aux adultes avant, pendant et après les émissions pour enfant et demandant enfin que, dans le contenu même des spots publicitaires, disparaissent les personnes ou personnages d’émissions enfantines (animateurs, héros de feuilletons) ainsi que les enfants acteurs.
Le simple recours à des éléments thématiques renvoyant à l’enfance (voix, rires, etc.) étant également proscrit. Pour éviter une distorsion de concurrence, le pays a souhaité étendre cette législation nationale à l’ensemble de l’Europe lorsqu’il siégeait à la présidence de l’Union Européenne en 2001. Mais les voix pour défendre la « liberté de la publicité » ont parlé plus fort que les autres. Le projet s’est éteint, relançant au passage les discussions sur le sujet dans bon nombre de pays.
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Enfants et publicité : les hésitations françaises
En France, les échanges se poursuivent même si aucune loi n’a encore été votée. Les associations de parents d’élèves continuent la lutte de même que le Mouvement pour une alternative non-violente (MAN). Ce dernier a récemment lancé une campagne nationale intitulée « Télé : pas de pub destinées aux enfants de moins de 12 ans ».
Objectif ? Prévenir les maux provoqués par la publicité : obésité, déstructuration des repas, mise à mal de l’autorité parentale,…en exigeant une loi française inspirée de la loi suédoise. « La publicité destinée aux enfants est à considérer comme une violence majeure que presque personne ne débusque, critique ou combat » dénonce le MAN. De tels efforts et revendications pourront-ils aboutir un jour? Quel poids les associations et même les pouvoirs publics ont-ils face aux lobbys industriels, chaines télé et annonceurs ?
De son côté, Olivier Rampnoux préfère s’interroger sur l’intérêt même du combat plutôt que sur son éventuel succès. « Aujourd’hui la publicité est partout, télévision mais aussi radio, Internet, magazine et téléphone portable. A quoi bon interdire les spots dans les seules émissions jeunesses ? D’autant que, sur les 3 heures moyennes de télévisions regardées quotidiennement par les enfants, 50 minutes seulement correspondent à des programmes qui leur sont véritablement destinés ! A mon sens, mieux vaut apprendre aux jeunes consommateurs à prendre du recul. Concrètement cela signifie que les parents doivent regarder la télévision avec leurs enfants, commenter les programmes et répondre aux questions pour initier un dialogue et surtout faire en sorte que les plus jeunes soient actifs devant l’écran, qu’ils choisissent les émissions à regarder pour devenir maitre de leur consommation télévisuelle. »
Une réflexion partagée par Françoise Mougin, vice présidente du Collectif inter associatif enfance et média (CIEM). « En plus de la réglementation, nous militons pour une sensibilisation des parents, des écoles, des consommateurs et même des professionnels comme les chaines de télévision. Nous voulons éveiller la majorité à l’intérêt de donner aux enfants les clés pour comprendre les publicités. Nous devons expliquer aux plus jeunes comment les médias représentent le réel pour qu’ils soient en mesure de décider et non plus de subir. »
1 L’enfant Jackpot de Nathalie Sapena, aux Editions Flammarion (2005)
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Pub et obésité : un lien mis en évidence
Daheia Barr-Anderson, professeure à l’université du Minnesota et auteure d’une nouvelle étude sur la télévision et les mauvaises habitudes alimentaires a suivi près de 2000 élèves de 12 et 15 ans. Son équipe a rencontré les élèves à 5 ans d’intervalle pour suivre l’évolution de leurs habitudes alimentaires.
« Même s’il reste difficile d’évaluer le rôle de la publicité dans nos résultats, admet Daheia Barr-Anderson, nous avons montré que les grands consommateurs de télévision sont de petits consommateurs de fruits et de légumes, qu’ils boivent plus de boissons sucrées et grignotent sans compter. Ils prennent de mauvaises habitudes alimentaires qu’ils conservent sur le long terme. »
Le constat n’est pas nouveau. Les preuves qui pointent du doigt la télévision comme facteur aggravant de l’obésité ne cessent de s’accumuler. En France, les discussions sur le sujet commencent à se concrétiser. Des messages d’alertes ont d’ores et déjà été apposés sur toutes les publicités de produits alimentaires (« Pour votre santé évitez de manger trop gras, trop sucré et trop salé ») et les publicitaires et professionnels de l’audiovisuel ont signé mercredi 18 février 2009 une charte pour la promotion d’une bonne nutrition.
Objectif ? Sensibiliser les jeunes téléspectateurs aux bons comportements alimentaires. Les professionnels devront donc diffuser des programmes « éducatifs » à destination des enfants. Les chaînes se sont engagées à programmer de 340 à 470 heures de programmes par an sur le thème des bonnes pratiques alimentaires et de l’hygiène de vie, l’INPES enfin, devrait obtenir une réduction 60 % sur les tarifs des messages télévisés pour pouvoir passer ses dépêches valorisant l’équilibre alimentaire.
La publicité à proprement parlée est, quant à elle, passée à travers les mailles du filet. Les associations de consommateurs notamment attendent désormais avec impatiente le vote de l’amendement 552 de la loi sur l’hôpital* (qui prévoit entre autre d’interdire la diffusion de publicité concernant les aliments gras et sucrés pendant les émissions pour enfant), tandis que le secteur de l’audiovisuel ainsi que l’industrie agro-alimentaire restent sur ses gardes. Les débats continuent…et l’épidémie progresse. En France, 14,5 % des enfants de 3 à 17 ans sont en surcharge pondérale et 3,5 % sont considérés comme obèses.
*Cet amendement a été recalé par l’assemblée le 9 mars 2009. La publicité pour la nourriture pourra continuer d’allécher nos bambins, avec les mentions légales hypocrites de rigueur, cela va sans dire !